Redressements records
Ces ultra-riches soustraient des milliards au fisc genevois

Drahi, Hinduja, Bouvier, Castel… Parti à la chasse aux forfaits fictifs et aux fausses domiciliations, le fisc du bout du lac voit des montants toujours plus gros lui échapper. De recours en appel, les batailles judiciaires peuvent s'éterniser des années.
Publié: 18:57 heures
Photo: AFP
Chroniques Teaser (2).png
Myret ZakiJournaliste spécialisée économie

Genève peut se vanter de compter 14 milliardaires parmi ses résidents, soit mieux que Zurich. Mais encore faut-il que ces ultra-riches passent à la caisse. Et la perception d’impôts dans cette catégorie devient un gros défi. Plusieurs affaires récentes montrent que de très grandes fortunes, dont des exilés fiscaux au forfait, ne s’acquittent pas de leur dû et privent les caisses de Genève de centaines de millions, voire de milliards, sur des périodes remontant jusqu’à 25 ans en arrière. Petit récapitulatif des affaires sorties récemment dans la presse.

Patrick Drahi, groupe Altice

Montant dû: 7,4 milliards

<p>Patrick Drahi a reçu fin 2022 un bordereau de 3,7 milliards de francs du fisc genevois, qu’il conteste. Le magnat des télécoms franco-israélien aurait déménagé à Tel Aviv (Israël) fin 2024. Sa fortune est estimée à 5,8 milliards de dollars par Bloomberg.</p>
Photo: AFP / Eric Piermont

L’affaire Drahi est un cas d’école. Car elle cumule un domicile contesté, un forfait contesté et un divorce contesté. Le magnat franco-israélien des télécoms, propriétaire du groupe Altice, est accusé depuis 2022 par l’administration fiscale de s’être faussement domicilié hors de Genève entre 2009 et 2016. Affirmant d’abord être au forfait à Rolle (VD) puis à Zermatt (VS), il aurait en réalité vécu Cologny (GE) et travaillé en Suisse. Et malgré un divorce officiellement prononcé, il aurait continué à vivre avec sa femme. Retoqué à la taxation ordinaire, il a reçu fin 2022 un bordereau de 3,7 milliards de francs d’impôts pour la période, qu’il conteste. Un montant que les autorités ont doublé d’une amende salée, hissant l’ardoise totale à 7,4 milliards. Un record pour Genève. Le dernier recours effectué par le milliardaire auprès du Tribunal fédéral, la plus haute instance en Suisse, a été jugé irrecevable en mars 2024.

L’affaire suit son cours et pourrait encore traîner en longueur. Aux dernières nouvelles, celui qui détient la maison d’enchères Sotheby’s aurait déménagé au centre de Tel Aviv (Israël). Sa fortune est estimée à 5,8 milliards de dollars par le Bloomberg Billionnaires Index. 

Yves Bouvier, ex-directeur des Ports Francs

Montant dû: 712 millions

Photo: KEYSTONE

Autre redressement fiscal d’ampleur inédite, celui de l’homme d’affaires genevois Yves Bouvier. L’administration fiscale lui réclame 712 millions de francs à titre d’impôts et amendes pour les années 2008 à 2015, qu’il conteste. Le marchand d’art genevois, sous enquête fiscale fédérale depuis 2017, a-t-il été dénoncé au fisc par ses ennemis, comme le supposent certains observateurs de la place? Toujours est-il qu’à peine sorti du long litige qui l’opposait à l’oligarque Dmitry Rybolovlev, le voilà en pleine bataille juridique avec le fisc. Là encore, le domicile est au cœur du litige. Résidant depuis 2009 à Singapour, l’ancien directeur des Ports francs de Genève aurait conservé trop d’«intérêts vitaux en Suisse», sans y déclarer de fortune et de revenus. Il aurait également omis de payer ses impôts de 2005 à 2007, mais ces années sont déjà prescrites par la loi et échappent donc définitivement aux caisses publiques. En attendant le jugement, le fisc a séquestré des liquidités bancaires, titres boursiers et œuvres d’art, de peur que le contribuable récalcitrant ne les transfère hors de Suisse.

Famille Prakash Hinduja, Hinduja Group

Montant dû: 130 millions

Jamais deux sans trois, le milliardaire indien Prakash Hinduja, issu de la famille la plus riche d'Inde (22 milliards de dollars, selon Forbes), est lui aussi soupçonné de domiciliation fictive. Officiellement, il réside à Monaco depuis 2007. Mais depuis 2021, les autorités genevoises soupçonnent qu’il a passé le plus clair de son temps à Cologny (GE) jusqu’en 2018. Il aurait en outre touché des sommes non déclarées versées par un trust à l'île de Man, un paradis fiscal qui dépend de la Couronne britannique. A ce jour, les autorités ont séquestré 125 millions de francs pour garantir qu’il honorera les impôts et amendes qui seront dues. Son fils Ajay Hinduja aurait par ailleurs soustrait 5 millions au fisc genevois. Là aussi, les multiples recours pourraient repousser le règlement aux calendes grecques.

Pierre Castel, fondateur du Groupe Castel

Montant dû, et payé (2023): 330 millions

Photo: AFP

Parmi les cas récemment réglés, figure l’homme d’affaires et exilé fiscal français Pierre Castel. Jusqu’en août 2023, il devait encore 350 millions d’euros au fisc suisse, pour les années 2007-2008 et 2010-2011. Il a fait de multiples recours jusqu’au Tribunal fédéral, et a perdu. Une fois n’est pas coutume, l’administration avait réussi à récupérer ce montant en totalité au 11 août 2023. Le cofondateur du géant des vins Groupe Castel aurait échappé à l’attention du fisc durant 30 ans en raison des structures utilisées pour organiser son patrimoine. Il avait cédé ses biens à une fondation liechtensteinoise et à un fonds singapourien. Mais le fisc a pu démontrer qu’il avait gardé le contrôle de ces structures, qui lui ont versé directement d’importants dividendes, ce qui le rendait imposable sur ce revenu. Durant de longues années, ses déclarations fiscales ont par ailleurs été remplies au nom de «Jesus» Castel (son deuxième prénom), sans doute à l’instigation de ses conseillers, ce qui lui a permis de passer sous le radar du fisc. Sans doute embarrassée par la taille du redressement, qui a échappé aux autorités toutes ces années, la Cour de Justice genevoise avait masqué le montant du règlement qui figurait dans l’arrêt initial.

Hashim Djojohadikusumo

Montant dû : 131 millions

Montant réglé : 12,3 millions

Photo: Shutterstock

Frère de l’actuel président d’Indonésie, Hashim Djojohadikusumo et son épouse avaient quitté la Suisse peu après avoir empoché 1,9 milliard de dollars en 2006, suite à la vente d’une entreprise pétrolière. Le fisc suisse a réclamé 131 millions de francs d’impôts au couple, en vain: le milliardaire a sans cesse soutenu être ruiné par le financement de la campagne politique de son frère aîné en Indonésie. L’épilogue a finalement eu lieu le 23 avril 2024, quand l’Office des poursuites a procédé à la vente forcée des deux villas du couple à Anières, récupérant une somme d’à peine 12,3 millions de francs, soit moins du dixième de la dette fiscale du couple, désormais évaporée.

Vous avez trouvé une erreur? Signalez-la