La sociologue Katja Rost l'affirme
«Les super-riches sont bons pour la Suisse»

La liste des 300 plus riches établie par «Bilan» fascine la Suisse. La sociologue Katja Rost explique pourquoi l'écart entre riches et pauvres ne s'accroît pas autant qu'on le pense, et pourquoi la richesse est, dans une certaine mesure, un avantage pour la société.
Publié: 30.11.2024 à 15:37 heures
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La Suisse est très appréciée des super-riches. Comme la compétition équeste de White Turf, à St. Moritz.
Photo: Keystone
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Christian Kolbe

La liste des 300 plus riches fait parler d'elle, en Suisse. Dans une interview accordée à Blick, la sociologue Katja Rost se penche sur ce qu'il faut pour faire partie de l'élite et pour maintenir sa position sociale. Elle s'intéresse également aux codes et normes qui régissent le monde des riches et des puissants.

Katja Rost, les 300 plus riches se sont encore enrichis cette année, alors que nous avons le sentiment qu'il nous reste de moins en moins d'argent dans notre porte-monnaie, en raison du renchérissement de la vie. Le fossé se creuse-t-il de plus en plus?
Vous avez formulé ce sentiment de façon très juste. L'écart se creuse effectivement un peu, mais jamais autant que ne le laisserait supposer l'opinion publique.

Comment l'expliquer?
Les riches sont omniprésents dans notre société, à travers les réseaux sociaux, mais aussi à travers les reportages des médias traditionnels. La comparaison sociale a lieu tous les jours. Mais la question de savoir dans quelle mesure l'écart s'est réellement creusé fait l'objet d'un débat très controversé dans les sciences. Il existe des études qui relativisent cette inégalité, en prenant par exemple en compte la charge fiscale. 

... c'est-à-dire que nous devrions nous réjouir de devoir payer moins d'impôts que ces «pauvres» riches?
Oui. La richesse – et donc l'inégalité sociale – a toujours existé. Jusqu'à un certain point, c'est aussi une bonne chose pour une société. L'insécurité sociale n'a pas que des aspects négatifs. Dans une société socialiste où tout le monde est égal, il n'y a ni progrès ni prospérité. Nous avons besoin d'un certain principe de performance.

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C'est un monde dans lequel nous ne pourrons jamais entrer. Le monde des riches titille notre curiosité
Katja Rost, sociologue
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Mais où sont les limites?
Il faut se demander à quel moment l'inégalité devient trop importante. Si nous comparons notre époque actuelle avec le féodalisme du Moyen Âge, nous avons fait beaucoup de progrès en la matière. D'autre part, après les destructions de la Seconde Guerre mondiale, il y a eu durant un laps de temps une plus grande mobilité ascendante. Jusque dans les années 1990, la société était plus mélangée. L'ascension sociale était plus facile. Aujourd'hui, nous nous trouvons à nouveau dans une phase de consolidation et nous assistons à l'effet Matthieu: on donne à celui qui a déjà. 

L'intérêt pour la liste des «300 plus riches» est énorme. A quoi cela est-il dû?
Nous parlons ici du sommet de la pyramide sociale, de l'élite. Il s'agit souvent aussi d'argent ancien, qui est issu d'un héritage familial de plusieurs générations. Cela provoque une certaine fascination, car c'est un monde dans lequel nous ne pourrons jamais entrer. Ce n'est pas tant une question de jalousie, le monde des riches titille plutôt notre curiosité. Et la comparaison sociale reste superficielle, car nous savons secrètement qu'il s'agit d'une compétition à laquelle nous ne pourrons jamais participer.

Ces familles riches ont aussi des filles. Pourquoi y a-t-il si peu de femmes dans cette liste?
Les femmes sont aujourd'hui nombreuses, mais elles occupent aussi d'autres tâches dans ces familles: elles ont par exemple des enfants, et passent un certain temps à l'arrière-plan. Malgré tout, la liste se diversifie. La diversité internationale a augmenté.

A ce propos, il y a de plus en plus de milliardaires issus de pays émergents. Cela affecte-t-il l'amour-propre des Européens?
Il n'est pas surprenant que l'Europe ait du mal et soit sur le déclin. C'est un peu voulu, d'ailleurs. Nous discutons sans cesse de la pauvreté dans les pays émergents et dans le Sud. Avec un message implicite derrière: ces pays doivent, eux aussi, pouvoir accéder à la richesse. Mais ces idéaux ne fonctionnent pas comme nous l'imaginons. Beaucoup ne veulent pas que le fait que d'autres s'élèvent provoquent ensuite un déclassement social. Mais c'est pourtant la conséquence logique.

L'Europe est sur le déclin. Seule la Suisse compte de plus en plus de milliardaires. Que faisons-nous de mieux?
C'est ce mélange unique de stabilité politique, de multilinguisme, de beauté des paysages, de situation géographique au centre de l'Europe, de neutralité et de concurrence fiscale, même au sein de la Suisse. A cela s'ajoutent les nombreuses entreprises et organisations internationales, les superbes établissements d'enseignement. La Suisse a vraiment beaucoup à offrir aux familles super-riches.

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Les hommes sont souvent plus compétitifs que les femmes. Cela s'explique par des raisons sociales, mais aussi biologiques
Katja Rost, sociologue
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Et de notre côté, qu'est-ce que cela nous apporte?
La Suisse en profite énormément aussi. Si l'on veut supprimer cet environnement, on supprime de ce fait la prospérité de notre pays.

Revenons aux femmes. Pourquoi ne parviennent-elles pas à figurer en plus grand nombre sur la liste?
Le milieu de l'innovation reste masculin. C'est ce que montre justement la numérisation. Au début, elle offrait des opportunités aux personnes qui montaient en grade, qui osaient prendre des risques. La prise de risque est une caractéristique plus marquée chez les hommes que chez les femmes.

Pourquoi?
Les hommes sont souvent plus compétitifs que les femmes. Cela s'explique par des raisons sociales, mais aussi biologiques. La testostérone augmente la prise de risque. Ce que l'on oublie fréquemment dans le débat sur l'égalité des chances, c'est que ce sont aussi 99,9% de ces hommes qui n'arrivent à rien et qui échouent. Le risque que je prends pour obtenir un poste de professeur n'est rien, comparé au risque que doit assumer une femme entrepreneur. Et il y a aussi autre chose...

C'est-à-dire?
L'innovation a généralement lieu dans des niches. Ces niches étaient souvent occupées par des nerds (ndlr: geek). Aujourd'hui, on sait que la numérisation représente l'avenir. Mais qui le savait il y a 30 ans? A l'époque, ce sont surtout des hommes qui étudiaient ces matières, qui sont aujourd'hui centrales. 

Aux Etats-Unis, Elon Musk, l'homme le plus riche du monde, s'immisce dans les institutions politiques. Une évolution similaire menace-t-elle la Suisse? Il y a quelques super-riches qui se mêlent de politique...
En Suisse, les super-riches soutiennent les institutions et le système de cogestion. L'argent a toujours été politique ici. Le fait que celui qui possède beaucoup d'argent ait son mot à dire et s'implique dans la politique fait partie du jeu. Mais il ne faut pas voir cet engagement uniquement de façon négative. La charité, le progrès médical ou les institutions de formation sont aussi soutenus.

Par conviction ou pour l'image?
Il y a une grande conviction morale et normative derrière tout cela. L'image de l'honnête commerçant est primordiale, surtout dans le monde des anciennes fortunes. 

Devrait-on en parler davantage, comme le font les riches aux Etats-Unis ?
Non, je trouve cette réserve très positive en Suisse. Nous avons d'autres valeurs culturelles qu'aux Etats-Unis, où l'on a toujours fait preuve d'une plus grande tolérance envers la richesse. La richesse est perçue de manière différente. Beaucoup de gens s'agaceraient si cela devait changer en Suisse.

Il y a 16 managers salariés qui ont fait leur entrée dans la liste des 300 plus riches.
Ces super-managers sont un phénomène nouveau. Cela a beaucoup à voir avec la taille des entreprises. Autrefois, il n'y avait presque pas d'entreprises aussi globales. Un tel manager veut aussi se tailler une part du gâteau. Mais pour cela, il travaille 7 jours sur 7 et passe sa vie dans un avion. Ce n'est pas la vie rêvée de tout le monde.

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