L'UDC a-t-elle viré de bord?
Jean-Luc Addor: «La neutralité, ça ne doit pas être une religion»

Autoriser la réexportation d'armes suisses vers l'Ukraine? Le conseiller national UDC y est devenu favorable, mais pas la majorité de son parti. Cette entorse à la neutralité ne la remet pas en cause, plaide l'élu, mais permet de préserver l'industrie de la défense.
Publié: 29.03.2025 à 13:44 heures
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Dernière mise à jour: 31.03.2025 à 13:34 heures
Jean-Luc Addor prend le contre-pied de son parti, l'UDC, qui chérit la neutralité de la Suisse.
Photo: KEYSTONE
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Myret ZakiJournaliste Blick

Une partie de l’Union démocratique du centre (UDC) tourne-t-elle le dos la neutralité? C’est ce qu’on pouvait penser quand, le 26 mars sur le plateau du PoinG de Laetitia Guinand sur Léman Bleu, Jean-Luc Addor a évoqué la possibilité pour la Suisse de «faire une modeste entorse à la neutralité en autorisant la réexportation d’armes vers l’Ukraine». Ceci, «dans le but de sauver l’industrie de la défense», a plaidé le conseiller national. Une déclaration qui peut surprendre venant d’un influent député UDC, parti qui a lancé l’initiative visant à inscrire dans la Constitution une neutralité immuable et sans exceptions, qui demande que la Suisse ne participe pas aux guerres étrangères.

Contacté par Blick, Jean-Luc Addor s’explique: «Il n’y a pas de solution idéale. La neutralité est nécessaire, car elle reste dans l’intérêt de la Suisse. Mais j'en suis venu à penser que si on fait cette exception que j’estime modeste, on ne remet pas en cause tout l’édifice de la neutralité, qui a survécu à sa pratique parfois… sinueuse durant la Seconde Guerre mondiale. Par contre, on préserve notre industrie de la défense.»

Réexporter oui, sanctionner non

Cette «exception limitée» à la neutralité n’empêcherait pas le parti de promouvoir l’initiative populaire qu’il a lancée, et qui pourrait être votée en 2026. «En réalité, les sanctions contre la Russie et le rapprochement avec l’Otan nuisent beaucoup plus à la crédibilité de notre neutralité que quelques munitions et une poignée de véhicules de transport de troupes en Ukraine», ajoute Jean-Luc Addor. «L’utilité de l’initiative sur la neutralité est là, comme aiguillon, garde-fou et moyen de pression sur le Conseil fédéral face à la dérive atlantiste. Cette utilité subsistera, quelle que soit l’issue de la guerre en Ukraine.»

Le député valaisan admet que sa position au sujet des réexportations d’armes à l’Ukraine «n’est pas, loin s’en faut, majoritaire au sein de l’UDC». Il est vrai que, depuis le début de la guerre, l’UDC s’est opposée, au nom de la neutralité, à la réexportation de 12’400 obus de 35 mm équipant les canons antiaériens allemands, des véhicules blindés livrés au Danemark, et des chars Léopard 2 que la Suisse avait en stock. 

Une Lex Ukraine qui divise

Désormais, cette position évolue, par nécessité, et divise au sein de l’UDC. Surtout depuis qu'a commencé la révision, toujours en cours, de la loi sur le matériel de guerre. Elle porte sur les conditions d’une réexportation vers l'Ukraine en particulier. Avec un enjeu secondaire: une clause sur un possible effet rétroactif de la loi. Une «Lex Ukraine» soutenue par le Parti libéral-radical (PLR), les Vert'Libéraux et le Centre, qui autoriserait ce que les puristes de l’UDC et du droit de la neutralité ont refusé jusqu’ici. 

Jean-Luc Addor n’en fait pas secret: «Il y a des divergences, entre autres, sur les conditions de réexportation et sur la durée de la clause de non-réexportation. Par deux fois depuis fin 2024, la Commission de la politique de sécurité du National a décidé de reporter la décision. Il est prévu que nous en reparlions à la séance de mai.» Dans l’intervalle, le conseiller national espère que son parti aura trouvé un compromis avec le Centre et le PLR. 

L'UDC priorise une armée forte

En arrière-plan, les menaces qui pèsent sur l’industrie suisse de l’armement, dont plusieurs acteurs ont délocalisé leurs activités hors du pays. La faîtière Swissmem a tiré la sonnette d’alarme depuis que l’Allemagne a signifié par écrit au directeur d’Armasuisse que les entreprises helvétiques seraient désormais exclues des achats allemands. Au même moment, d’autres pays, dont les Pays-Bas et le Danemark, boudent les fabricants suisses. «Si on ne peut pas exporter, c’est la mort assurée à terme pour les entreprises du secteur», souligne Jean-Luc Addor.

Quant au grand écart qui consiste à défendre en même temps l’initiative sur la neutralité, le député admet que la position de l’UDC a été très stricte sur ce plan depuis 2022. «Mais face à la situation où se trouve l’industrie de la défense, la priorité pour le pays est de maintenir les sites de production et le savoir-faire chez nous.» Et surtout, ajoute-t-il, «de favoriser un maximum d’autonomie du pays en disposant d’une force de dissuasion, dans un contexte où le rapport de force, au plan international, n’est pas en faveur de la Suisse».

Neutralité, «un moyen, non une fin»

Au final, conclut Jean-Luc Addor, la neutralité doit être un outil de sécurité, non un objet de culte. «Elle est un moyen plutôt qu'une fin. L’objectif n’est pas de s’accrocher à un dogme, mais de rester fidèle à un but: préserver l’indépendance du pays. Et justement, le fait de développer une industrie de la défense solide en Suisse, cela préserve notre autonomie. S’arcbouter sur une conception absolue de la neutralité créerait aujourd'hui un risque pour notre sécurité.»

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