La modification de la loi fédérale sur le matériel de guerre ne fait pas l'unanimité. La droite applaudit et aimerait encore plus d'assouplissement. La gauche veut davantage de conditions et le GSsA brandit déjà la menace du référendum. Le projet prévoit que les pays, principalement occidentaux, qui ont acquis du matériel de guerre suisse, puissent le réexporter dans un Etat tiers, pourvu qu'un délai de cinq ans soit passé depuis la signature de la déclaration de non-réexportation.
Cette modification de loi proposée par la Commission de la politique de sécurité du Conseil national vise à permettre la réexportation de matériel de guerre suisse vers l'Ukraine. Le pays destinataire final doit en effet avoir fait usage de son droit d'autodéfense en vertu du droit international public. Le projet respecte le droit de la neutralité, selon le Conseil fédéral.
Compromis pragmatique
Le Parti libéral-radical (PLR) soutient ce projet qui représente «un compromis équilibré entre les exigences de la neutralité suisse et les impératifs de sécurité internationale», écrit-il dans sa réponse à la procédure de consultation qui s'est terminée lundi. Les conditions posées garantissent, selon lui, que le matériel de guerre suisse ne sera pas utilisé de manière abusive, notamment contre la population civile ou par des Etats violant systématiquement les droits de l'homme.
Le PLR relève que le projet permet de restaurer la confiance des partenaires européens en offrant un cadre prévisible et sécurisé pour la réexportation du matériel suisse, après que le refus de réexportation a provoqué une méfiance croissante de ces derniers. «Cela préservera la compétitivité de notre industrie, en maintenant des emplois et en garantissant que la Suisse conserve sa capacité à produire des équipements de haute technologie indispensables à sa défense» selon le PLR.
Une question de décence
Le Centre soutient lui aussi pleinement «un compromis attendu depuis longtemps». Les exportations d'armes à un pays tiers restent soumises à des conditions strictes, ce qui réduit le risque de trouver du matériel de guerre suisse dans des «contextes indésirables». Mais cette modification contribue à offrir une perspective à la base industrielle indispensable à la défense du pays, selon le Centre.
Elle permettrait surtout aux partenaires internationaux de la Suisse de mettre de l'armement fabriqué en Suisse à disposition de l'Ukraine, sans que cela tombe sous le coup des obligations de la Suisse en matière de neutralité, ajoute le Centre. Selon lui, «c'est une question de décence de ne pas restreindre la liberté d'action de partenaires qui partagent les mêmes valeurs que la Suisse».
La position du PVL est assez semblable, saluant un «compromis qui s'appuie sur les principes de droit international. En complément de ses fortes compétences en matière d'aide humanitaire et de médiation pour la paix, la Suisse ne devrait pas mettre d'obstacles aux Etats qui s'engagent à respecter les mêmes valeurs et qui souhaitent transférer à l'Ukraine du matériel de guerre acquis en Suisse, écrivent les Vert'libéraux.
Libéralisation générale demandéeL'UDC considère que l'assouplissement de la loi sur le matériel de guerre est «un facteur existentiel pour la survie de l'industrie suisse de l'armement. Elle se félicite donc de l'assouplissement de principe».
Cependant, le plus grand parti du pays rejette pour une question de forme l'assouplissement des dispositions de réexportation tel que proposé. Il plaide plutôt pour une libéralisation générale, afin de réduire la bureaucratie pour les entreprises et Etats concernés. La solution proposée reste un «monstre bureaucratique» qui va bien au-delà du droit de la neutralité et qui charge inutilement tous les acteurs impliqués.
Une «Lex Ukraine» ciblée
Le Parti socialiste estime que la Confédération ne doit pas empêcher ses pays partenaires de remettre à l'Ukraine du matériel de guerre autrefois acheté en Suisse. Aux yeux du PS, le projet laisse toutefois trop de marge d'interprétation.
Il demande de trouver une solution qui serve spécifiquement l'Ukraine, plutôt qu'assouplir inutilement la loi sur le matériel de guerre: il s'agit d'adopter une «Lex Ukraine» ciblée, et pas de promouvoir la Suisse en tant que site d'armement.
Les Vert-e-s, eux, s'opposent au projet sur le fond. S'ils se disent prêts à discuter du soutien à Kiev, ils dénoncent un «assouplissement général» des exportations de matériel de guerre et un affaiblissement de la responsabilité envers les armes exportées. «Typiquement, les Etats occidentaux ne renoncent pas au contrôle de leurs exportations d'armements», écrit le parti.
Et de regretter une formulation qui n'est «pas suffisamment précise». Le texte proposé «contient des lacunes graves qui permettraient l'exportation de matériel de guerre vers des Etats que la Suisse ne pourrait actuellement pas approvisionner, par exemple en raison de la situation des droits de l'homme. Cela est en contradiction avec les valeurs humanitaires que la Suisse défend dans sa politique extérieure et de sécurité», écrivent les Vert-e-s.
Le GSsA lancera un référendum
Si les débats au Parlement aboutissent, le Groupe pour une Suisse sans armée (GSsA) «lancera un référendum contre cette décision». Comme pour le PS, il dénonce une absence «d'un contrôle démocratique et des règles claires pour les exportations de matériel de guerre.» Pour le GSsA, «le projet contient de graves lacunes qui permettraient des exportations d'armes vers l'Arabie saoudite».