La «Tribune de Genève» sur le carreau?
Genève veut allouer 10 millions à une fondation pour sauver ses médias

Le Grand Conseil veut créer une fondation pour aider les médias à Genève. Mais la «Tribune de Genève», dont le sort a en partie inspiré le projet, ne serait pas éligible pour une aide financière, contrairement à des quotidiens comme «Le Courrier» ou «Le Temps».
Publié: 29.01.2025 à 15:05 heures
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Dernière mise à jour: 29.01.2025 à 18:56 heures
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L'élue socialiste Caroline Marti estime qu’il est temps de «faire sauter le tabou de l’aide publique aux médias».
Photo: KEYSTONE
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Myret ZakiJournaliste spécialisée économie

Un projet de loi au Grand Conseil veut créer une «Fondation genevoise pour la diversité des médias locaux». Son objectif: «soutenir la création de nouveaux médias et la production de contenu éditorial.» La fondation serait dotée d’un capital initial de 10 millions de francs, attribué par le Conseil d’Etat. A la demande de la fondation et lorsqu’il serait épuisé, il pourrait être renouvelé.

«La situation s'aggrave de jour en jour»

Déposé le 4 novembre 2024, le projet du Grand Conseil, porté par la gauche, est signé par 27 députés socialistes et verts. Son initiatrice, la socialiste Caroline Marti, explique à Blick que l’impulsion est venue des restructurations récemment annoncées chez Tamedia: «La situation s’aggrave de jour en jour pour la presse locale. Les dernières restructurations ont soulevé le risque d’une fermeture de la 'Tribune de Genève'.»

D’où l’urgence d’agir, selon la députée, par ailleurs secrétaire générale du Groupement des coopératives d’habitation genevoises, et membre du comité de l’ASLOCA: «Si les sources de financement traditionnelles ne suffisent plus à maintenir l’activité des médias, nous ne pouvons pas simplement en prendre acte et regarder les journaux fermer.»

Troisième initiative d'aide

Si le projet aboutissait, ce serait la troisième initiative genevoise pour soutenir les médias: en 2019 s’était constituée la fondation Aventinus, soutenue par les fondations Hans Wilsdorf, Leenaards et Jan Michalski, ainsi que par des banquiers privés. Elle avait racheté «Le Temps» et Heidi.news en novembre 2020. 

Un autre projet a été annoncé pour mars 2025 : l’Initiative Médias et Philanthropie de l’Université de Genève, dirigée par l’ex-directeur général de la SSR, Gilles Marchand.

Faire sauter le tabou de l'aide publique

Concernant le nouveau projet étatique de fondation, la députée Caroline Marti, qui considère l’information de qualité comme un bien public, estime qu’il est temps de «faire sauter le tabou de l’aide publique aux médias». Dans le cas précis, souligne-t-elle, il y aurait des garde-fous puisque l’aide passerait par une «fondation indépendante, transparente et d’utilité publique». Celle-ci serait chargée de distribuer les aides financières, accordées pour deux ans renouvelables, à de nouveaux projets de médias, mais aussi à des médias existants, à condition qu’ils soient éligibles.

Les titres des éditeurs non éligibles

Ironie du sort, la «Tribune de Genève», qui appartient à Tamedia, ne serait pas éligible, car le groupe récipiendaire n’a pas le droit de verser des dividendes, ni de rémunérations variables, durant les deux années qui suivent l’aide financière. «On ne peut avoir une fondation publique qui se permet de financer des médias en mains de groupes qui recherchent la rentabilité pour rémunérer leurs actionnaires», souligne Caroline Marti. Les médias touchant une redevance ne seraient pas non plus éligibles. 

En revanche, «Le Courrier», qui survit grâce aux abonnements et donations de ses lecteurs, serait éligible. «Le Temps» et Heidi.news, déficitaires et qui appartiennent à Aventinus, structure à but non lucratif, pourraient se qualifier et ainsi cumuler les soutiens privés et publics. Des radios locales en difficulté et ne bénéficiant pas de la redevance seraient aussi qualifiées.

L'enjeu: rallier la droite

Le conseil de la fondation serait dépolitisé. «Les pouvoirs publics n’y seraient pas majoritaires», souligne l’auteure du projet. Y siégeraient un tiers de personnes nommées par le Conseil d’Etat pour leur connaissance des médias, un tiers de représentant(e)s d’associations de journalistes, et un tiers de personnes tirées au sort pour représenter l’opinion publique.

En réalité, ce projet n’est pas nouveau: Caroline Marti l’avait déjà déposé en 2017, mais il avait échoué en votation, faute de soutien de la droite. «L’enjeu, cette-fois ci, est de rallier la droite», confie la députée de 35 ans. Elle explique que la première mouture visait exclusivement la presse écrite, et posait la condition que le journal soit à but non lucratif. La droite y a vu les prémices d’une «Lex Courrier» et l’a rejetée. 

Le nouveau projet, ouvert aux médias payants qui se financent par les ventes au numéro et par abonnement, mais aussi à la presse imprimée, bien que ce modèle soit en rapide déclin, veut surtout élargir le type de médias éligibles à un maximum de candidats. «Nous avons cherché à naviguer entre les différents impératifs, pour donner une chance à ce projet.»

Fonds privés et communaux

La fondation publique, dont les capacités de financement sont aujourd’hui limitées face à l’ampleur des coûts du financement des médias, pourra compléter ses moyens en levant des fonds auprès de donateurs privés, mais aussi auprès des communes genevoises, qui craignent également la disparition de la couverture de la vie municipale.

Le projet est en traitement au Grand Conseil. S’il est adopté, il entrera directement en vigueur, sans votation des contribuables genevois, sauf s’il y a référendum. Ce sont alors les impôts des contribuables privés et des entreprises de Genève qui financeront la fondation, mais également l’argent que celle-ci aura pu lever auprès d’entités privées et de communes. Si le projet est refusé, il retournera dans les tiroirs du Grand Conseil.

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