C'est un spectacle étrange qui s'est offert aux policiers espagnols lorsqu'ils sont tombés, à la mi-mars, sur une jeune fille dans un piteux état sur un parking de la ville de Coín, dans le sud du pays.
Avec son père, à l'apparence tout aussi négligée, la jeune fille de 17 ans se cachait derrière une voiture dans laquelle ils ont habité. Comprenant qu'il y avait quelque chose de louche, les agents ont donc emmené le père et la fille au poste de police.
La base de données de la police a ainsi révélé que la jeune fille de 17 ans était originaire de Suisse et vivait depuis des années avec son père et ses deux sœurs, coupés de la civilisation. La Suisse avait également évoqué un «risque élevé d'enlèvement» par son père.
Et si la jeune fille est aujourd'hui réapparue après des années de recherche, l'affaire continue à faire des vagues et une question demeure: comment en est-on arrivé là?
Ce genre d'incident peut-il se produire en Suisse?
Même les experts semblent surpris par l'ampleur de l'enlèvement. Patrick Fassbind, président de l'Autorité de protection de l'enfant et de l'adulte de Bâle-Ville, a déclaré qu'il n'avait encore jamais eu affaire à un cas aussi grave, soulignant toutefois que des cas similaires sont tout à fait imaginables dans notre pays: «En Suisse aussi, il est possible de sortir des radars et d'échapper tout contrôle.»
Ainsi, si une famille souhaitant déménager hors du pays sortait des registres officiels, rien ne serait mis en place par les autorités pour vérifier la nouvelle adresse à l'étranger.
Selon Patrick Fassbind, il est possible de se soustraire à la protection de l'enfant en cas de retour en Suisse. Or celle-ci a précisément pour mission de garantir qu'un enfant puisse grandir dans un environnement sain, c'est-à-dire avec une formation scolaire et des interactions sociales.
Même si une telle disparition est théoriquement possible, Patrick Fassbind estime que les probabilités qu'une telle affaire se produise en Suisse sont relativement faibles: «Ce serait un peu plus difficile ici, où le territoire est plus petit, de se cacher dans une forêt pendant une longue période sans se faire remarquer.»
Dans son travail quotidien, il s'occupe plutôt des enfants en situation d'isolement social dans les premières années de leur vie: «Cela peut être dû au fait qu'ils ont grandi dans des milieux sectaires ou radicalisés ou avec des parents atteints de graves maladies psychiques», explique-t-il.
Les enfants de sans-papiers seraient également exposés à de plus grands risques. Dans ce cas, il est difficile, voire impossible, de les insérer dans une classe ordinaire: «Il faut des solutions individuelles pour qu'un enfant se développe suffisamment et pour qu'il s'adapte à la société», résume Patrick Fassbind.
La jeune Suissesse sera placée sous curatelle
Dans le cas de la fillette récemment retrouvée, le temps nécessaire à son adaptation en société risque d'être long. Ruedi Winet, le directeur de l'Autorité de protection de l'enfant et de l'adulte, dans la commune zurichoise de Pfäffikon, affirme que des mesures de soutien ciblées permettent de faire des progrès en matière de langage et de comportement social. Mais il doute que la jeune fille de 17 ans puisse un jour mener une vie normale: «Je crains que cela ne soit difficile.»
Depuis le 3 mai, la jeune fille, qui atteindra sa majorité à la fin du mois, est de retour en Suisse. On ne sait pas comment elle se porte aujourd'hui et où elle a été placée. Les autorités ne se sont pas non plus exprimées sur le sort des deux sœurs.
Ruedi Winet part du principe que la jeune fille sera placée sous curatelle pour adultes, car rien ne laisse penser pour l'heure qu'elle puisse maîtriser sa vie: «Elle a besoin de quelqu'un qui la représente.»