C'est un véritable roman que vous allez lire. L'histoire miraculeuse d'une mère exceptionnelle, partie au Brésil à la recherche de sa fille de 16 mois, enlevée par son père au mois d'août.
Après avoir remué ciel et terre, allant même jusqu'à participer à une émission télé locale alors qu'elle ne parle pas un mot de portugais, Roxane a retrouvé Léa* à Florianopolis le 12 septembre. Mais aussi Vanessa*, sa demi-soeur, née d'une autre maman. Le papa, que nous appellerons Lorenzo, l'avait également kidnappée.
Ce 3 novembre, Roxane nous reçoit dans son appartement bullois. Lauriane, l'autre maman, est aussi là pour témoigner de ce calvaire traumatisant. Durant ce mois de décembre, Blick a pu échanger avec Lorenzo, qui profite toujours de la vie en liberté et cherche une femme à mettre enceinte au Brésil.
La boule au ventre
Reprenons au début du mois d'août. Roxane vit en coloc avec sa boule au ventre et un mauvais pressentiment. La jeune trentenaire doit amener Léa à son père pour les vacances.
«Le 30 mars, il avait déjà enlevé notre fille en entrant de force chez sa maman de jour, raconte Roxane. Ils avaient été retrouvés trois heures plus tard.» Roxane et Lorenzo sont séparés depuis août 2022. Lauriane et lui sont divorcés depuis septembre 2019.
Le samedi 5 août, le Vaudois part en Espagne avec ses deux gamines a priori pour une petite semaine, comme il a été autorisé à le faire et malgré les protestations de Roxane: «Je savais que le risque de ne pas revoir ma fille le 13 août comme prévu à l'aéroport de Genève était élevé.»
«Tu n'as aucun pouvoir ici!»
Les nouvelles sont sporadiques, comme le montrent les captures d'écran de la conversation WhatsApp entre Roxane et Lorenzo. Le vendredi, la tension monte. À 18h29, il lui promet de l'appeler. Elle le relance à 22h17.
Douze minutes plus tard, Lorenzo lui balance, en anglais: «You have no power here! Be gone before someone drops a house on you too!» Une citation menaçante de Glinda, la bonne sorcière dans «Le Magicien d'Oz», protectrice de la jeune princesse Ozma. Qui se traduit par: «Tu n'as aucun pouvoir ici! Dégage avant de te prendre une maison sur la tête, toi aussi!»
Lorenzo ajoute: «Léa est malade et restera donc auprès de moi.» C'est la dernière fois que Roxane recevra un message de sa part. Ses craintes étaient fondées. «Je remarque qu'il ne reçoit pas mes demandes de précisions. Il m'a bloquée.»
«On me rit au nez»
Le lendemain matin, Roxane appelle le 117: «On me rit au nez, on me dit d'attendre.» Dimanche 13 août, l'avion atterrit à Cointrin. Mais pas Lorenzo et les deux fillettes. Au poste de police du terminal, on lui dit de se rendre en terres vaudoises, canton où Lorenzo est résident.
«Là, on me dit de ne pas m'inquiéter, qu'après tout les filles sont avec leur père, qu'il faut attendre, s'agace Roxane. Mais entre-temps, j'ai eu un contact avec la soeur de Lorenzo, qui m'apprend qu'il avait quitté l'appartement qu'il occupait en Espagne avec Léa et Vanessa le vendredi.» Jour de leur dernier échange.
Expérience pénible au poste de police
Roxane n'est pas au bout de ses peines. «On me demande de revenir déposer une plainte le lendemain, parce que c'est dimanche et qu'il est 18h. On me glisse que je l'ai peut-être bien cherché si je l'ai laissée partir avec lui...»
Un avis de disparition est diffusé dans l'espace Schengen vers... 22h. «Finalement, on me recommande de porter plainte dans mon canton de domicile, Fribourg. Je le fais le lendemain, le lundi 14. Le 15, c'était l'Assomption et un jour férié. J'ai un premier contact avec le Ministère public le 16.»
Une lettre d'adieu retrouvée
Ce même mercredi, la copine de Lorenzo, restée en Suisse, se rend chez lui, à Lausanne. Elle y trouve une lettre datée du 5 août, dont Blick a obtenu une copie, qui lui est adressée. Dans son texte d'adieu et de rupture, écrit à la main, Lorenzo lui explique qu'un «mal [le] ronge, un mal de société: celui de ne pas me laisser ma place de père que je mérite!»
Il se dit «lassé» de devoir «livrer bataille» pour la garde de ses filles, alors qu'il préférerait se battre pour «la bonne cause». Le couperet tombe: «Aujourd'hui, je fais le choix de me retirer de ce champ de bataille! En sachant, pourtant, qu'il sera d'autant plus dur et contraignant d'éduquer mes filles hors de ce monde où la vendetta paie!» Il explique aussi vouloir leur offrir un autre style de vie, avec «moins de matériel, mais plus de conscience et de persévérance» et «d'autres cultures».
Une lettre de résiliation de bail est aussi posée là. Il précise qu'il a payé le loyer du mois d'août, mais qu'il faudra s'acquitter de celui du mois de septembre. Et que ses affaires personnelles peuvent être vendues «pour rembourser vos frais actuels et futurs»...
Fraude facile
Dans la foulée, la police fribourgeoise les informe que Lorenzo a pris un vol Madrid-Sao Paulo, le vendredi 11 août. Et qu'il a vidé son compte en banque le 14, là-bas. Comment a-t-il fait pour monter dans un avion à destination de l'Amérique latine avec Léa, qui n'avait pas de passeport et qui ne porte pas le même nom de famille que lui?
Le passeport de Léa a été annulé par Lorenzo auprès d'une représentation suisse en Espagne, apprend Roxane, auprès du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE). «En falsifiant des documents, en présentant une copie de mon passeport — périmé, regarde la date! — et en se faisant passer pour moi grâce à une fausse adresse e-mail, il a réussi à se procurer un passeport provisoire pour la petite.»
Blick a pu consulter la conversation électronique entre le consulat suisse de Madrid et la fausse adresse e-mail au nom de Roxane, ainsi que les documents falsifiés reproduisant son écriture à l'identique. Ça parait facile.
Idéaux écolos
Roxane ne se laisse pas abattre. Elle entre en contact avec l'association Missing Children et plusieurs dizaines de communautés rurales correspondant aux idéaux écolos et sociaux de Lorenzo.
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Avec Lauriane, elles font traduire tous les documents officiels et de justice en portugais. «Pendant trois semaines, nous n'avons plus eu de nouvelles de la police, se souvient Roxane. Le 4 septembre, j'appelle le Département fédéral de justice et police (DFJP) pour savoir si des notices Interpol ont été diffusées. On me dit qu'il ne faut pas que je m'inquiète, que les filles sont avec leur papa...»
Le tournant de l'histoire
C'est le tournant de cette histoire. Piquée au vif, Roxane décide de partir au Brésil. «Le 7 septembre, avec mon copain, on est dans l'avion. Le vendredi 8, j'ai rendez-vous avec une association brésilienne liée à Missing Children, qui lance des avis de recherche sur les réseaux sociaux. Peu après, une femme les contacte. Elle dit les avoir vus le 5 septembre à l'aéroport national de Rio.»
Durant le week-end, avec l'association, Roxane tourne un épisode de l'émission «Domingo espetacular», de la puissante chaîne privée brésilienne Record TV, qui sera diffusée le 17 septembre (que nous ne pouvons reproduire ici puisqu'elle ne garantit pas l'anonymat de Lorenzo). «Je n'étais pas à l'aise, je ne parle pas le portugais, mais j'étais prête à tout.»
Roxane et le vice-consul dans un avion
Le lendemain, lundi 11 septembre, surprise. «Je me rends compte qu'au Brésil personne ne semble au courant des avis de disparition. Je vais donc porter plainte à la police civile. Là, on me prend tout de suite au sérieux. La police fédérale est alertée, les recherches commencent. Je suis aussi en contact avec le consulat suisse.»
Le 12 septembre, rendez-vous avec le chef du bureau d'Interpol de Sao Paulo. Le temps s'accélère. Durant leur rencontre, l'homme l'informe que deux agents ont, à ce moment précis, Lorenzo, Vanessa et Léa «en visuel». Les trois sont sur une plage à Florianopolis, au sud du pays.
«Je me rends au consulat général. Le vice-consul saute avec moi dans le premier avion pour Florianopolis. Sur le tarmac, la police nous accueille, il y a même un agent qui parle français.» Léa et Vanessa l'attendent au poste.
Nouvelle ombre au tableau
Joie. Emotion immense. De courte durée. Une nouvelle ombre vient noircir le tableau. Lorenzo est... libéré.
Pourquoi? Un mandat d'arrêt international avait-il bien été émis? Les versions divergent, les autorités politiques et judiciaires, interrogées par Blick, choisissent de se taire. Mais Loïc Parein, avocat de Lauriane, souligne que le rapport de police du 19 octobre ne fait pas mention de mandat d'arrêt international.
Nouvelle montée de stress
Bref, Lorenzo repart. «Le consul honoraire de Florianopolis nous accueille à son domicile privé, reprend Roxane. Mais le stress remonte un peu.» Comme une procédure est ouverte au Brésil, les gosses pourraient être placées en foyer le temps de l'enquête. Et ça pourrait durer plusieurs mois...
«Le lendemain matin, le vice-consul général m'informe que nous pourrons quitter le pays si nous partons tout de suite.» Direction l'aéroport. «Nous passons l'immigration escrotées par la police fédérale et le 14, à Zurich, Vanessa sautait dans les bras de sa maman.»
«Elle était en état de détresse»
«Quand je l'ai retrouvée, ma fille était dans un état de détresse, raconte Lauriane. Elle pensait qu'elle ne me reverrait plus jamais. Il lui avait non seulement dit que j'étais très malade, mais aussi que j'allais me suicider, comme ma soeur... C'est inhumain!» Toujours selon ce même récit, Vanessa aurait reçu, une fois, un «gros coup à la tête, une grosse claque».
Et, du haut de ses 9 ans, elle aurait aussi été obligée par les circonstances à s'occuper de sa petite demi-soeur de moins de deux ans. «Lorenzo les a même laissées seules une nuit», s'exaspère Roxane.
Son profil Tinder interroge
Toutes, y compris les mères, bénéficient d'un suivi psychologique. Les services sociaux de Fribourg ainsi que le Centre d'aide aux victimes d'infraction (LAVI) les ont aidées financièrement. «Mais on parle de plusieurs dizaines de milliers de francs, et nous ne savons pas à ce stade à quelle hauteur nous pourrons être remboursées», s'inquiète Roxane.
Aux dernières nouvelles, Lorenzo semble filer de beaux jours au Brésil. Sur sa photo de profil WhatsApp, son sourire paraît sincère. Au bas de son profil Tinder, où le fringant trentenaire affiche un corps dessiné par le sport, Lorenzo précise qu'il est à Pirenopolis, dans l'Etat de Goiás. Mais surtout, qu'il utilise l'application de rencontre pour une seule raison: se reproduire («breeding only»).
«Charmant et galant»
C'est aussi sur Tinder que Roxane avait été séduite par ce gars «très beau, intelligent, charmant et galant». Ce mec «qui était aux anges quand je suis tombée enceinte par hasard après trois mois seulement».
Après une période de lune de miel, Roxane et Lauriane disent toutes les deux avoir vécu une relation «abusive» avec un «pervers narcissique», qui avait l'habitude de les tromper. Elles accusent aussi Lorenzo de ne pas s'être occupé correctement de ses filles lorsqu'elles étaient sous sa responsabilité.
Un exemple? «Souvent, Léa revenait de son week-end avec lui les lèvres marquées par la déshydratation, peste Roxane. Elle était aussi épuisée. Lorenzo l'a déjà emmenée avec lui à des soirées entre potes jusque tard dans la nuit.» Par le passé, le droit de visite lui avait été retiré tant pour Léa que Vanessa, avant qu'il réussisse à le récupérer.
La justice a-t-elle fauté?
La justice a-t-elle fauté? «Dans les procédures pour l'octroi de la garde des enfants, il est toujours compliqué de savoir si la crainte d'un enlèvement est fondée ou s'il s'agit d'une stratégie de l'autre partie», répond Marlène Jacquey, avocate de Roxane.
Roxane est très critique envers les autorités suisses. Son avocate ne l'est pas du tout. «Le travail a été fait, assure-t-elle. Mais, pour une mère dont l'enfant a été enlevée et emmenée à l'autre bout du monde, rien ne va assez vite, et je la comprends.»
Représentant de Lauriane, Loïc Parein n'est pas aussi positif. «Malgré toutes les règles internationales et nationales ainsi que les contrôles aux frontières, notamment aux aéroports, il est encore possible aujourd’hui pour un père de sortir sans droit de l'espace Schengen et d'entrer au Brésil avec deux fillettes dont l’une ne porte même pas le même nom de famille que lui!»
No comment du DFAE et du DFJP
Contactés par Blick, le DFAE et le DFJP ne commentent pas les cas particuliers. La police fribourgoise renvoie au Ministère public, qui se borne, lui, à confirmer qu'une «procédure pénale est ouverte contre la personne prévenue pour enlèvement de mineur et enlèvement» et à rappeler la présomption d'innoncence.
La police vaudoise estime de son côté avoir pris l'annonce de la disparition de Léa et Vanessa «très au sérieux», mais regrette que «certains propos tenus par des policiers aient heurté» Roxane. Une séance de médiation a eu lieu.
Deux vidéos des filles dansant
Joint via WhatsApp, Lorenzo ne semble quant à lui pas voir le problème. Le 5 décembre, il élude les questions qui fâchent: «Coucou Amit, tout se passe bien? Le moral est bon? Merci pour ton message! Je suis actuellement en train de voyager, mais te répondrai dès que j’ai un peu de temps.»
Il joint deux vidéos montrant Léa danser devant un écran, sous les yeux de sa demi-soeur, «lorsque nous étions chez notre hôte à Rio». «Vanessa et moi serons de vraies stars du rock, ironise-t-il. Nous sommes déjà passés [...] à la télévision nationale au Brésil et bientôt dans un journal sensationnel! Ça nous fera de jolis souvenirs en tout cas.»
Pour Lorenzo, un séjour de rêve
Considère-t-il avoir enlevé ses deux filles? Pourquoi les a-t-il emmenées au Brésil sans sans en avertir leurs mères? Compte-t-il rentrer bientôt? Quel regard porte-t-il sur ses relations avec Roxane et Lauriane, que celles-ci décrivent comme abusives?
Après une relance, Lorenzo prend la plume. «Vos questions de journaliste me semblent horriblement orientées et je ne peux m’y opposer, car votre exercice consiste à peindre le portrait d’un père kidnappeur et potentiellement abuseur», amorce-t-il.
Avant de suggérer d'autres questions «plus pertinentes». «Comment s’est déroulé notre séjour au Brésil? Comment les filles se sont entendues? Comment ont-elles communiqué, entre elles et avec la population locale? Comment nous ont traités les Brésiliens? Quelle langue avons-nous employé?»
Il en profite d'ailleurs pour y répondre, en décrivant un séjour de rêve, durant lequel la petite Léa a appris de nouveau mots en langage des signes et en anglais, mais aussi des pas de danse.
«Les filles se sont éclatées»
«Quant à [Vanessa], elle m’a épaté par son enthousiasme à apprendre d’autres langues, parmi lesquelles le japonais! Étant moi-même passionné de calligraphie et ayant appris le mandarin à Shanghai, nous nous attelions chaque jour à apprendre un nouveau caractère chinois et à perfectionner les traits qui les composent.» Sans oublier sa capacité à apprendre le portugais et à parler en anglais avec ses «camarades de jeux».
Il a encore d'autres raisons de se réjouir. «Bref, les filles se sont éclatées et nous avons fait de très belles rencontres! [...] Il y a même eu une fois où la police de Rio, nous voyant galérer avec nos bagages, nous proposâmes de nous escorter en véhicule jusqu’à notre hôte Airbnb, quelques pâtés de maisons plus loin! Ce fut fort ironique dans ces circonstances [smiley clin d'œil].»
«La souffrance des pères»
Lorenzo finit par expliquer pourquoi il a fui sur un autre continent avec sa progéniture. Au coeur de son argumentation, «la souffrance des pères», «là pour payer la pension et fermer [leur] bouche», sans possibilité «de se défendre contre la volonté de beaucoup de mères de nuire à [leur] relation avec [leur] enfant.»
Face à une justice suisse qui les «dépouille de [leur argent], mais aussi de [leurs] droits de voir [leur] enfant», Lorenzo a choisi «l'action». «Aussi cruelle et douloureuse soit-elle! Comment puis-je faire en sorte de protéger mes enfants de cette situation maléfique et protéger mon rôle de parent que tout le monde néglige, à commencer par la justice?»
Lorenzo risque 5 ans de prison
Il reconnait toutefois avoir «été une vraie peau de vache avec Lauriane» après la naissance de Vanessa et «regrette avoir dû mentir à ma fille sur la condition d’état de santé mentale de sa maman durant notre voyage et d’avoir brisé le cœur de ma copine lors de mon départ impromptu».
En Suisse, Lorenzo risque jusqu'à cinq ans de réclusion: «Selon moi, il ne sera pas condamné à une telle peine, déplore Marlène Jacquey. Désormais, les deux mères vont devoir vivre avec la crainte qu'il recommence.»
*Prénoms et noms connus de la rédaction.