Des policiers genevois veulent-ils la tête du Procureur général Olivier Jornot? C’est une hypothèse qui ressort d’une lettre datant du 14 mars 2023, dont une copie est parvenue à Blick.
Dans ce courrier, des agents appellent le Conseil supérieur de la magistrature du pouvoir judiciaire de Genève à enquêter sur les «pratiques» du Procureur général Olivier Jornot. Ils dénoncent aussi des problèmes au niveau de la «séparation des pouvoirs». À noter, à ce propos, que le Procureur général siège lui-même dans ce Conseil.
L’impulsion de cette démarche aurait été donnée par la résurgence médiatique de l’«affaire Brandt», comme l’écrivent les auteurs du courrier en introduction. Ils citent entre autres le récent témoignage de Simon Brandt lui-même, sur le plateau de la chaîne de télé locale «Léman Bleu». L'émission avait été diffusée début mars.
Le politicien PLR, également employé administratif à la police de Genève, y revenait sur son arrestation de 2019. Un événement très médiatisé à l'époque, que certains observateurs ont trouvé problématique. Dont des parlementaires, qui ont récemment rendu un rapport à ce sujet.
Dans la missive adressée au Conseil supérieur de la magistrature, on peut lire que «les policiers, eux aussi, ont été confrontés à ce genre de pratique déplacée et arrogante (ndlr: les méthodes du Procureur général, détaillées dans notre enquête sur l’«affaire Brandt»): de surcroît, non respectueuse des principes de proportionnalité.» Les auteurs disent aussi avoir voulu conserver l'anonymat, craignant des «représailles des différentes instances».
Le Procureur et sa brigade personnelle?
Plus précisément, ces policiers mettent en cause la légitimité de l’article 63 de la loi sur la police, en vigueur depuis 2016. D'après lequel l’Inspection générale des services (IGS) — c’est-à-dire la police des polices, qui enquête à l’interne — «est administrativement rattachée au commandant (ndlr: donc à la commandante Monica Bonfanti)». A contrario, ces mêmes agents de l’IGS «ne sont pas rattachés aux services de la police et ne sont pas subordonnés à sa hiérarchie».
Cette disposition, le personnel de police ne l’aurait toujours pas été digérée. «Nous nous posons légitimement la question de savoir si l’Inspection générale des services n’est pas, finalement, au service de Monsieur Olivier Jornot, Procureur général: ce qui poserait un réel problème, notamment sur la séparation des pouvoirs», peut-on lire dans le courrier. Ses auteurs insistent: «lorsqu’il n’y a pas de séparation des pouvoirs, nous sommes dans une crise Constitutionnelle.»
Le Conseil supérieur de la magistrature (dont, rappelons-le, le Procureur général fait lui-même partie) est finalement prié de «se renseigner auprès des diverses autorités compétentes». Autrement dit, des agents des différents services, et du service psychologique de la police. Cela pour évaluer le bon fonctionnement du système judiciaire.
Ainsi que pour «établir une enquête de satisfaction directement auprès des différents fonctionnaires». Objectif: faire la lumière sur les «pratiques» et l’étendue réelle du pouvoir du Procureur général Olivier Jornot.
«Anonyme et imprécise»
Confronté à ce courrier, et contacté pour confirmer sa bonne réception, le service de communication du pouvoir judiciaire genevois botte en touche. Il nous indique simplement que «le Conseil supérieur de la magistrature ne répond pas à ce type de question».
Mauro Poggia, ministre du Département de la Sécurité (DSPS) nous assure quant à lui avoir bien reçu une copie du texte. Il a bien voulu s’exprimer et déplore surtout l’absence de noms en bas de page: «Je laisserai le destinataire principal de cette lettre y répondre s’il le souhaite. Mais je pense que, si l’on veut véritablement mettre en cause le comportement de quelqu’un, il ne faut pas le faire de manière anonyme.»
Il souligne aussi l’imprécision du texte: «Factuellement, cette lettre reste assez floue. C’est une critique d’ordre général. J’en prends acte, mais je n’ai pas d’autre commentaire à faire en l’état actuel.»
Et le magistrat de préciser que, de manière générale, l’on ne donne pas suite aux lettres anonymes adressées à l’État. À moins que des faits graves y soient précisément dénoncés.