Simon Brandt Gate
Un groupe parlementaire juge les méthodes de la police de Genève douteuses

Le groupe parlementaire genevois qui enquêtait sur les méthodes de la police à la suite de «l'affaire Brandt» a rendu son rapport. Dénonçant l'opacité de la police, un manque de bonne séparation des pouvoirs, et l'influence politique sur l'instruction de ce dossier.
Publié: 07.03.2023 à 10:00 heures
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Dernière mise à jour: 14.03.2023 à 14:03 heures
À la tête de la police judiciaire, dont le groupe parlementaire a jugé les méthodes problématiques, on retrouve le Procureur général Olivier Jornot. (Image d'archives)
Photo: keystone-sda.ch
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Daniella GorbunovaJournaliste Blick

À Genève, un groupe de parlementaires enquête, depuis septembre 2020 déjà, sur les «méthodes de la police judiciaire en matière d’interpellations et d’interrogatoires», à la suite de l'«affaire Simon Brandt». Aujourd’hui, il sort son rapport et ses recommandations.

Nous l’attendions, depuis les révélations que nous avons publiées sur cette affaire — et qui se trouvent aujourd’hui être corroborées par les conclusions de cette sous-commission de la Commission de contrôle de gestion (CCG).

Pour rappel, le politicien PLR Simon Brandt, également employé administratif à la police de Genève (et, à l’époque, candidat à la mairie) avait fait l’objet d’une arrestation musclée le vendredi 13 décembre 2019, avec menottes et fouille intégrale.

On le soupçonnait alors d’avoir fait fuiter des documents à la presse, et consulté illicitement une main-courante — ce dont il a été blanchi depuis. Mais cette interpellation, ordonnée par le Procureur général en pleine «affaire Maudet», continue d’inquiéter et de questionner.

Les parlementaires Thomas Bläsi, Charles Selleger et Alberto Velasco ont initialement commencé à instruire ce cas il y a trois ans. Non sans embûches: le 11 janvier 2021, Thomas Bläsi s’en est retiré et a été remplacé par Daniel Sormanni. Le 17 mai 2021, la commission a nommé́ Bertrand Buchs, en remplacement de Charles Selleger, qui a également dû quitter la CCG (et pas de son propre chef, dans ce dernier cas, d’après les informations de Blick).

Leur verdict, après de nombreuses auditions et des documents amassés de toutes parts? Il y a beaucoup trop de zones d’ombre dans cette affaire, et les méthodes de la police judiciaire en matière d’interpellations et d’interrogatoires semblent en effet poser quelques problèmes. Notamment via un non-respect des principes de proportionnalité et d’éthique professionnelle. Le groupe parlementaire dénonce aussi des tentatives d’obstruction à ses travaux…

(Presque) tout le monde y passe

Parmi les auditionnés, on retrouve toutes les personnes étant, de près ou de loin, en cause dans cette affaire. Simon Brandt lui-même, le chef de l’inspection générale des services (IGS), le chef et l’ancien chef de la police judiciaire, la Commandante de la police, le chef des opérations de la police, le Procureur général Olivier Jornot, et enfin le conseiller d’Etat Mauro Poggia (MCG).

Ce dernier avait par ailleurs affirmé au président de la sous-commission Alberto Velasco (PS), en 2020, avant le début des travaux du groupe, qu’il avait lui-même appris cette arrestation dans les médias, et n’en avait pas connaissance au moment des faits.

Mauro Poggia avait aussi assuré, en amont, qu’il «jugeait problématiques l’origine de la fuite (ndlr: de l’arrestation de Simon Brandt dans les médias), la manière dont l’interpellation avait été faite et la disproportion entre les moyens mis en œuvre et l’intérêt public sous-jacent.» A son avis, «l’erreur avait été de confier ce type d’intervention à la police judiciaire qui avait manqué de sens de la mesure».

En parlant d’entraves au travail des parlementaires, à noter cependant que «le sous-officier inspecteur chargé de l’interpellation et de l’interrogatoire de Simon Brandt a signifié à la sous-commission son refus de répondre à la convocation qu’elle lui avait adressée. Ce refus a été cautionné par courrier du conseiller d’Etat en charge du DSPS, Mauro Poggia», peut-on lire dans le rapport.

Fouille douteuse et abus d’autorité

Le «cas Brandt» étant un cas d’école pour cette sous-commission, elle a enquêté sur des aspects précis de l’arrestation (dont vous pouvez retrouver la description détaillée dans notre enquête).

À savoir: la fouille corporelle (intégrale) et plus largement l’étrange mandat d’amener du Procureur général Olivier Jornot – ayant servi à interpeller Simon Brandt – qui ne serait pas proportionnel à la situation. Le menottage, le rôle de surveillance de l’Inspection générale des services (IGS) dans le cas d’une mission de soutien et l’absence d’enregistrements audio et vidéo des interrogatoires et auditions.

Puis le droit d’être assisté par un avocat, dénié à Simon Brandt pendant la majeure partie de son interpellation, les fuites médiatiques en cours d’instruction, l’arrestation de Simon Brandt s’étant retrouvée en une des journaux avant même qu’elle ne se termine. Un abus d’autorité de la part des inspecteurs, et finalement des entraves à l’action de haute surveillance — c’est-à-dire au travail de la présente sous-commission.

Opacité et obstruction

Ce qui a conduit la sous-commission à formuler des recommandations, surtout pour ce qui est de la bonne séparation des pouvoirs et de l’éthique de la police, principalement.

Ces conclusions ont été votées à la majorité, par les représentants de tous les partis au sein de la sous-commission… Sauf le PLR, dont trois députés se sont opposés à ce rapport, et un s’est abstenu. Les voici:

  • «Le rôle de haute surveillance de l’Etat confié au pouvoir législatif doit impérativement être respecté par les pouvoirs exécutif et judiciaire. Cela implique le respect des prérogatives des commissions de contrôle du Grand Conseil et de l’indépendance des députés.»
  • «Le rôle de haute surveillance de l’Etat doit, dans le cadre d’une commission d’enquête, pouvoir s’exercer indépendamment de l’organisation interne des représentations politiques au Grand Conseil. Les compétences des députés nommés dans une commission d’enquête doivent prévaloir sur leur appartenance politique.»

  • «Lors de ses travaux d’investigation, d’interpellation et d’interrogatoire, la police judiciaire ne devrait pas faire apparaître des motifs politiques sous-jacents.» (ndlr: Ce point fait référence à ce que nous révélions dans notre enquête: à savoir que Simon Brandt a été interrogé sur l’affaire Pierre Maudet pendant son interrogatoire.)

  • «Dans son action, la police judiciaire doit s’astreindre à respecter non seulement les règles de procédure, mais également les principes de proportionnalité et d’éthique professionnelle.»

  • «Les processus de fouille corporelle et d’audition des personnes prévenues doivent faire l’objet d’un enregistrement audio.»

  • «Les locaux de la police où transitent des personnes interpellées doivent disposer d’une vidéosurveillance.»

  • «Le secret de l’instruction doit bénéficier d’une protection totale, et les violations de ce secret doivent systématiquement faire l’objet d’une enquête approfondie par les services de police ou par le Ministère public.»

  • «La gestion des affaires sensibles devrait être exclusivement confiée à l’IGS (ndlr: Inspection générale des services, qu’on surnomme la police des polices), du début à la fin du traitement du dossier.»

  • «Dans le cas où une personne élue serait visée par une procédure pénale et empêchée de se rendre à une séance plénière, sa cheffe ou son chef de groupe devrait immédiatement en être informé afin de pouvoir organiser son remplacement.»
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