«Pour beaucoup de locataires, chaque franc compte»
Il n'y a jamais eu autant de contestations de loyers en Suisse

En Suisse, les loyers sont devenus plus chers en de nombreux endroits, entraînant un boom des litiges entre locataires et bailleurs. Les parties doivent souvent être patientes auprès de l'office de conciliation. Une experte fait le point sur ce phénomène. Interview.
Publié: 23.03.2024 à 06:06 heures
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En moyenne, le nombre de procédures a augmenté de 46% au deuxième semestre 2023, par rapport au premier, d'après une nouvelle enquête de la Confédération.
Photo: imago images/Future Image
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Andri Gigerl

«Un déluge de demandes», «nettement plus» ou «exceptionnellement élevé»: ce sont le type de réponses qu'a reçu le «Beobachter» après son enquête auprès des offices de conciliation suisses ces dernières semaines. Ce sont les autorités compétentes eux en cas de litiges en matière de bail à loyer et contrats de location. Et le moins que l'on puisse dire, c'est qu'ils n'ont rarement connu autant de demandes qu'aujourd'hui.

En moyenne, le nombre de procédures a augmenté de 46% au deuxième semestre 2023, par rapport au premier, d'après une nouvelle enquête de la Confédération. La raison? Le taux d'intérêt de référence qui, après avoir baissé pendant des années, a augmenté deux fois en 2023. Ce taux reflète les coûts hypothécaires des propriétaires et sert de base à tous les loyers. Une potentielle augmentation peut donc être répercutée sur les locataires. Les offices de conciliation l'affirment: il n'y a jamais eu autant de contestations de loyers.

A Lucerne, les cas ont triplé au deuxième semestre 2023 par rapport au premier. Barbara Pfister Piller est la présidente de l'office cantonal de conciliation du canton alémanique. Pour Blick, elle explique ce que signifie l'explosion des demandes pour les bailleurs et les locataires. Interview.

Barbara Pfister Piller, le canton de Lucerne a enregistré 3x plus de procédures de litiges en matière de bail à loyer. C'est énorme. Les bailleurs ont-ils exagéré avec les augmentations de loyer, selon vous?
Je ne peux pas généraliser. C'est très variable, et cela dépend des motifs de l'augmentation. En règle générale, il y a trois raisons majeures pour justifier une augmentation de loyer. 

Lesquelles?
On cite normalement l'adaptation au taux d'intérêt de référence, le renchérissement et l'augmentation des coûts. Nous constatons que le point le plus complexe concerne les bailleurs qui font souvent des erreurs de calcul, surtout en ce qui concerne l'augmentation des coûts. Parfois, les augmentations ne sont pas tout à fait conformes à nos usages.

De quels montants parle-t-on?
C'est très variable. Il existe des cas où la différence ne concerne que quelques francs. Mais on ne doit pas les minimiser pour autant: pour beaucoup de locataires, chaque franc compte.

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«Le taux d'intérêt de référence conduit inévitablement à des changements brusques et donc à des vagues de contestations comme celle que l'on traverse en ce moment»
Barbara Pfister Piller, présidente de l'office cantonal de conciliation à Lucerne
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Sentez-vous que la hausse des loyers inquiète les gens?
Oui, beaucoup, et leur préoccupation a augmenté. Le loyer est toujours quelque chose qui nous touche de près. Et avec toutes les contestations actuelles, de l'argent est en jeu. Les émotions sont fréquemment impliquées dans ces cas-là. 

Quel est le délai aujourd'hui à Lucerne dans le cas d'une procédure de contestation de loyer?
Actuellement, il est d'environ quatre à six mois, jusqu'à l'audience. Nous nous efforçons de rationaliser les procédures et avons engagé plus de personnel afin de pouvoir convoquer les parties plus rapidement. Mais c'est un fait: en raison des nombreuses contestations, les délais sont actuellement nettement plus longs. En temps normal, on compte plutôt deux mois.

Le système des offices de conciliation fonctionne-t-il encore?
Oui, je considère que les offices de conciliation sont un modèle de réussite. Sur les cas du deuxième semestre 2023, plus de 90% ont été résolus au niveau de la conciliation et ne sont pas allés jusqu'au tribunal. C'est une décharge massive pour les tribunaux. Mais en ce qui concerne le taux d'intérêt de référence, la politique doit peut-être déjà réfléchir à des alternatives.

Pourquoi donc?
Après l'expérience des six derniers mois et le nombre massif de cas, on peut se demander si on est sur la bonne voie. Le taux d'intérêt de référence conduit inévitablement à des changements brusques et donc à des vagues de contestations comme celle que l'on traverse en ce moment. Ce n'est pas une situation optimale et cela rallonge les délais d'attente pour les négociations.

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« Si les parties se réunissaient et discutaient dès le début de la procédure, trois ou quatre mois avant l'audience, cela nous éviterait de tels scénarios»
Barbara Pfister Piller, présidente de l'office cantonal de conciliation à Lucerne
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Voyez-vous un potentiel d'abus dans les délais d'attente actuels? Par exemple, des procédures lancées intentionnellement pour retarder des résiliations?
En général, je n'ai pas l'impression que des procédures soient lancées sciemment pour en tirer ensuite un avantage. Si nous constatons qu'il y a des abus liés au retardement, notamment si le renvoi est repoussé plusieurs fois, nous fixons des limites et convoquons les personnes concernées. Aussi, les contestations de résiliation sont une tout autre priorité: nous les privilégions toujours.

Que peuvent faire les locataires et les bailleurs pour désengorger les offices de conciliation?
Tout d'abord, il faut être patient. Nous avons énormément de cas à traiter en ce moment, et forcément, cela prend du temps. Le délai est long, ne serait-ce que pour recevoir une confirmation que votre demande a été reçue. Il faut le comprendre et s'y préparer.

Et sinon?
Nous avons souvent des cas où les parties se mettent d'accord quelques jours avant l'audience de conciliation. C'est en principe une bonne chose, mais cela ne nous soulage malheureusement pas. Le cas est alors déjà analysé, l'audience préparée et le temps trop court pour en fixer une nouvelle entrevue à ce moment-là. La commission de conciliation est ainsi bloquée. Si les parties se réunissaient et discutaient dès le début de la procédure, trois ou quatre mois avant l'audience, cela nous éviterait de tels scénarios. 

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