Polémique après une chronique dans Blick
Le Grand Conseil ne tranche pas entre Jessica Jaccoud et Éric Cottier

Après une chronique acerbe pour Blick de la présidente du Parti socialiste vaudois, Jessica Jaccoud, sur le bilan du Procureur général du canton, Éric Cottier, ce dernier avait saisi le Grand Conseil. Son Bureau a décidé... de ne rien décider.
Publié: 11.02.2022 à 17:07 heures
La présidente du Grand Conseil Laurence Cretegny ne prend pas position.
Photo: Keystone
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Antoine HürlimannResponsable du pôle News et Enquêtes

Cette prise de position du Bureau du Grand Conseil vaudois était très attendue. Malheureusement, la mollesse des mots adressés à l’ensemble des députées et députés ce vendredi après-midi ne satisfera probablement pas grand monde.

Après une chronique au vitriol de Jessica Jaccoud contre l’action pénale du Procureur général, Éric Cottier, publiée par Blick, le chef du Ministère public avait saisi le parlement. La raison? Éric Cottier invoquait et dénonçait une menace sur l’indépendance de la justice pour justifier son initiative auprès du législatif. Sans surprise, la présidente du Parti socialiste vaudois ne faisait pas la même analyse et assumait pleinement ses propos.

Jessica Jaccoud, présidente du Parti socialiste vaudois et députée.
Photo: Keystone

Il était donc attendu du Bureau du Grand Conseil qu’il se positionne en arbitre. Jessica Jaccoud, qui est également députée, avait-elle vraiment le droit de tacler le Procureur général, qui devrait se retirer à la fin de l’année? Éric Cottier a-t-il surréagi en saisissant le parlement, comme le martèlent plusieurs figures de la gauche cantonale?

Beaucoup de bruit, mais…

Aucune réponse précise n’est donnée. Il faut essayer de lire entre les lignes. «Étant profondément attaché à la séparation des pouvoirs et au respect des institutions, le Bureau rappelle ici que le Ministère public est l’autorité chargée de mener l’instruction pénale et de soutenir l’accusation, tâtonne-t-il dans sa missive. Pour mener à bien cette mission, le Ministère public doit jouir d’une totale indépendance dans l’exercice de ses tâches légales.»

Le Bureau souligne ensuite que le fonctionnement des institutions repose sur «un équilibre subtil permettant aux différents pouvoirs de fonctionner dans le respect des prérogatives qui sont les leurs». Il poursuit sur sa ligne de crête: «Les propos tenus dans la presse, ces derniers jours, ont semé le doute sur l’aptitude du Grand Conseil et de ses membres à ne pas vouloir peser sur l’indépendance juridictionnelle du Ministère public. Ce dernier point tient particulièrement à cœur du Bureau du Grand Conseil: la liberté d’expression des députées et députés en regard de l’activité de l’État est garantie, mais doit respecter des limites, notamment en matière d’indépendance juridictionnelle du Ministère public.»

Pas content! Pas content!

Résumons ces quelques points. Le Ministère public doit être indépendant. Soit. Les parlementaires peuvent critiquer l’activité de l’État mais ne doivent pas trop marcher sur les plates-bandes du Ministère public. D’accord. Mais cela ne nous dit toujours pas si, dans le cas d’espèce, la frontière a été franchie ou non.

Eric Cottier, Procureur général du canton de Vaud.
Photo: Keystone

Laissons le Bureau terminer sa leçon de langue de bois: «Nous espérons ainsi que cet épisode permettra de sensibiliser l’ensemble des actrices et acteurs de notre État à la nécessité d’une certaine retenue, spécialement en période de campagne électorale, de renouvellement des autorités et de révision légale judiciaire majeure.»

En conclusion, le Bureau du Grand Conseil «souhaite exprimer son mécontentement de devoir se saisir d’un pareil dossier, alors que les institutions sont confrontées à devoir gérer une crise sanitaire sans précédent depuis deux ans».

Il rebondit: «De nombreuses possibilités existent pour que les échanges se fassent dans un cadre plus adéquat, par exemple lors de l’examen, chaque année, du rapport du Ministère public, et nous vous invitons à les privilégier.» De là à dire que les députées et députés ne peuvent s’exprimer sur un sujet politique que quand il est à l’ordre du jour, il n’y a qu’un pas.

«Gérer cette situation inédite»

Au final, beaucoup de grandes déclarations pour pas grand-chose. Ne tirons pas la prise pour autant. Jessica Jaccoud est-elle allée trop loin, oui ou non? «Je vous laisse seul juge, rétorque à Blick Laurence Cretegny, présidente libérale-radicale du Grand Conseil. Vous avez reçu toutes les informations dans la lettre et la note transmises à la presse.»

Laurence Cretegny, présidente libérale-radicale du Grand Conseil. (Photo d'archive)
Photo: Keystone

Elle argumente: «Il n’appartient pas au Bureau du Grand Conseil de porter un jugement en tant que tel. Nous avons essayé de trouver un chemin pour gérer cette situation inédite, de façon à avancer de la plus juste des manières. Et nous tenions à rappeler l’importance de la séparation des pouvoirs. Désormais, au niveau du Bureau, cette affaire est close.»

Concernant l'appel au calme maintenant. Est-il vraiment judicieux de demander aux parlementaires cantonaux d’adopter une forme de retenue lorsqu’ils critiquent l’action de l’État? «L’ambiance n’est pas la même en période de campagne, avance Laurence Cretegny. Certaines et certains veulent peut-être davantage s’exprimer que d’habitude, c’est leur droit. Mais les députées et députés doivent montrer l’exemple malgré tout. Nous devons toutes et tous faire attention, je me mets aussi dans le panier.»

De son côté, Jessica Jaccoud n’en démord pas. «J’affirme depuis le début que le Bureau n’a aucune compétence pour être saisi du dossier, appuie-t-elle. Il le confirme aujourd’hui en ne rendant aucune décision. Concernant maintenant la liberté d’expression des députées et députés: la seule limite, c’est l’interdiction de l’appel à la haine, à la discrimination et à la violence. La critique du pouvoir n’en fait pas partie.»

La présidente du parti à la rose en profite pour tancer l’appel à la retenue émis par le Bureau. «On ne met pas la démocratie en sourdine, tonne-t-elle. Les éventuelles critiques et appels aux changements doivent pouvoir exister et être audibles. Je prends cette remarque comme une invitation partisane — le Bureau est à majorité de droite — à ne pas bousculer l’ordre établi.» L'épilogue de cette polémique institutionnelle ne semble toujours pas poindre au bout du tunnel.


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