Une annonce remarquée et puis plus rien. Depuis que Pierre Maudet a communiqué sa volonté de partir à l’assaut du Conseil d’Etat genevois et du Grand conseil avec sa liste, Libertés et Justice sociale, c’est le silence radio.
Que compte entreprendre l’ancien magistrat s’il devait être élu en avril prochain? A quoi ressemble le nouveau Pierre Maudet? Hier banni du gouvernent, à la suite de la tristement célèbre affaire du voyage à Abu Dhabi, aujourd’hui blanchi par la justice genevoise – quand bien même le Ministère public a fait appel de cette décision auprès du Tribunal fédéral, le quadragénaire se veut rassembleur.
Nous le rencontrons dans «ses» locaux, un espace de coworking au cœur de Genève. Il nous parle de son programme, de son projet de caisse maladie publique et des préoccupations des Genevoises et des Genevois qu’il affirme avoir entendus.
Pourquoi ce retour en politique? Est-ce que vous en avez tant besoin?
Il n’y a pas vraiment de «retour», puisque en réalité, je n’ai jamais cessé de m’investir dans la sphère publique. Ces deux dernières années, j’ai rencontré un grand nombre de Genevoises et de Genevois. Ils m’ont communiqué leurs problèmes et leurs attentes. Aujourd’hui, il est question de leurs besoins, pas des miens.
Et quels sont leurs problèmes et leurs attentes, selon vous?
En résumé, les gens veulent que les richesses de cette ville leur bénéficient. Aujourd’hui, les inégalités se creusent, au détriment d’une classe moyenne qui disparaît. Dans un canton riche, cela signifie que les ressources ne sont pas redistribuées équitablement. Nous nous sommes trop reposés sur nos acquis… il est donc logique que ces derniers soient en train de fondre. Désormais, il nous faut exploiter nos atouts.
Quand vous dites «nous sous sommes trop reposés sur…», vous parlez aussi de vous, non? Le pouvoir, il était quand même aussi entre vos mains.
En ce qui me concerne, j’ai plutôt fait bouger les lignes – c’est aussi qui m’a valu de vives oppositions. Pour moi, se reposer sur ses acquis, c’est rester dans l’entre-soi. Les questions d’accessibilité sont dès lors essentielles.
D’accessibilité à quoi?
Certaines personnes sont exclues du marché du travail, par exemple, de par leurs origines, leur âge, leur parcours… Il faut reconnaître qu’on prend souvent les gens issus du même milieu, dans les sphères d’influence. C’est dommage. C’est se priver de talents. Dès lors, il faut faire un effort d’accessibilité et aller les chercher dans toutes les strates de la société.
Vous dites que Genève doit exploiter ses atouts. Quels sont-ils?
La richesse de sa diversité. C’est un petit territoire, mais un territoire d’une diversité incroyable. Que ce soit celle de ses habitants ou de ses entreprises.
Vous vous voyez comme une sorte d’homme providentiel?
Pas du tout. D’ailleurs, je ne me lance pas seul, mais entouré principalement par des citoyens, rencontrés ces deux dernières années. Des personnes qui ont des compétences et l’envie de faire bouger les lignes.
Mais vous admettez avoir eu ce sentiment, par le passé? Que tout tournait autour de vous?
Ce qui est certain, c’est que le pouvoir, ça isole. Entre les exécutifs de la Ville et du canton, j’ai fait 14 ans de législatures. Le fait d’en être sorti brutalement dans les circonstances que vous connaissez, croyez-moi, ça transforme. Ça oblige à se reconnecter à certaines réalités. Et surtout, ça force à beaucoup d’humilité…
… ce qui n’était pas vraiment votre fort, de base.
Ce qui n’était peut-être pas très naturel chez moi, il faut le reconnaître, oui.
La politique, c’est lent, c’est pénible. Votre passage chez WiseKey ne vous a pas convaincu des vertus du privé? On peut pourtant y faire des grandes choses rapidement, non?
Je suis toujours chez WiseKey et je suis ravi de poursuivre cette expérience au sein d’une entreprise de cybersécurité. Mais il ne faut pas idéaliser le privé, ni l’opposer au public.
C’est-à-dire?
L’avantage du secteur privé, c’est qu’il peut aller vite. Mais je ressens aussi, à travers le privé, le besoin que l’Etat fixe un cadre pour que la concurrence s’exerce de manière régulée. Ce besoin de régulation, on le voit aussi bien dans le domaine qui est le mien qu’avec la crise énergétique.
Parlons de votre projet. Sur votre site web, on a l’impression qu’il se dessine un peu à tâtons. Ça ne ressemble pas tellement à Pierre Maudet, le fonceur structuré…
Les quatre piliers du mouvement Libertés et Justice sociale sont clairement posés: la santé, le logement, le travail et la formation. Dans ce cadre, l’idée ce n’est pas de faire des promesses, auxquelles d’ailleurs plus personne ne croit, mais de proposer des projets quantifiables et réalisables. Ceux-ci seront dévoilés peu à peu.
Le premier grand projet que vous dévoilez, c’est celui d’une caisse maladie publique. C’est un truc de gauche, ça, non?
Ce n’est pas un truc de gauche, comme vous dites, c’est une question de pragmatisme. Pour moi, cela remet l’Etat au centre, et d’ailleurs, en ce sens, cela s’inscrit dans la grande tradition radicale. Car, pour ce qui est de la santé et de ses coûts, qui impactent tout le monde, on a besoin d’un État solide et garant de la transparence. Ça n’est pas du tout le cas aujourd’hui. Pour les citoyens il y a une opacité totale sur les coûts. Genève doit lancer un projet pilote. Une caisse publique, c’est la garantie de la transparence et d’une meilleure maîtrise des coûts. Pour certaines familles à Genève, le montant des primes est plus élevé que le montant de leur loyer. Ce n’est plus tenable.
Si on veut bouleverser le système, ça n’est pas une caisse unique qu’il nous faut?
Mais il faut bien commencer quelque part, pour sortir de l’immobilisme.
Le peuple avait rejeté l’idée d’une caisse unique il y a 8 ans. Qu’est-ce qui vous permet d’y croire aujourd’hui?
Il y a 8 ans, les réticences étaient avant tout idéologiques. Aujourd’hui, de plus en plus d’acteurs de la santé s’accordent pour dire que la caisse publique serait une manière de sortir de l’impasse, sans devoir augmenter les impôts.
Changer le système: beaucoup ont essayé, tous ont échoué. Pourquoi s’attaquer à un truc impossible?
Quand j’ai lancé l’opération Papyrus – qui visait à régulariser les sans-papiers – on me disait que c’était impossible, malgré le fait que la question était identifiée de longue date. Eh bien, nous l’avons fait, parce que tout le monde a admis que cela répondait à un besoin, et que ça mettait fin à une hypocrisie. Il faut partir de là: des besoins. En matière d’assurance maladie, les besoins sont évidents. Et la classe moyenne ne peut plus suivre. Il n’est pas admissible que certaines personnes renoncent à se soigner parce que les primes sont trop élevées. À terme, cela va conduire à de vrais problèmes de santé publique, qui auront un coût économique considérable. La solution, c’est baisser les primes, pas augmenter les subsides.
D’accord, la santé touche tout le monde, mais votre mouvement Libertés et Justice sociale, est-il de gauche ou de droite?
Se positionner sur ce clivage gauche-droite, c’est rester dans les schémas traditionnels. Et justement ce qui parle aux gens avec cette liste c’est l’idée de sortir des blocages partisans et de construire des passerelles.
Donc, vous êtes le nouveau MCG? Ni de gauche, ni de droite.
La question n’est pas là, ce n’est pas la même histoire. Ce que nous disons, c’est qu’il faut sortir de cette politique politicienne pour initier des projets susceptibles de dépasser les clivages. C’est une démarche constructive, pas une démarche contre. Des idées, il y en a des bonnes et des mauvaises partout. À gauche comme à droite.
Le nouveau Maudet est populiste, en somme.
Si le populisme, c’est un humanisme, une proximité populaire et une recherche de réponses concrètes aux problèmes que les gens rencontrent, alors ça me va.
Vous voulez dépolitiser la politique, c’est ça?
Au contraire, je pense qu’il faut la repolitiser, la rendre à nouveau concrète. Repolitiser, ça veut dire réintégrer une approche citoyenne. Partir, à nouveau, des réalités, de ce que vivent les gens. Et les faire participer. La démocratie ne peut pas se contenter de 33% de taux de participation.
Est-ce qu’il faudrait introduire le vote obligatoire à Genève?
Obliger, cela ne sert à rien. Il faut donner envie. C’est différent.
Faire de la politique «autrement», comme vous en avez l’ambition, c’est bien joli, mais est-ce possible au sein des institutions?
Même s’il n’est pas très «sexy», il y a en effet un chantier institutionnel à lancer, car les institutions correspondent de moins en moins à la réalité. Il y a 20 ans, c’est pour cette raison que je défendais la fusion Vaud-Genève, par exemple. Je vous rassure, je ne compte pas ressusciter l’idée, mais je reste convaincu qu’il faut voir grand. Un autre projet de Libertés et Justice sociale en est un bon exemple: la construction d’une nouvelle unité de production hydroélectrique transfrontalière, pour ménager la facture des Genevois. Nous devons changer d’échelle dans notre manière de réfléchir.
Créer une sorte de groupe intergouvernemental à l’échelle de la région lémanique, c’est ça l’idée?
À l’époque, j’aurais pondu de belles matrices pour structurer les choses. Aujourd’hui, comme je vous l’ai dit, je pense qu’il faut avancer par projets, pas à pas, et non pas empiler les couches de pouvoir, qui deviennent toujours des freins. Avec Libertés et Justice sociale, nous voulons aussi créer un pilier de prévoyance employabilité pour financer des nouvelles formations en cours de carrière, ou encore lancer une haute école dédiée au numérique. La Poste, qui recrute des informaticiens au Portugal, alors que des jeunes ne trouvent pas d’emploi ici, cela ne va pas.
Ce côté très rassembleur, c’est le nouveau Maudet, ou c’est juste une astuce pour siphonner des voix un peu partout?
C’est une question un peu bizarre. Déjà parce que je pense avoir prouvé que j’étais rassembleur par le passé, et puis parce que rassembler, c’est l’essence même de la politique. La seule manière d’évoluer. Tout l’enjeu, c’est que le dénominateur commun ne produise pas que de l’eau tiède.
Le Conseil d’Etat 2023 en mode «rassemblé», il ressemblerait à quoi? Si vous êtes élu, vous y retrouverez certaines vieilles connaissances, qui vous ont poussé dehors…
Le gouvernement, c’est n’est pas une addition de conseillers d’Etat. Lorsque j’y siégeais, j’avais essayé d’établir un programme de législature. Nous avions fixé une logique de binômes sur certains sujets. Il me semble que c’est une bonne logique, et c’est pour ça qu’on ne fait pas campagne pour un département, mais défendre des politiques publiques.
Deux ans d’absence, c’est long… et c’est très court. Vous n’avez pas peur que votre nom soit associé à un gros ras-le-bol?
Mais, l’enjeu, ce n’est pas moi. L’enjeu de ces élections, c’est d’arriver à répondre aux attentes des Genevois et des Genevoises en termes d’emploi, de logement, de formation, de santé. C’est pour cela que la liste Libertés et Justice sociale s’est créée. C’est pour cela que des citoyens ont le courage de se lancer à mes côtés. Et, au final, c’est le peuple qui décidera.