Elections cantonales à Genève
Pourquoi Maudet revient et ce qu’il devra faire s’il veut être élu

C'est officiel: après plus de deux ans «d'absence» de la scène politique genevoise, Pierre Maudet repart à l'assaut du Conseil d'Etat. Pourquoi se lance-t-il? Que devra-t-il faire pour y parvenir? Notre analyse.
Publié: 28.09.2022 à 15:57 heures
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Dernière mise à jour: 28.09.2022 à 22:41 heures
Pierre Maudet repart à l'assaut du Conseil d'Etat genevois.
Photo: KEYSTONE
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Michel JeanneretRédacteur en chef

Jamais, jusqu’ici, un absent n’avait été aussi présent. Faites le test. Prenez rendez-vous avec tout ce que Genève compte comme femmes et hommes politiques et vous verrez: invariablement, la discussion dévie sur une seule et unique personne. Pierre Maudet.

Comme si cette classe politique genevoise, hier impatiente de tourner la page de la fameuse «affaire», souhaitait secrètement le retour de son principal protagoniste. Par ennui? Par masochisme? Par besoin?

Le test évoqué ci-dessus, nous l’avons réalisé. Notre média s’étant lancé tout récemment sur les fertiles terres genevoises, Daniella Gorbunova — notre correspondante — et moi avons fait ce qu’on pourrait appeler de manière populaire la «tournée des popotes» pour nous présenter et comprendre comment fonctionne ce canton. Nous avons modestement saisi une chose: au-delà de sa mécanique complexe, Genève, à l’image d’un chien à l’affût, attendait avec impatience celui qui vient d’annoncer son retour en politique.

Et c’est là que prend fin la métaphore de la chasse. Car Maudet ne revient pas en proie, mais en prédateur. Pourquoi celui qui a payé très cher ses petites cachotteries autour du plus célèbre voyage «privé» qu’Abou Dhabi ait connu revient-il en politique, et que devra-t-il faire pour être élu? Voici quelques pistes d’explications subjectives et sujettes à débat.

Six raisons pour un objectif

Si Pierre Maudet a décidé de faire son grand retour, c’est parce qu’il a compris que le terreau lui était favorable. Voici les six raisons qui l’ont très certainement poussé à se lancer.

  1. Le Conseil d’Etat genevois est faible. On pensait que, libérés de leur encombrant camarade et de «l’affaire» qui n’en finissait pas, les membres du gouvernement allaient se révéler. Las. En dehors d’Antonio Hodgers et de Mauro Poggia, l’exécutif apparaît aussi terne que faible.

    Pire: sans Pierre Maudet, le Conseil d’Etat semble avoir perdu son énergie, incapable de dégager une vision d’avenir pour le canton et la région. Sans projet, fonctionnant en silos, les membres du Conseil d’Etat administrent plus qu’ils ne gouvernent, et le peuple pourrait le leur reprocher concrètement en avril prochain. La brèche était évidente, Maudet n’allait pas la rater.

  2. La droite, la gauche, les nuances de vert = des proies faciles. Divisés comme toujours, incapables de faire alliance, les partis bourgeois sont à la merci du premier coup de vent. Rappelons que leurs élus eux-mêmes rappellent à qui veut l’entendre que «la droite genevoise est la plus stupide de Suisse». Les plumes pourraient donc tomber. Isolés, l’UDC et le MCG sont même menacés de disparition (comprenez qu’ils pourraient ne pas atteindre le quorum fixé à 7%).

    Plus solide, l’autre côté de l’échiquier se frotte les mains à l’idée que Maudet divise encore un peu plus la droite. Mais les failles sont là: déjà rachitique, la gauche de la gauche n’arrive toujours pas à se mettre d’accord sur l’application moderne du marxisme, le PS n’a plus rien de prolétaire et les Verts pourraient ne pas profiter pleinement de la préoccupation universelle autour de l’environnement, à cause des Vert'libéraux (un parti rassurant pour la majorité de la population, qui veut sauver la planète sans toucher à son petit confort personnel).

    Dans cette atomisation de la classe politique se cachent des opportunités pour l’ancien membre du PLR. Il pourrait faire un joli coup au Grand Conseil.

  3. Le PLR genevois est super raplapla. A entendre les élus libéraux-radicaux, tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes au PLR, et la période Maudet (bien que peu volontiers abordée par les élus) appartiendrait au passé. En insistant un peu, la position officielle du parti, bien sagement récitée, se craquelle pour laisser la place aux cicatrices.

    L’éviction de l’enfant prodige du radicalisme a réveillé les démons d’une fusion qui, bien que datant de 2009, n’a jamais véritablement pris à Genève, terre où les radicaux, plus urbains et rassembleurs que dans les autres cantons, n’ont cessé de faire le trait d’union entre le socialisme et le libéralisme depuis le XIXe siècle.

    Le PLR reste divisé en coulisses et affaibli par «l’affaire», comme en témoigne la création du parti sécessionniste L’Elan Radical. Bien que l’existence de ce dernier soit anecdotique, elle brouillera le message d’unité du PLR auprès des électrices et des électeurs. Autant d’opportunités pour celui qui signe son come-back.

  4. Pierre Maudet a été blanchi par la justice. Bien qu’un recours soit pendant auprès du Tribunal fédéral (ultime baroud d’honneur d’un Ministère public genevois désavoué), c’est en homme innocent que le citoyen Maudet se présentera devant le peuple, puisque la justice genevoise l’a acquitté le 11 janvier dernier. Une condition sine qua non pour se représenter.

    Même s’il ne le claironnera pas lui-même sur tous les toits, ses soutiens auront beau jeu de le présenter comme la victime d’une cabale politico-judiciaire orchestrée par ses adversaires (souvent au sein même de son parti) et par son ennemi intime, le procureur général Olivier Jornot. Un statut de victime qui légitime son retour.

  5. Pierre Maudet s’ennuie. Les plus critiques diront que c’est parce qu’il n’a rien d’autre dans la vie (ce qui n’est pas encore un crime). Les plus honnêtes reconnaîtront que Pierre Maudet est profondément attaché aux institutions, à l’action publique et qu’il est aussi ambitieux pour son canton que pour lui-même (ce qui n’est pas rien…).

    Pierre Maudet devait prouver qu’il allait se relever rapidement de son départ du conseil d’Etat le 29 octobre 2020 (rappelons que c’est lui qui a démissionné) et que son seul projet ne serait pas de toucher sa rente de ministre. En s’engageant chez WISeKey, une société de cybersécurité, on peut soupçonner qu’il a davantage voulu tuer dans l’œuf toute polémique et s’assurer un minimum de calme, que s’engager dans un job-passion qui l’aurait tenu durablement éloigné de la politique.

    Manifestement pas rassasié, Pierre Maudet a d’ailleurs créé la fondation PALM en parallèle de son travail. Un signe annonciateur, puisque cette structure a pour but de «promouvoir la réflexion politique» en dehors du cadre institutionnel. Il ne l’aura pas quitté longtemps.

  6. Pierre Maudet a balisé le terrain comme l’officier qu’il est. Lorsqu’il s’est présenté aux partielles pour être candidat à sa propre réélection, le 7 mars 2021, Pierre Maudet a réalisé un excellent score, faisant mordre la poussière au PLR. De quoi le conforter dans la possibilité d’un retour.

    La permanence qu’il avait ouverte pour écouter les préoccupations des Genevoises et des Genevois pendant la brève campagne qui avait précédé l’élection partielle lui avait valu pas mal de quolibets, mais elle lui a permis de prendre le pouls des préoccupations de personnes généralement peu entendues par la classe politique… et d’engranger une sacrée base de données, véritable petit trésor de guerre quand on n’a plus accès à celle de son parti.

Un retour qui reste périlleux

Tous ces feux verts ont certainement encouragé Pierre Maudet à faire son grand retour, mais ce dernier reste périlleux. Pour triompher, il lui faudra s’assurer au minimum que ces quatre conditions soient réunies:

  1. Un changement d’image. Voilà, à coup sûr, le principal défi pour Pierre Maudet: convaincre que son retour ne plongera pas Genève dans une boucle temporelle digne du film «Un jour sans fin». Et, pour poursuivre l’analogie, que les Genevoises et les Genevois n’assisteront pas non plus à la saison 2 de «l’affaire», qui était objectivement une mauvaise série psychodramatique avec de biens piètres acteurs, Pierre Maudet au sommet de la distribution.

    Pas facile de rassurer. Il faudra davantage à Pierre Maudet qu’une barbe de trois jours et l’abandon de la cravate pour convaincre qu’il a pris acte de ses erreurs et qu’il est un autre homme. Son retour ne devra sentir ni la revanche, ni l’arrogance. Un dernier point qui nécessite un exercice d’équilibriste puisqu’il lui faudra s’inscrire en rupture, dénoncer l’incurie du Conseil d’Etat et de la classe politique en général. Difficile de ne pas paraître arrogant.

    En résumé, Pierre Maudet réussira-t-il à se présenter comme une meilleure version de lui-même? Ce point sera central pour la réussite de sa campagne. Car c’est sur tout ce qui précède (et non sur le fond, qu’il pourrait bien dominer de la tête et des épaules) que l’attaqueront ses opposants.

  2. De l’argent. Une campagne politique coûte cher. Certaines sources estiment que le PS dépensera un demi-million lors des prochaines élections, le PLR aux alentours de 800’000 francs. On imagine mal Pierre Maudet lever une telle somme, mais il lui faudra compter au moins 100’000 francs pour le conseil d’Etat, probablement le double pour le Grand conseil.

    Difficulté supplémentaire: pour démontrer son indépendance, l’ancien membre du PLR — qui sera scruté comme jamais et rendra publics ses comptes de campagne — va devoir multiplier les petits et moyens dons. Quota de dix mille pas dans la journée assuré pour le quadragénaire. Son excellent réseau au sein des PME genevoises, et dans les milieux économiques en général, lui sera précieux.

  3. Des gens prêts à s’engager. Si Pierre Maudet veut faire autre chose que de la figuration, il lui faudra des candidats au Grand conseil. Ces élus potentiels seront sa carte de visite pendant et après la campagne. On peut imaginer qu’il en recrute chez l’adversaire, mais il devra également présenter de nouveaux visages au CV solide. Une denrée rare. Pour l’instant, aucun nom ne figure sur l’annonce officielle qu’il a faite sur son propre site internet.

  4. Des citoyennes et des citoyens au rendez-vous. Voilà peut-être la plus grande inconnue: les Genevois ont-ils seulement tourné la page de «l’affaire», ou ont-ils également tourné celle de son principal protagoniste? A l’époque des faits, ont-ils eu marre de la première comme du deuxième? En s’accrochant à son siège, sûr de son droit (à juste titre), persuadé de pouvoir se maintenir au pouvoir (un mauvais calcul), Pierre Maudet a généré un agacement qui a certainement rendu son retour un peu plus compliqué. Sa candidature permettra de voir si le peuple genevois est passé à autre chose. Ou pas.
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