«Infraction mineure»
Un Capverdien n'aura pas son passeport à cause d'un pare-brise gelé

Un homme originaire du Cap-Vert a été amendé par la police durant l'hiver 2019 pour des vitres partiellement dégivrées à Bulle. Cette légère infraction a été lourde de conséquences.
Publié: 18.11.2021 à 13:55 heures
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Dernière mise à jour: 18.11.2021 à 14:00 heures
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Un pare-brise mal dégivré aura coûté sa naturalisation à un ressortisssant capverdien (image prétexte).
Photo: Keystone
Ladina Triaca

Il faisait froid et il était encore tôt en ce matin d'hiver 2019. Louis Fernandes* gratte la couche de glace des vitres de sa voiture. «J'ai nettoyé les vitres de manière à bien voir dehors», confie-t-il à Blick. Satisfait, il part en direction de son travail à Bulle.

Mais il n'est pas allé loin. En cours de route, il est stoppé par des policiers qui lui ont demandé de mieux nettoyer son pare-brise. Il sera condamné à 300 francs d'amende plus une peine de cinq jours-amende avec sursis pour n'avoir que partiellement dégivré son pare-brise et sa vitre latérale gauche. Une peine exécutée dans le cas de récidive durant une période probatoire de deux ans.

Une sanction lourde de conséquences

Louis Fernandes est irrité: «Je n'ai jamais eu d'accident, je n'ai jamais été flashé, j'ai seulement eu quelques amendes de stationnement que j'ai toujours payées.» L'incident aurait pu rester qu'un simple sujet d'irritation si cette amende n'avait pas eu des conséquences encore plus lourdes pour ce Capverdien, arrivé en Suisse en 2010.

Notre protagoniste obtient un visa et épouse une Suissesse après quelques mois. Ils s'installent dans le canton de Fribourg. En 2018, il dépose une demande de naturalisation facilitée auprès du Secrétariat d'Etat aux migrations (SEM). Cette procédure est possible après un mariage avec une personne suisse, pour autant que la personne étrangère se trouve en Suisse depuis au moins cinq ans et que l'union remonte à trois ans.

Le SEM a conseillé de se retirer

Louis Fernandes avait toutes ses chances d'obtenir le passeport suisse. Mais un an et demi après le dépôt de sa demande, il reçoit une lettre du SEM. Celle-ci explique qu'une naturalisation n'est possible qu'avec un casier judiciaire rigoureusement vierge. En cause: sa peine avec sursis pour des vitres givrées. On lui recommande donc de retirer sa demande et de retenter après l'expiration du délai probatoire. Mais le cap-verdien s'obstine. Et perd. Les autorités rejettent sa demande, en se basant sur cette infraction à la loi sur la circulation routière. Elles précisent également qu'elles trouvent ses connaissances générales de la Suisse maigres et qu'il n'entretient pas assez de contacts avec des Suisses.

«J'ai l'impression d'être traité comme un criminel»

Une décision qu'il ne comprend pas: «Je sais que j'aurais dû mieux nettoyer les vitres, mais je me sens traité comme un criminel».

Son affaire est remontée jusqu'au le Tribunal administratif fédéral à Saint-Gall, qui a également rejeté son recours. Si le jugement admet bien qu'il ne s'agit que d'une infraction «mineure», il n'en conclut pas moins que la décision était justifiée. L'ordonnance sur la nationalité est intraitable: aucune intégration réussie ne peut être acceptée tant qu'une période probatoire n'a pas expirée.

«Les juges n'ont pas fait leur travail»

L'avocat de Louis Fernandes, Pierre Serge Heger, trouve le contenu du jugement ridicule, mais n'est pas surpris. Les critères de naturalisation ont été renforcés dans le nouveau droit de la nationalité et son entrés en vigueur en 2018. «Les juges ont appliqué les critères du règlement, et ils sont relativement clairs».

Fanny de Weck est d'un tout autre avis. L'avocate est spécialisée dans le droit de la migration et active au sein de l'association «Vierviertel», qui s'engage pour des naturalisations facilitées. Selon elle, «les juges n'ont tout simplement pas fait leur travail». La tâche des juges aurait été d'interpréter l'affaire conformément à la Constitution, c'est-à-dire d'évaluer la proportionnalité de la décision. «Au lieu de cela, les juges évaluent l'affaire de manière machinale. Ils ne soulèvent même pas la question de la proportionnalité!»

La commune d'Arth a été réprimandée

L'avocate fait en outre remarquer que, selon le Tribunal fédéral, une naturalisation doit toujours faire l'objet d'une évaluation globale. «Une demande ne peut pas être refusée pour une petite chose isolée - comme ici la conduite avec un pare-brise pas complètement dégivré».

En effet, l'année dernière, le Tribunal fédéral a blâmé les autorités d'Arth, commune de Schaffhouse, qui avaient refusé le passeport suisse à un Italien parce qu'il ne savait pas, par exemple, que les ours et les loups vivaient dans le même enclos au parc animalier de Goldau. Les juges fédéraux ont estimé qu'il n'était pas admissible de se focaliser sur un seul critère pour déterminer un manque général de connaissances géographiques et culturelles suisses, à moins que celui-ci n'ait une grande importance.

Louis Fernandez ne sait pas s'il va retenter sa chance

Pour Louis Fernandez, l'argumentation juridique est moins importante que les conséquences concrètes de la décision. «J'ai payé 900 francs pour la demande de naturalisation, 300 francs d'amende pour le pare-brise givré, les frais d'avocat et de justice de 1000 francs. Tout ça pour rien».

Son avocat et lui ne porteront pas l'affaire devant le Tribunal fédéral. Notamment parce que la période probatoire a expiré en février et que le Capverdien peut maintenant déposer une nouvelle demande de naturalisation facilitée. Il réfléchit actuellement à la question de savoir s'il souhaite entreprendre à nouveau cette procédure.

* Nom modifié

(Adaptation par Jocelyn Daloz)

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