Mario Irminger parle de la restructuration
Migros veut ouvrir de nouveaux magasins sur l'arc lémanique, confie son patron

Mario Irminger a mis le groupe Migros sens dessus dessous. Dans l'interview, il parle des réactions des personnes concernées et révèle où le géant orange prévoit de nouveaux magasins et ce qui attend les clients en 2025, l'année de son jubilé.
Publié: 15.12.2024 à 12:44 heures
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Mario Irminger (à gauche), président de la direction générale de la Fédération des coopératives Migros, en interview avec le rédacteur économique Thomas Schlittler (à droite).
Photo: Philippe Rossier
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Thomas Schlittler et Philippe Rossier

Monsieur Irminger, vous allez fêter votre 60e anniversaire au printemps prochain. Les années finissent par se mélanger quand on prend de l'âge! Quels sont les temps forts de votre carrière que vous n’oublierez jamais?
Hmm... (Il réfléchit un instant) Ce sont sans doute les années où j’ai accepté un nouveau défi sur le plan professionnel: en 1996, j’ai pu découvrir les activités commerciales chez Heineken. En 2010, j’ai commencé chez Denner en tant que directeur financier et suis devenu CEO un an plus tard. Et puis bien sûr en 2023, lorsque j’ai été nommé président de la direction générale de la Fédération des coopératives Migros.

Que pensez-vous de votre année 2024?
C’était sans aucun doute une année exceptionnelle. La nouvelle société Supermarché SA a été lancée. Nous avons annoncé que nous cherchions de nouveaux propriétaires pour mettre en place différents formats. En automne, nous avons en plus pu présenter notre nouvelle stratégie pour notre activité principale, les supermarchés. Mais toutes ces choses, nous les avions déjà entreprises en 2023.

En raison de la restructuration du groupe dont vous êtes responsable, de nombreuses personnes ont perdu leur emploi. Comment gérez-vous cette situation? Y a-t-il des rencontres qui vous sont restées en mémoire?
Pas un moment isolé, mais l’ensemble m’a pesé. J’ai reçu des réactions émotionnelles de la part de personnes concernées qui ne comprenaient pas que cela les touche. Je peux le comprendre. Mais je suis convaincu que les décisions prises étaient justes et nécessaires.

Des femmes enceintes et en congé maternité ont également été licenciées – et ce dans une coopérative dont le fondateur s’était engagé en faveur du «capital social». Quelle est l’ampleur du préjudice subi pour l’image de Migros en 2024?
Les licenciements de femmes enceintes et de femmes en congé maternité étaient des cas isolés. Je le regrette beaucoup. Dans de telles situations, des erreurs peuvent se produire et nous devrions être plus conciliants dans leur gestion. Je ne peux pas juger de l’ampleur des dommages causés à l’image de la marque. Mais j’ai reçu de nombreuses réactions de collaborateurs et de clients qui estiment que la transformation était la seule chose à faire.

Une partie de la transformation est terminée. Vous avez trouvé des acheteurs pour SportX, Melectronics et Bike World. Quel est votre bilan intermédiaire?
Tout d’abord, je suis fier d’avoir fait bouger Migros en nous séparant des marchés spécialisés, nous pouvons à nouveau mieux nous concentrer sur notre activité principale. De plus, nous avons trouvé de bons acheteurs pour SportX, Melectronics et Bike World, et donc de bonnes solutions pour nos collaborateurs et la clientèle.

Comme les acquéreurs n’ont pas repris toutes les filiales, vous avez maintenant de nombreuses surfaces de vente vides. Qu’en faites-vous?
Nous nous débarrassons aussi des surfaces vides mieux qu’on ne pourrait le penser! Il y a par exemple des pharmacies, des drogueries et des petits magasins qui les ont reprises. Dans le domaine du sport, Ochsner Sport a été intéressé, mais aussi Decathlon, un autre grand fournisseur qui s’étend et qui est intéressé par de plus grandes surfaces.

La chaîne de droguerie allemande Rossmann veut ouvrir 100 magasins en Suisse d’ici cinq ans. Le patron de l’entreprise, Raoul Rossmann, a laissé entendre que Migros n’était pas particulièrement désireuse d’avoir son entreprise comme locataire.
C’est évident: avec notre offre en supermarché, mais aussi avec nos pharmacies Medbase, nous nous ferions nous-mêmes concurrence avec un fournisseur comme Rossmann dans nos locaux.

La vente d’Hotelplan n’est pas encore conclue. Il est cependant entendu que le groupe allemand Dertour devrait entrer en matière. Pouvez-vous le confirmer?
Nous ne pouvons pas donner d’informations sur les négociations en cours. Il faut encore que les autorités procèdent à quelques clarifications. En Grande-Bretagne, par exemple, où le groupe Hotelplan est également actif, un changement de propriétaire dans le secteur du voyage nécessite une autorisation administrative afin d’éviter des dommages pour les consommateurs. Nous ne pourrons donc probablement pas communiquer la vente avant le premier trimestre 2025.

Dertour possède déjà Kuoni. En cas de rachat d’Hotelplan, le groupe aurait environ 150 filiales en Suisse. Comment allez-vous éviter un démantèlement massif après le rachat?
Comme je l’ai dit, je ne souhaite pas spéculer sur les acheteurs potentiels et les éventuelles conséquences qui en découleraient. Mais à chaque vente, nous essayons de trouver la meilleure solution possible pour les clients et nos collaborateurs. Pour préserver les emplois, nous serions même prêts à accepter un prix de vente plus bas.

Dans le cas de la filiale industrielle santé et bien-être Mibelle, le défi est grand: le secteur des cosmétiques est attractif, mais pas vraiment celui des lessives dans votre section «Home Care» ou encore de la margarine dans le pôle nutrition. Arriverez-vous à trouver quelqu’un pour acheter l’ensemble?
Avoir un seul acheteur serait le cas idéal. Mais nous n’excluons pas non plus plusieurs acheteurs. Ici aussi, il s’agit de trouver la meilleure solution pour la clientèle et les collaborateurs.

Est-il envisageable que vous conserviez finalement le secteur des lessives et des produits d’entretien?
Non, j’exclus cette possibilité.

En octobre, vous avez annoncé que le prix de plus de 1000 produits serait baissé jusqu'au «niveau discount». Pour combien de produits cette promesse a-t-elle déjà été tenue?
Jusqu’à présent, seulement dans l’assortiment des produits frais. Mais d’ici fin janvier, environ 500 produits devraient voir leur prix baisser, en premier lieu dans le secteur alimentaire. D’ici l’été 2025, nous voulons atteindre des prix bas pour bien plus de 1000 produits.

Pour les fruits et légumes, vous signalez les «prix bas» par un panneau jaune bien visible. Appliquez-vous cela à tous les produits?
Bien sûr. Dans les grands magasins Migros, on finira par trouver plus de 1000 panneaux jaunes indiquant les prix bas. Nous investissons 500 millions de francs par an dans la réduction du prix de nos produits, cette dernière doit donc être visible.

En tant que patron de Denner, vous avez fait importer du Coca-Cola directement de République tchèque et de Pologne. Est-ce que cela est aussi envisageable chez Migros?
Le supplément imposé à la Suisse et les marges bénéficiaires des fabricants de marques sont encore très élevés. Les importations parallèles ne sont donc pas exclues chez Migros non plus. Ce sont des moyens de pression possibles pour obtenir des prix plus bas pour notre clientèle. Mais nous essayons avant tout de parvenir à nos fins par des négociations cohérentes.

A propos de Denner: que pensent vos anciens collègues de la baisse de prix de Migros? Ils ne doivent pas vraiment s’en réjouir...
Je n’ai pas eu de réactions désagréables.

Probablement parce que personne n’ose dire ce qu’il pense au chef.
Je ne pense pas (rires). C’est plutôt parce que la lutte permanente pour le leadership en matière de prix fait partie de l’ADN de Denner. Les baisses de prix de Migros ne sont donc pas si décisives pour Denner, le discounter leader en Suisse. De plus, l’entreprise dispose de suffisamment de critères de différenciation: l’assortiment est très différent dans certains domaines, et Denner possède en outre des magasins plus petits. Je ne pense donc pas que Denner perdra des parts de marché à cause de Migros.

La présidente de Migros, Ursula Nold, a déclaré il y a quelques semaines que la demande en fruits et légumes avait augmenté de 7% depuis l’action sur les prix bas. Existe-t-il vraiment des chiffres fiables après si peu de temps?
Oui, nous enregistrons une croissance positive. Il est en outre intéressant de constater que cela augmente encore plu dans les filiales situées à proximité de la frontière. Cela montre que notre offensive sur les prix a des effets et qu’elle est aussi un moyen de lutter contre le tourisme d’achat. Je tiens toutefois à souligner que nous ne nous concentrons pas uniquement sur les prix. Nous travaillons également sur la qualité de l’assortiment et voulons en outre nous développer fortement, avec 140 magasins plutôt petits.

Aujourd’hui, il y a déjà une Migros ou un Migrolino à chaque coin de rue. Où voyez-vous un potentiel?
Dans les agglomérations qui ont connu une forte croissance démographique ces dernières années. Autour de la ville de Zurich, de Baden à Wetzikon, nous avons du retard à rattraper, notamment dans les communes du lac de Zurich ainsi que dans le nord de Zurich. En Suisse centrale, nous sommes sous-représentés dans le canton de Zoug. En Suisse romande, nous sommes généralement moins présents, notamment dans la région lémanique. En 2030, il y aura environ 200’000 ménages supplémentaires pour lesquels Migros sera le magasin d’alimentation le plus proche. Une équipe spécialisée travaille à la recherche d’emplacements appropriés.

Vous empruntez également de nouvelles voies en matière de développement durable. Lors d’un entretien avec Blick, le nouveau chef de ce secteur a même annoncé que le rôle de «pionnier écologique» devait être abandonné par la Migros. On a l’impression que ce sujet vous laisse plutôt indifférent.
Cette appréciation est complètement fausse. Le développement durable est une affaire qui me tient à cœur et qui reste une priorité au sein de Migros. Nous voulons laisser à nos enfants un monde où il fait bon vivre. C’est pourquoi nous sommes en train de développer une stratégie de développement durable pour l’ensemble du groupe, pour la toute première fois.

Mais vous ne voulez plus entendre parler du label bio prévu pour les produits provenant de l’étranger, et les alternatives végétales à la viande sont placées moins en évidence dans les supermarchés.
Cela ne signifie pas que la durabilité nous est indifférente. Mais ce n’est pas notre rôle de commerçant d’éduquer nos clients. Nous voulons proposer ce qui est demandé en grandes quantités. Et certains des produits mentionnés ne sont pas beaucoup achetés en comparaison.

Tous ces changements sont aussi une critique de vos prédécesseurs. Mais de nombreux anciens décideurs ont retrouvé un poste de carde au sein de la Migros. Comment expliquez-vous cela à un simple employé qui a perdu son job à cause des transformations?
Nous ne critiquons pas des personnes en particulier, mais nous essayons de justifier pourquoi nous changeons certaines choses.

Les quelques incursions hors de Suisse de Migros, ainsi que les engagements étrangers à la branche, ne se sont en général pas très bien passés. Comment comptez-vous empêcher de telles situations à l’avenir? D’un point de vue purement juridique, les coopératives régionales pourront continuer à décider elles-mêmes comment et où elles investissent leur argent?
Il existe désormais un consensus au sein du groupe sur le fait que nous ne devons être actifs que dans des domaines d’activité dans lesquels nous disposons de suffisamment de compétences. A l’étranger, la prudence est particulièrement de mise. Au cours de ses presque 100 ans d’existence, Migros a tenté x fois de s’implanter à l’étranger, mais nous avons rarement réussi. Cela laisse penser que nous devrions nous concentrer sur la Suisse.

Mais vous n’appliquez pas vous-même ce credo: il y a quelques semaines, vous avez donné le feu vert à Digitec Galaxus, la filiale de Migros, pour quatre années supplémentaires en Allemagne.
Si Digitec Galaxus se développe en Allemagne, les clients en Suisse en profiteront également. Cette expansion est donc un cas particulier. De plus, nous sommes convaincus que nous pouvons nous imposer face à de grands concurrents internationaux comme Amazon ou des fournisseurs chinois. Nous y parvenons d’ailleurs aussi en Suisse: Digitec Galaxus n'est pas impacté par la nouvelle concurrence que représente Temu. Nous proposons un meilleur assortiment, des délais de livraison plus rapides et un très bon service clientèle. Ces qualités sont également recherchées en Allemagne.

Les pertes de démarrage en Allemagne s’élèvent à plus de 100 millions de francs. Combien d’argent supplémentaire avez-vous mis à la disposition de Digitec Galaxus?
C’est un montant substantiel que nous ne préciserons pas.

En Suisse, Digitec Galaxus a connu une croissance très rapide. Qu’en est-il de la rentabilité?
Bien que Digitec Galaxus n’existe que depuis 2001, nous avons réalisé l’année dernière en Suisse un chiffre d’affaires de 2,4 milliards de francs. Cette année, nous allons à nouveau connaître une croissance à deux chiffres. C’est impressionnant. Et grâce à cette croissance fulgurante, Digitec Galaxus est dans les chiffres noirs et se dirige vers une marge bénéficiaire conforme au marché de 1,5 à 2%.y

Nous avons commencé l’entretien par votre anniversaire. Pour terminer, une question sur le grand anniversaire de Migros en 2025: à quoi pouvons-nous nous attendre pour le centenaire?
Pour l'occasion de l'anniversaire, pleins de mesures seront mises en place. Laissez-vous surprendre début 2025!

Juste un petit aperçu: Y aura-t-il des rabais? Il y aura apparemment une grande fête pour les collaborateurs.
Nous prévoyons les activités les plus diverses. Des promotions intéressantes pour la clientèle en sont une, mais aussi des événements surprenants. Ce sera très large. Mais je ne peux pas encore en dire plus.

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