Goethe était déjà convaincu que «c'est la contradiction qui nous rend productifs». L'économie suisse montre que Goethe avait raison. Selon une étude approfondie, le marché du travail suisse manque de main-d'œuvre qualifiée, alors que des milliers de Suisses cherchent un emploi. Comment expliquer ce constat?
«Nous devons prendre des contre-mesures avant que ces phénomènes ne deviennent des problèmes substantiels pour l'économie suisse», avertit Pascal Scheiwiller, CEO de la société d'outplacement von Rundstedt & Partner, qui aide les salariés à se réorienter professionnellement après un licenciement.
Pascal Scheiwiller et son équipe ont interrogé près de 2000 managers RH et cadres en Suisse afin de déterminer où se situent les plus grandes zones de tension sur le marché du travail.
Polarisation
La pénurie de main-d'œuvre qualifiée, dont on parle beaucoup, masque le fait que des centaines de milliers de personnes aimeraient travailler, mais ne le peuvent pas. Selon le Secrétariat d'État à l'économie (Seco), le chômage se situe certes à un niveau record de 2%. Mais cette statistique ne tient pas compte des cas structurels de chômage: les femmes qui souhaitent réintégrer le marché du travail après une pause maternité, les personnes en fin de droit, ou tous ceux qui sont employés temporairement, à temps partiel ou payés à l'heure et qui souhaiteraient travailler davantage.
Si l'on tient compte de ces personnes, on obtient ce que l'on appelle le taux de manque de travail, qui est actuellement de 8,7% selon l'Office fédéral de la statistique. Cela représente 441'000 personnes.
«Pour ces personnes, il peut être parfois cruel de lire en permanence qu'il y a une pénurie de main-d'œuvre qualifiée, mais de ne pas trouver soi-même de travail», explique Pascal Scheiwiller. Selon lui, la raison de la polarisation entre pénurie de main-d'œuvre qualifiée et chômage est le changement structurel du marché du travail à mettre sur le compte de la transition numérique. «Les profils d'emploi changent complètement», explique l'expert. Et ceux qui ont un ancien profil se retrouvent en difficulté.
Moins de travail, plus de burnouts
Plus d'un tiers de la population active travaille aujourd'hui à temps partiel. Au début des années 1990, ils n'étaient qu'un quart. Pourtant, les maladies liées au stress ne diminuent pas. Elles augmentent même.
28% des collaborateurs sont «durablement surchargés», selon l'enquête. «Les entreprises sont conscientes de la situation de stress croissante, mais ne font rien pour y remédier», critique Pascal Scheiwiller.
Culte de la branche
Il est clair qu'un menuisier ne devient pas boucher du jour au lendemain. Mais qu'il ait du mal à passer de la production de meubles à la menuiserie industrielle est surprenant. Pourtant, c'est exactement ce qu'il se passe: 67% des entreprises indiquent dans l'enquête que l'expérience du secteur est un critère incontournable lors du recrutement. Les candidats qui possèdent une expérience fonctionnelle mais qui viennent d'un autre secteur ont moins de chance.
Même la pénurie de personnel qualifié n'a jusqu'à présent que peu changé la situation de l'économie suisse. «Cela montre que le besoin des entreprises n'est pas aussi grand qu'elles nous le font croire», suppose Pascal Scheiwiller. Il demande que les firmes prennent également en considération les candidats qui ne remplissent pas parfaitement le profil requis. «Mais la volonté des entreprises à embaucher des gens qu'il faut ensuite former est faible.»
Dilemme de l'âge
Pour combler le déficit démographique sur le marché du travail, les employés devraient travailler au-delà de l'âge de la retraite, mais les entreprises n'en veulent pas du tout! «Le seuil critique se situe à 57 ans, après quoi il devient difficile de trouver un nouvel emploi», explique Pascal Scheiwiller.
Cette situation ne s'est guère améliorée malgré le manque de personnel qualifié. Il n'en reste pas moins que 87% des personnes interrogées dans le cadre de l'enquête indiquent qu'il est urgent de trouver des solutions pour pallier cette situation catastrophique.