L'un des derniers jours de travail de Valentin Vogt en tant que président de l'Union patronale suisse est aussi l'un des plus chauds de l'année. L'équipe de Blick transpire déjà en se rendant au siège du patronat à Zurichberg (ZH). Les nombreux combats que le grand chef a menés au cours de ses 12 années à la tête de l'entreprise lui ont pourtant rarement donné des sueurs froides. Depuis des années, Valentin Vogt trône à son bureau, au milieu de quelques affiches des votations les plus controversées.
Valentin Vogt, quels ont été vos plus grands succès en votation?
Ce sont certainement le rejet des six semaines de vacances et du salaire minimum légal. En 2014, le peuple suisse a dit non à ce projet à 76%.
Les villes de Zurich et de Winterthour viennent d'approuver un salaire minimum. Prévoyez-vous des problèmes dans la mise en œuvre?
Les syndicats ne semblent accepter ni les décisions du peuple, ni les conventions collectives de travail négociées avec nous, les employeurs. Ils tentent maintenant d'atteindre leur objectif d'un salaire minimum généralisé par le biais de projets cantonaux et communaux. Cette démarche se transformera en but contre leur propre camp. Pourquoi nos associations sectorielles devraient-elles négocier des conventions collectives de travail si celles-ci sont ensuite annulées par les syndicats via des salaires minimums cantonaux et communaux?
C'est donc aussi une sorte de défaite. Quel a été le plus douloureux de vos échecs?
L'initiative contre l'immigration de masse. Nous l'avons perdue de justesse. Mais c'est aussi la seule votation sur la politique européenne que j'ai perdue pendant mon mandat.
L'UDC se mobilise une fois de plus contre l'immigration – un danger pour la place économique suisse?
Ces tentatives sonnent à chaque fois le début d'une nouvelle année électorale (rires). Le thème central de l'UDC est l'immigration, mais il s'agit de maintenir le niveau de vie et la prospérité en Suisse. Notre pays n'a jamais été aussi agréable à vivre qu'aujourd'hui: nous disposons d'une infrastructure exceptionnelle, de transports publics remarquables et d'une prospérité sans précédent pour la grande majorité de la population.
Sans immigration, nous ne pourrions pas maintenir ce niveau de vie?
Nous serons toujours tributaires de l'immigration. Même si nous, employeurs, faisons tout pour exploiter encore mieux le potentiel national existant, que ce soit chez les femmes, les travailleurs âgés, les jeunes ou les personnes handicapées. Au cours des dix prochaines années, il nous manquera environ un demi-million de travailleurs nets, qui ne pourront pas être remplacés sans l'immigration.
Avez-vous peur pour notre prospérité?
J'aurais aimé que les conditions cadres en Suisse s'améliorent au cours des douze dernières années. Nous avons tout de même réussi à ce qu'elles ne se détériorent pas massivement. Mais l'évolution est inquiétante: à l'instar d'un salami, nous coupons tranche après tranche le modèle de réussite qu'est la Suisse et ne réaliserons probablement que bien trop tard que nous sommes arrivés au bout du salami. C'est ce qui m'inquiète.
Qu'est-ce qui menace concrètement le modèle de réussite suisse?
La Suisse souffre d'une certaine absence de prospérité. La prospérité de la Suisse est très élevée, mais comme chacun sait, le plus grand ennemi du bien est le mieux. Nous avons aujourd'hui atteint un niveau avec lequel tout le monde veut encore un peu plus, tirer sa part du gâteau, mais où très peu se préoccupent de savoir comment le gâteau va pouvoir s'agrandir. Il ne s'agit plus que de savoir qui obtiendra la plus grande part d'un gâteau toujours plus grand – cela ne nous fait pas vraiment avancer.
Votre critique vise-t-elle aussi les jeunes travailleurs?
Quand on grandit dans un environnement où tout va bien, il est difficile de se rendre compte que les choses pourraient être différentes. Nous avons bien surmonté toutes les crises de ces dernières années sur le plan économique – crise de la dette de la zone euro, abolition du taux plancher, pandémie et guerre en Ukraine. J'espère qu'il n'y aura pas besoin d'un grand effondrement économique pour que les gens réalisent à nouveau d'où vient réellement notre prospérité. Les plus de deux milliards de produit intérieur brut que la Suisse génère chaque jour ne tombent pas du ciel. Pour cela, nous devons tous travailler dur chaque jour.
De moins en moins de gens le comprennent?
Beaucoup pensent que la prospérité et le jour de paie à la fin du mois sont un droit humain. Mais chaque entreprise doit d'abord s'assurer qu'elle génère l'argent nécessaire pour pouvoir payer les salaires à la fin du mois. Et ce, même lorsque les choses ne vont pas très bien. La compréhension du fait que notre prospérité ne va pas de soi semble s'être perdue.
Il y a une pénurie de main-d'œuvre qualifiée. Les jeunes ont-ils le pouvoir dans cette situation et peuvent-ils tout exiger des employeurs?
Le partenariat social dans les entreprises ne se base pas sur le fait que les travailleurs font pression, mais sur le fait que l'on se parle et que l'on tient compte des différents besoins. Par exemple, en offrant la possibilité de travailler à domicile ou en proposant des postes à 80 ou 100%. En tant qu'employeur, il faut aujourd'hui accorder plus d'importance aux besoins des collaborateurs qu'auparavant.
Alors pourquoi de plus en plus d'entreprises rappellent-elles leurs employés au bureau?
Dans l'environnement industriel où je travaille, deux tiers des employés travaillent au bureau et un tiers à la production. Un machiniste ou un tourneur d'aléseuse ne peut pas ramener sa machine à la maison. Cela crée des tensions sociales dans les entreprises. Le home office fera partie de l'avenir. Mais il faut pour cela des règles claires, et chaque entreprise doit les définir individuellement.
De quoi avons-nous besoin pour que les femmes et les hommes soient vraiment sur un pied d'égalité dans le monde du travail?
Nous avons déjà fait beaucoup de progrès sur ce thème. En matière de formation, d'opportunités et de salaires, l'égalité est atteinte depuis longtemps, ou en grande partie. Nous avons encore beaucoup de travail à faire pour augmenter l'incitation à travailler plus longtemps. Mais il faut aussi que cela vaille vraiment la peine de travailler plus. Pour cela: l'imposition individuelle.
Le temps partiel pour s'occuper de sa famille, ça va, mais pas le temps partiel pour plus d'équilibre entre vie professionnelle et vie privée?
En Suisse, 130'000 postes ne sont actuellement pas pourvus. Je me pose la question suivante: où va-t-on trouver toute la main-d'œuvre nécessaire pour combler ce manque? La solution la plus simple: inciter les gens qui travaillent par exemple à 60% à passer à 80% ou plus. Je n'ai rien contre le temps partiel, la question est simplement: combien de temps partiel la Suisse peut-elle se permettre?
Beaucoup, je pense.
Oui, mais nous devons veiller à ne pas nous faire dépasser par d'autres pays plus assidus – en Asie par exemple. Nous devons également créer de meilleures conditions cadres pour les collaborateurs qui souhaitent travailler davantage. Les incitations à travailler plus font défaut. Au contraire: partout, on réclame moins de travail – et non pas plus.
Mais vous, vous travaillerez moins à l'avenir, non?
Mon objectif est de m'engager davantage dans l'entreprise après avoir quitté la présidence et de rester actif professionnellement jusqu'à 70 ans environ. Actuellement, je me lève régulièrement à quatre heures et demie du matin, je fais du sport et je me couche entre 22 et 23 heures. Si, à l'avenir, je ne peux commencer ma routine quotidienne qu'à six heures et demie, cela me conviendra aussi. Je me réjouis également de ne plus être une personne publique, mais de redevenir une personne privée. En tant que président des employeurs, on ne peut jamais vraiment se déconnecter.