C’est la saga politique du moment. À l’invitation de la section d'Yverdon-les-Bains (VD) de l’Union démocratique du centre (UDC), Joachim Son-Forget a rejoint les rangs du plus grand parti du pays. Et ce, alors que la section genevoise de la formation conservatrice semblait s’apprêter à lui claquer la porte au nez.
L’ancien représentant des Français de Suisse, connu pour ses dérapages sur les réseaux sociaux (il a plusieurs fois invectivé d’autres députés français ou soutenu des propos polémiques), avait débuté chez les socialistes avant de défendre Emmanuel Macron. Il s’est ensuite rallié à Eric Zemmour en 2021 mais, sans investiture du parti d'extrême-droite, il n’a pas réussi à se faire réélire.
Ce nouveau chapitre helvétique inquiète plusieurs personnalités de l’UDC. Parmi elles, Yvan Perrin. L’ancien conseiller d’État et conseiller national neuchâtelois, qui a terminé il y a peu son mandat de secrétaire de l’UDC Genève, tire la sonnette d’alarme. Selon celui qui a aussi été vice-président de l’UDC Suisse, Joachim Son-Forget est un «gros problème» en devenir pour sa famille politique. D'autant plus en cette année d'élections fédérales. Interview.
Yvan Perrin, l’adhésion de Joachim Son-Forget à l’UDC d’Yverdon-les-Bains vous inquiète. Pourquoi?
Je crois qu’il suffit de suivre son parcours pour se rendre compte qu’il a rarement fait du bien là où il est passé. C’est l’éléphant dans un magasin de porcelaine: quand il débarque dans une formation politique, il prend beaucoup de place et casse tout ce qui se trouve à sa portée.
Mais en rejoignant une section vaudoise alors qu’il habite Genève, son rôle sera forcément secondaire, voire limité à un effet d’annonce. Vous pensez vraiment qu’il pourra, malgré tout, faire des dégâts?
Oui. Je ne sais pas si vous le suivez sur les réseaux sociaux. Il y a eu parfois des expressions qui étaient tout à fait déplacées. Le problème, et vous êtes bien placé pour le savoir, c’est que, si Monsieur Son-Forget dérape à nouveau alors qu’il est membre de l’UDC, ce n’est pas que sa personne qui sera mise en cause. Le parti sera aussi éclaboussé et devra assurer le service après vente. Par ailleurs, nous sommes en année électorale, les élections fédérales de cet automne approchent. Chacun fait de son mieux pour régler les problèmes potentiels avant qu’ils ne se produisent. Avec Joachim Son-Forget, j’en vois un très gros arriver.
Mais vous comprenez ce qu’a voulu faire la section yverdonnoise de votre parti en le faisant venir alors que la section genevoise s’apprêtait à lui claquer la porte au nez?
Si but il y a derrière cette démarche, il m’échappe. C’est la seule chose que je puisse dire.
Vous pointez aussi du doigt le fait que Joachim Son-Forget ait changé à plusieurs reprises de formation politique. Vous ne croyez pas qu’il ait sincèrement pu changer d’avis au fil des ans et de ses expériences?
Il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis. À cette aune-là, Joachim Son-Forget fait partie des plus grandes intelligences de l’Histoire.
Ça ne vous semble pas être le cas?
(Rires) Disons que je n’avais pas décelé cela en lui. Mais, depuis la Côte-aux-Fées (NE), je n’ai peut-être pas tous les éléments pour me faire un avis éclairé. Simplement, je constate que Monsieur Son-Forget change de formation à chaque fois que ses ambitions sont déçues. J’ai donc l’impression que l’ambition lui tient lieu de conviction. Et ça me dérange. Ceci dit, passer du Parti socialiste à Eric Zemmour, il faut quand même saluer la souplesse du personnage.
Mais quelles pourraient être ses ambitions? L’UDC est à la peine en Suisse romande. Il ne fera pas de siège facilement et, a priori, ne pourra jouer aucun rôle important au sein du parti.
D’abord, je ne partage pas votre analyse sur l’UDC. Beaucoup de choses que nous avons prédites se sont réalisées ou sont en train de se réaliser. Nous verrons les résultats de cet automne. Ensuite, Joachim Son-Forget cherche avant tout la notoriété. Et ça fonctionne. La preuve? Votre coup de fil de ce jour. Le fait qu’il coure constamment après la lumière est dangereux pour nous. D’autant plus que le 21 janvier, l’UDC du Nord vaudois célébrera l’Indépendance vaudoise à Yvonand, avec l’ancien conseiller fédéral Ueli Maurer comme invité. Je frémis quand je lis que Monsieur Son-Forget sera présent.
Pourquoi vous rongez-vous les sangs?
La moindre des choses, serait d’avertir Ueli Maurer de la venue de ce personnage. J’ai demandé aux organisateurs de le faire. Imaginez un peu: Joachim Son-Forget pourrait demander un selfie à notre ancien conseiller fédéral, comme n’importe qui, avant de le publier sur les réseaux sociaux. Objectif? Faire croire qu’il a été adoubé par le plus haut sommet de notre famille politique alors qu’Ueli Maurer n’a probablement jamais entendu parler de lui. C’est gros comme une maison.
Vous serez de la partie, vous?
Je suis inscrit à l’événement d’Yvonand. Mais si Joachim Son-Forget vient, je ne m’y rendrai pas. C’est hors de question que je m’affiche avec quelqu’un d’aussi prétentieux et potentiellement néfaste. Quand je lis ses déclarations dans les médias et qu’il assure que, si le parti lui propose de faire un discours à cette occasion, il refusera, je me demande pour qui il se prend. Croit-il sincèrement que nous l’attendions? Que nous voyons en lui un sauveur? Voyons… Nous sommes le plus grand parti de Suisse, nous avons deux conseillers fédéraux. Nous n’avons pas besoin de lui. Bien au contraire!
Mais vous aussi, vous avez eu des difficultés et commis des frasques par le passé. Pourtant, vous êtes toujours là et vous restez quelqu’un d’audible. Pourquoi devrait-il en être différemment pour Joachim Son-Forget?
Il me semble que, moi, je n’ai jamais changé de parti. C’est vrai, j’ai eu des difficultés. Mais j’ai toujours agi de façon à ce qu’elles ne retombent pas sur le parti. J’ai su agir dans l’intérêt de ma famille politique, le plaçant avant le mien. Attention! Je ne me plains pas. Je ne suis pas une victime de la politique, même si plusieurs de mes difficultés passées y sont étroitement liées. Je suis un passionné, je mouille la chemise et je suis sincère depuis le début de mon engagement, qui remonte à l’école. J’espère sincèrement que personne ne m’enlèvera jamais ça.