Alors que d’autres s’envolent pour la Méditerranée, Thomas Graf passe ses vacances dans son petit jardin. «Les plantes sont mon luxe, explique ce Suisse qui vit en Argovie. Mon jardin est mon coin de paradis où je peux me détendre.» Il a été mis à la retraite très tôt, car il n’était plus en mesure de travailler à cause d’une hémorragie cérébrale. Et il ne renonce pas aux vacances par modestie – mais par pur manque d’argent.
L’inflation le frappe de plein fouet. «Je me suis fait un nouveau plan d’épargne, précise l’Argovien. Je renonce désormais aux luxes comme les vacances et les sorties au restaurant.» Depuis son divorce, il ne reste plus grand-chose à la fin du mois. «C’est surtout l’aspect social qui en souffre.» Un déjeuner spontané avec des amis n’est plus possible.
La classe moyenne frappée de plein fouet
Thomas Graf dispose de 4500 francs par mois et ne fait donc pas partie des plus pauvres, mais de la classe moyenne. Mais l’indice des prix à la consommation de Comparis, publié mardi, le confirme: le renchérissement touche désormais aussi de plein fouet la classe moyenne inférieure. C’est-à-dire tous ceux qui gagnent entre 3500 et 5000 francs par mois. «La Suisse s’en sort relativement bien dans la tempête mondiale du renchérissement. Mais les hausses extrêmes des prix de l’énergie pèsent surtout sur les bas salaires et la classe moyenne», explique Michael Kuhn, expert financier chez Comparis.
Cela préoccupe aussi les politiques. Mercredi, le Conseil national se réunit pour une session extraordinaire sur le pouvoir d’achat. Diverses interventions seront discutées: d’une augmentation de la rente AVS à une baisse du prix de l’essence en passant par une augmentation des réductions de primes.
800 francs doivent suffire
Roman Britt, 51 ans, vient de Bad Zurzach (AG). Il fait lui aussi partie des personnes concernées. Il est assis à table dans son appartement de trois pièces, pour lequel il paie un loyer mensuel de 1200 francs. Il boit un thé qu’il a préparé lui-même. «Cela fait longtemps que je n’ai pas eu de vacances», confie ce bénéficiaire de l’AI à Blick. La dernière fois qu’il est allé en Écosse, c’était il y a douze ans.
Maintenant, avec la hausse des prix, il a établi un plan d’épargne précis. «J’ai un salaire d’environ 3000 francs», explique-t-il. Après déduction de son loyer et de toutes les autres dépenses fixes, il lui reste 800 francs à la fin du mois. Cela doit suffire pour la nourriture, les nouveaux vêtements et les loisirs.
Domaine | Coûts |
Budget par mois | 3000.- |
Loyer | 1200.- |
Assurance maladie | 485.- |
Impôts | 200.- |
Électricité | 86.- |
Télévision, téléphone et internet | 115.- |
3ème pilier | 112.- |
Total des charges fixes | 2198.- |
Nourriture, habits et autres | 802.- |
«Ma caisse maladie va augmenter de 10%. L’électricité passe de 18,2 centimes à 65,6 centimes par kilowatt. Et les impôts sont passés de 115% à 128%», calcule Roman Britt.
Le pronostic pour les deux hommes et des dizaines d’autres personnes concernées avec lesquelles Blick s’est entretenu n’est pas bon. Dans ses dernières prévisions de mardi, le Secrétariat d’État à l’économie (Seco) table sur un renchérissement annuel de 3% (au lieu de 2,5). Pour l’année prochaine, les experts estiment le renchérissement à 2,3% (au lieu de 1,4).
Rouler le moins possible en voiture
Lorenz Bertsch craint que la Suisse n’ait un problème. «Au plus tard au printemps», prédit ce conseiller social et en matière de dettes auprès de Caritas. Lorsque toutes les factures tomberont, même la classe moyenne inférieure aura du mal à s’en sortir. «C’est effrayant, s’inquiète-t-il. Qu’un bénéficiaire de l’aide sociale ait des problèmes d’argent, ce n’est pas nouveau. Mais que des familles aux revenus moyens doivent maintenant économiser aussi violemment, ça, c’est nouveau.»
«Moins de douches, moins de chauffage et conduire le moins possible, conseille Lorenz Bertsch aux personnes concernées. C’est surtout maintenant, alors que nous sommes confrontés à une crise de l’électricité, que les gens devraient économiser.» Il recommande aux personnes concernées d’établir un plan d’épargne et d’économiser même sur les petits luxes, comme une sortie au restaurant.
Même la randonnée est devenue trop chère
Les personnes à faible revenu sont les plus durement touchées. Les personnes qui gagnent moins de 3000 francs par mois ne peuvent pratiquement plus rien mettre de côté. C’est le cas de Maya H., une Suisse du canton de Schwytz. Elle ne veut pas lire son nom complet dans le journal – la stigmatisation de la pauvreté est trop grande.
«Je vis avec 2470 francs par mois», témoigne la retraitée. Elle est assise dans un café et boit un café crème. «Une fois toutes les factures payées, il me reste encore 800 francs, pour la nourriture et les autres dépenses.» Les vacances, les vêtements et les chaussures sont un luxe pour elle: «Ce n’est pas possible qu’un kilo de pommes coûte 6 francs», s’énerve la Schwytzoise.
Avant, Maya H. faisait partie d’un groupe de randonnée. Maintenant, les excursions sont devenues trop chères. «J’aime bien faire un tour à vélo. Je peux prendre ma nourriture et mes boissons de chez moi.» Elle ne sait pas si elle pourra un jour à nouveau économiser et verser quelques francs sur son compte d’épargne à la fin du mois.
Malgré tout, elle ne veut pas se plaindre: «Après tout, j’ai bien réussi à joindre les deux bouts toute ma vie». Thomas Graf, de Lenzbourg, essaie lui aussi de se concentrer sur les petits plaisirs du quotidien – ses fleurs. «Je suis très heureux quand j’ai un nouvel arrosoir ou que je peux mettre une nouvelle plante dans un pot.» Si tant est que son compte bancaire lui permette de faire un achat dans une jardinerie...