Un blessé grave est coincé sous des décombres. Pour le sauver, il n’y a qu’une seule solution: procéder à une amputation. Pour les professionnels de la Chaîne suisse de sauvetage de la région syro-turque touchée par le séisme, ce genre de cas traumatisant fait partie du quotidien depuis la semaine dernière.
Dans ces conditions, comment faire pour tenir le coup psychologiquement? Un suivi s’impose. Le Corps suisse d’aide humanitaire (CSA) connaît les difficultés de ce genre d’opération et y est sensible. Pour soutenir les secouristes, le bras opérationnel de cette aide suisse a envoyé ce vendredi deux psychologues en Turquie, comme le confirme à Blick le porte-parole du DFAE Pierre-Alain Eltschinger.
Est-ce une mesure de routine? Non, elle ne peut être prise que lors d’interventions très sérieuses. Ce qui est le cas de ce séisme. Depuis que la terre a tremblé dans le sud de la Turquie et le nord de la Syrie, plus de 25’000 personnes ont perdu la vie. Et on dénombrait plus de 85’000 blessés ce samedi.
Espérer un miracle
Le nombre de victimes va encore augmenter, ont prévenu les spécialistes. Les chances de trouver des survivants sous les décombres sont, une semaine après le drame, proches de zéro. Chaque sauvetage représente désormais un miracle.
Il faut pourtant garder le moral et continuer. La Chaîne suisse de sauvetage y est habituée. Elle est formée de professionnels. En ce moment, il s’agit de près de 100 personnes, issues d’organisations partenaires de droit public, civiles et militaires. En cas de catastrophe, celles-ci sont mobilisées pour agir dans le cadre de l’aide humanitaire de la Confédération.
Cette équipe se trouve en mode stand-by. Lorsque le centre de coordination des interventions dans la région sinistrée fait appel à elle, elle part sur place avec ses chiens. Très rapidement: elle se tient en permanence prête à décoller. Les sauveteurs et leur équipement doivent pouvoir partir huit à douze heures après la décision d’engagement, explique-t-on à Blick.
Une troupe très bien formée
Les professionnels sont très bien entraînés. Mais malgré tout, quand il s’agit d’une intervention de cette envergure, une certaine fatigue physique s’installe après plusieurs jours de travail intensif. S’y ajoute alors l’épuisement mental.
La mort d’une personne lors d’une tentative de sauvetage ne laisse personne indifférent, même lorsqu’il est question de pros du sauvetage expérimentés. C’est là qu’interviennent les psychologues transportés par avion, glisse Jacqueline Schmid, thérapeute spécialisée dans les traumatismes. «Une expérience qui ne peut pas être digérée se transforme en stress toxique», poursuit la praticienne. Dans un premier temps, il faut ainsi laisser les gens raconter ce qu’il s’est passé. Et leur apporter du réconfort. Car ce qu’ils ont vécu doit à tout prix sortir, au risque de développer un trouble de stress post-traumatique si ce n’est pas le cas.
«Lorsqu’un événement est si terrible qu’il dépasse les limites du compréhensible, il peut arriver que le cerveau ne parvienne plus à l’assimiler», détaille Jacqueline Schmid. C’est bien sûr le cas lors de catastrophes naturelles très graves, où des milliers de vies humaines sont en jeu.
Espoir, colère et tristesse
Jusqu’à ce samedi à midi, les membres de la Chaîne suisse de sauvetage ont pu sauver onze personnes avec l’aide de leurs chiens. Parmi elles se trouvent deux bébés. Mais à mesure que l’espoir de retrouver d’autres survivants s’amenuise, la colère grandit. Elle se mêle à la tristesse chez les personnes touchées, qui sont en proie à un véritable tourbillon d’émotions.
La situation sécuritaire sur place devient de plus en plus précaire. Ce qui menace également les équipes de secours internationales. Ce samedi, l’armée autrichienne a même dû suspendre provisoirement ses opérations de sauvetage en Turquie. En cause: l’agressivité croissante entre les groupes armés. Des affrontements ont eu lieu. Et des coups de feu ont été tirés, a rapporté un lieutenant-colonel de l’armée fédérale à l’agence de presse APA.
Mesures de sécurité renforcées
Sous la protection des militaires turcs, les Autrichiens ont pu peu après reprendre leurs opérations de secours, a informé l’agence de presse.
Qu’en est-il de la sécurité des secouristes de la Confédération? «La Chaîne de sauvetage suisse suit de près les développements à Hatay», confie à Blick le porte-parole du DFAE Valentin Clivaz. Il ajoute que les mesures ont été renforcées. «La sécurité dans la Base of Operation, lieu d’hébergement de la Chaîne de sauvetage, est garantie», promet-il.
Ce samedi à midi, on ne sait pas encore quand les équipes vont lever l’ancre pour quitter la zone du séisme et entamer leur retour. Il reste encore beaucoup à faire. Selon le communiqué de la DDC, une mission partira ce lundi de Damas pour se rendre à Alep. «Les forces resteront une dizaine de jours dans les régions touchées du nord-ouest de la Syrie afin d’évaluer les besoins et de fournir une aide humanitaire sur place.»
L’aide en Syrie s’avère difficile
Pour aider les pays touchés par la catastrophe naturelle, la Direction du développement et de la coopération (DDC) a débloqué jusqu’à présent sept millions de francs. Ces fonds sont particulièrement mobilisés pour la population syrienne, où la situation interne difficile rend les mesures d’aide très compliquée. Rappelons que ce pays est en proie à une guerre civile depuis près de douze ans.
Mais la mission des membres de la Chaîne suisse de sauvetage ne s’achèvera pas lorsqu’ils toucheront le sol suisse. Tout ce qui s’est passé, les événements difficiles qu’ils ont vus, doivent être assimilés. Et rapidement: il faudra déjà rassembler leurs forces pour la prochaine mission.