Les cantons très prisés se questionnent
Fléau ou bénédiction? L'augmentation des frontaliers en Suisse fait débat

En 2022, le nombre de travailleurs frontaliers en Suisse a encore augmenté de près de 20'000 personnes. Dans les cantons particulièrement prisés, on se questionne sur l'exactitude des chiffres et les bienfaits de cette main-d'œuvre étrangère sur l'économie.
Publié: 22.02.2023 à 06:18 heures
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Dernière mise à jour: 22.02.2023 à 15:52 heures
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Le nombre de frontaliers en Suisse continue d'augmenter. Ici à une douane tessinoise.
Photo: keystone-sda.ch
Dominique Schlund

Le nombre de frontaliers a atteint un nouveau record en Suisse, selon les chiffres publiés mardi par l’Office fédéral de la statistique (OFS). Fin 2022, un peu plus de 375’000 personnes faisaient quotidiennement la navette entre les pays limitrophes et la Suisse.

Rien que l’année dernière, 20’000 personnes sont venues s’ajouter à ce total, ce qui correspond à une augmentation de 6,1%. La plupart des frontaliers viennent de France. L’Italie et l’Allemagne arrivent juste derrière comme pays d’origine.

La Suisse romande et le Tessin ont la cote

Les cantons de Genève et de Vaud, mais aussi le Tessin, sont les régions qui attirent le plus de travailleurs frontaliers. Genève a enregistré une augmentation de 7,6% (7300 personnes), Vaud de 10,6% (avec 3900 personnes supplémentaires), et le Tessin de 4,4% (3300 travailleurs en plus). Près de 60% des frontaliers actifs en Suisse travaillent dans l’un de ces trois cantons.

Économiquement, ces régions pourraient difficilement se passer de cette main-d’œuvre supplémentaire. La récession redoutée à la suite de la guerre en Ukraine n’a pas eu lieu jusqu’à présent, et le manque de personnel qualifié a remplacé le risque de chômage. L’exemple du Tessin est parlant: un actif sur trois y est désormais un frontalier.

Des chiffres gonflés?

Fabio Regazzi, président de l’Union suisse des arts et métiers et conseiller national tessinois du Centre, émet toutefois des doutes quant à la fiabilité des chiffres de la Confédération. Le politicien pointe le fait que les anciens frontaliers ne sont pas obligés de se désinscrire des listes de recensement lorsqu’ils quittent leur emploi en Suisse au profit d’un poste dans leur pays d’origine ou ailleurs.

Il est donc possible que de nombreuses personnes soient encore enregistrées comme frontalières alors qu’elles ne travaillent plus chez nous depuis longtemps. Cela expliquerait d’ailleurs pourquoi leur nombre ne cesse d’augmenter, notamment pendant la pandémie de Covid-19, alors que des pays entiers étaient confinés et que de nombreux secteurs fonctionnaient grâce au télétravail.

Fabio Regazzi concède néanmoins: «Dans certaines branches au Tessin, les frontaliers sont indispensables. Les hôpitaux, les centres de soins, le secteur du bâtiment et l’artisanat pourraient difficilement survivre sans eux.»

Concurrence malgré le salaire minimum

Qu'ils soient indispensables au bon fonctionnement de l’économie suisse ou non, les frontaliers sont tout de même source de mécontentement dans les régions concernées par l'augmentation de leur nombre. La concurrence sur le marché du travail et les embouteillages quotidiens à proximité des frontières nourrissent ce ressenti négatif.

Fabio Regazzi mentionne lui aussi des «problèmes évidents comme le dumping salarial ou l’augmentation des embouteillages sur les routes. La population locale est souvent critique à l’égard des frontaliers.» Le sujet restera donc un thème politique dans les régions périphériques du pays.

Cependant, lorsque l’on y regarde de plus près, l’argument du dumping salarial ne tient que partiellement la route, du moins dans les cantons de Genève et du Tessin. En effet, tous deux ont introduit depuis longtemps un salaire minimum. À Genève, il s’élève à 23 francs de l’heure, contre 19 au Tessin.

De nombreuses branches recrutent

Les spécialistes en économie doutent toutefois que la mise en place de ce salaire plancher ait l’effet escompté. Même s’il est encore trop tôt pour évaluer la portée de ce salaire minimal cantonal, Luca Albertoni, président de la Chambre du commerce tessinoise, salue ses effets positifs: «Avec le salaire minimum, qui concerne plus de 70% de frontaliers, le canton est devenu encore plus attractif pour les travailleurs venant de l’étranger.»

Dans les branches à bas salaires, le salaire minimum a peut-être désamorcé le risque de dumping salarial. Mais ce ne sont de loin pas les seules branches qui attirent les frontaliers: les géants du négoce de matières premières et les entreprises de services spécialisées embauchent également de plus en plus d’étrangers. Et ces derniers pourraient bien venir travailler pour 19 francs de l’heure...

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