La Suisse franchira probablement cette année la barre des neuf millions d'habitants. Il y a vingt ans, le pays comptait nettement moins de personnes. La Confédération était (à peine) peuplée de 7,3 millions d'individus.
Face à cette croissance démographique rapide, nombreux sont ceux qui se demandent - une fois de plus - si l'immigration en vaut la peine, et surtout, si elle n'est pas une mauvaise chose. En d'autres termes, est-ce que les résidents suisses profitent-ils de l'arrivée de quelque 74'000 personnes par an? Face à cette interrogation, une réponse de Normand s'impose: cela dépend.
Ceux qui possèdent un terrain ou une maison font partie des gagnants de l'immigration. «L'augmentation de la demande a multiplié la valeur des terrains et des biens immobiliers», explique Michael Siegenthaler, expert du marché du travail au Centre de recherches conjoncturelles (KOF) de l'École polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ). Les entreprises qui ont embauché des immigrés et ont ainsi pu développer de nouveaux produits en ont également profité.
Les employés de ces entreprises en profitent aussi, par exemple sous la forme d'augmentations de salaire. Enfin, les gagnants sont les immigrés eux-mêmes, dont les revenus ont augmenté avec l'immigration.
Pénurie de main-d'œuvre qualifiée en Allemagne
Les perdants se trouvent de l'autre côté de la frontière, explique l'expert. «Une étude montre que l'émigration du personnel soignant et des médecins a eu un impact négatif sur la qualité des soins dans les hôpitaux du sud de l'Allemagne.» Un autre perdant, qui reste toutefois silencieux, est le sol disponible en Suisse. L'immigration s'accompagne forcément d'une perte de terrain.
À cela s'ajoute la pression sur les loyers. Une hausse de ces derniers pénalise ceux qui ne possèdent pas de maison. Selon l'économiste, il y a, par ailleurs, des perdants sur le marché du travail. «Une étude a conclu qu'au Tessin, les salaires sont sous pression à cause de la concurrence des frontaliers.»
Et que signifie l'immigration pour la population globale?
On prend souvent le produit intérieur brut (PIB) par habitant comme indicateur de bonne santé économique d'un pays. Celui-ci n'a pas augmenté de manière excessive en comparaison internationale. La conclusion serait alors que l'immigration n'est pas rentable?
Michael Siegenthaler conteste cette affirmation. Le PIB par habitant mesure certes l'évolution de la prospérité, mais ce n'est pas aussi simple. «Il ne reflète que de manière imprécise de nombreuses évolutions qui sont pertinentes pour le débat sur l'immigration.» Ainsi, le PIB par habitant ne mesure pas l'augmentation du temps libre que nous avons gagné ces dernières années, par exemple. «Nous travaillons moins, mais produisons autant.»
En fait, le temps de travail par habitant a nettement diminué au cours des trente dernières années. Les Suisses travaillent davantage à temps partiel, ont plus de vacances - et le nombre de retraités par rapport à la population totale augmente.
Notre prospérité est donc l'un des moteurs de l'immigration. «Comme nous travaillons moins, nous avons besoin de plus de personnes actives, analyse Michael Siegenthaler. En forçant le trait, on peut dire que plus de temps partiel entraîne plus d'immigration.»
Le PIB ne fait pas tout
Le PIB par habitant ne reflète pas ce surplus de prospérité. De plus, ce chiffre clé est influencé par des aspects qui ne sont pas pertinents pour le débat sur l'immigration, «par exemple, par les manifestations sportives internationales ou les exportations pharmaceutiques».
Marius Brülhart, professeur d'économie à l'université de Lausanne, estime donc que le PIB par heure travaillée est un indicateur plus pertinent pour mesurer la prospérité. «Ce chiffre répond à la question: combien de richesse produisons-nous en une heure de travail?» Depuis le début du millénaire, le PIB par heure travaillée a presque toujours augmenté, même pendant les années 2020 et 2021 marquées par la pandémie. «Cela témoigne d'une croissance très robuste de la productivité dans notre pays», affirme Marius Brülhart.
L'ampleur du rôle de l'immigration dans ce phénomène n'est pas encore bien cerné. Car quelle que soit la manière dont on s'intéresse au problème, l'effet de la migration sur la prospérité ne peut pas être directement mesuré.
Indirectement, il existe toutefois des indices d'un effet positif de la migration. Ainsi, une étude de l'EPFZ conclut que l'immigration entraîne une hausse des revenus. Le professeur d'économie Aymo Brunetti ajoute même: «Sans les immigrés, la pénurie de main-d'œuvre qualifiée aurait empêché les entreprises de se développer. De plus, l'immigration agit comme un amortisseur conjoncturel, car elle stabilise la consommation en temps de crise. Mais les individus ne ressentent guère ces effets.»
En conclusion
Si on force le trait, les conclusions seraient les suivantes. Certains autochtones obtiennent un meilleur salaire grâce à l'immigration. D'autres sont mis sous pression par la concurrence. Et certains en profitent fortement.