«Liberté. Souvenirs 1954-2021», tel est le nom de l'ouvrage de 736 pages dont l'ancienne chancelière a fait une lecture détaillée. Pourtant, plusieurs chapitres clés de son mandat en sont absents. Angela Merkel ne dit pas un mot sur le président américain Donald Trump, qu'elle avait pourtant bien connu lors de son premier mandat, ne mentionne pas son collègue de parti Friedrich Merz, n'évoque pas la percée de L'AfD, principal parti d'extrême droite allemand, bien que la naissance de ce parti ait eu lieu pendant son mandat, et ignore la construction du gazoduc «Nordstream 2» de la Russie vers l'Allemagne.
La plupart du temps, elle s'en est tenue aux propos soigneusement choisis de son livre. Elle ne s'est que rarement exprimée spontanément, et même dans ce cas-là, elle a contrôlé ses mots avec autant de soin que durant ses années au pouvoir.
Une enfance heureuse en RDA
Mais alors, de quoi parle cet ouvrage? Angela Merkel commence par raconter son enfance fondamentalement heureuse en Allemagne de l'Est (RDA), bien que très pauvre. Petite fille, elle buvait de l'eau dans la gamelle des poules et mangeait des carottes non lavées.
En parallèle, «c'était un Etat qui pouvait vous imposer des limites de manière totalement inattendue», confie Angela Merkel. Elle s'est retrouvée en conflit peu avant le baccalauréat, lorsqu'elle a incité ses camarades de classe à faire une contribution culturelle un peu rebelle: ils ont chanté l'Internationale socialiste en anglais. Les élèves ont par la suite été interrogés par des agents de la Stasi et les parents de la jeune Angela ont été contactés. Finalement, son père a pu éviter des conséquences graves. «Même pour de petits écarts par rapport à la norme, l'enfer pouvait se déchaîner contre vous», a déclaré l'ancienne chancelière. «On avançait toujours sur le fil du rasoir.»
Gerhard Schröder le macho
Angela Merkel a également évoqué les élections fédérales de septembre 2005, lorsque le chancelier SPD de l'époque et perdant des élections, Gerhard Schröder, s'est montré particulièrement macho lors d'un débat télévisé sur les éléphants. Malgré un pourcentage d'électeurs plus faible, il a revendiqué devant les caméras le remaniement du gouvernement et de la chancellerie. «C'est de la folie», s'est dit Angela Merkel à l'époque. «Il voulait créer de fausses réalités en prenant tout le monde de court.» Malgré cela, c'est elle qui est devenue chancelière.
«Wir schaffen das!» («Nous y arriverons!»), avait déclaré l'ancienne chancelière allemande en août 2015, en pleine crise des réfugiés, confiant avoir fait ses choix politiques «en toute conviction». Elle a par la suite qualifié de «fiction erronée» la fermeture des frontières telle que la réclame actuellement le chef de la CDU Friedrich Merz. Elle a également fait référence à son engagement en faveur de l'accord sur les réfugiés en Turquie de mars 2016, qui a finalement permis de réduire massivement le nombre de réfugiés sur la route de l'Est.
Le dialogue privilégié avec la Russie
Angela Merkel a également défendu son héritage en ce qui concerne l'Ukraine. En 2008, elle avait refusé une étape préalable à l'adhésion du pays à l'OTAN parce que la stabilité interne n'était selon elle pas suffisante et que le pays abritait alors encore la flotte russe de la mer Noire en Crimée. De plus, seule une minorité d'Ukrainiens était alors favorable à une adhésion à l'OTAN.
Devant le public zurichois, Merkel s'est demandé si Vladimir Poutine aurait envahi l'Ukraine si elle était restée au pouvoir, elle-même russophile de longue date et parlant couramment la langue. Mais elle estime aujourd'hui qu'il est désormais dans l'intérêt de l'Occident «que la Russie ne gagne pas cette guerre».
Un croche-pied à ses collègues
Pour conclure sa conférence, Angela Merkel a mentionné qu'elle avait également réfléchi au sens même du langage en écrivant son livre, et en a profité pour tacler plusieurs hommes politiques pour leurs phrases choc mais souvent vides de sens. «Dans ce métier, nous avons tendance à esquiver les questions et à gagner du temps, afin de tuer la question dans l'œuf», a-t-elle déclaré.
Dans la salle zurichoise, sa performance a été saluée par de longs applaudissements et une standing ovation. Plusieurs personnalités se trouvaient dans le public, dont l'animateur Kurt Aeschbacher, le journaliste Matthias Ackere ou la syndique de la ville de Zurich Corine Mauch. «Elle reste fidèle à elle-même», a déclaré cette dernière. Selon la socialiste, «elle a toujours tenu une position claire, sans se laisser perturber par les critiques de la gauche ou la droite. Ni par les hommes qui pensent savoir mieux qu'elle d'ailleurs», a souligné Corine Mauch.