On le retrouve jeudi matin sur la terrasse de l’Hôtel des Bergues, à Genève, où il a posé ses valises il y a près de trois ans. Alexandre Benalla, ex-chargé de mission de l’Élysée, réputé proche d’Emmanuel Macron – avant d'être licencié à force de scandales et d'«affaires» – coule désormais des journées plus paisibles au bord du Léman, d’où il gère son entreprise spécialisée dans l’intelligence économique et l’influence.
Dans sa vie d’avant, il était le Monsieur sécurité du président de la République. Passé du service d’ordre du parti socialiste à l’Élysée en quelque cinq années, on peut dire que la chute de l’homme fut aussi fulgurante que sa montée en puissance. Nous l'avons rencontré pour parler du récent attentat contre Donald Trump.
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Pour rappel, Alexandre Benalla s’est surtout fait connaître du grand public lors de la fête du travail de 2018 à Paris, à l’occasion d’un déferlement de violence sur des manifestants. Au mois de juin 2024, six ans après ce scandale qui a secoué le premier quinquennat d’Emmanuel Macron, la décision de la plus haute juridiction judiciaire française confirme sa condamnation en appel à trois ans de prison – dont un an ferme – prononcée plus tôt par la cour d’appel de Paris.
Il a bien voulu se remettre dans la peau du responsable de la sécurité qu’il était, le temps d’un café, pour commenter la grosse actualité internationale de cet été: la tentative d’assassinat du candidat républicain et ex-président des États-Unis Donald Trump, lors d’un meeting électoral en Pennsylvanie, le 13 juillet.
Un sombre épisode historique, qui aurait pu être évité avec un meilleur dispositif de sécurité? Et en France, comment font les services secrets, pour déjouer ce genre d’attentats? Alexandre Benalla décortique les images de la tentative d’assassinat, et lâche quelques confidences quant au système de sécurité du président français. Interview.
Alexandre Benalla, on vous surnomme souvent l’«ex-garde du corps de Macron», mais c’est un abus de langage, non?
C’en est un! J’étais, en réalité, chargé de mission, adjoint au chef de cabinet du président de la République. Les vrais gardes du corps de l’Élysée, ce sont des policiers et des gendarmes, des fonctionnaires ou des militaires. Moi, je coordonnais à la fois le groupe de sécurité de la présidence et le commandement militaire du Palais de l’Élysée. Et j’avais d’autres missions par ailleurs: j’organisais les déplacements du président, également dans le cadre de sa vie privée, en plus de gérer les événements officiels.
Vous êtes passé de simple bénévole à responsable de la sécurité d’En marche en 2016, avant de monter les échelons jusqu’à l’Élysée. C’est quoi le secret pour être excellent dans votre domaine?
Dans mon cas, débuter très jeune (rires). J’ai commencé à exercer dans la politique à l’âge de 16 ans. J’étais chargé de la protection de Martine Aubry de 2009 à 2011. Puis, j’ai fait la campagne présidentielle de François Hollande en 2012 et j’ai travaillé avec lui pendant un an et demi.
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Donc vous étiez simplement au bon moment au bon endroit?
Je dirais qu’il y a aussi la détermination, la disponibilité, la loyauté et la débrouillardise qui rentrent en ligne de compte. Lorsque j’ai commencé à travailler pour Emmanuel Macron, j’étais d’abord bénévole. C’était un pari: j’ai quitté mon emploi bien rémunéré dans une organisation internationale pour aller travailler gratuitement pour lui. Je dormais quatre heures par nuit en moyenne. C’est un poste qui vous prend 24h/24, plus rien d’autre n’existe. Mais je croyais en lui, je savais qu’il allait gagner. Donc j’ai décidé de me lancer dans l’aventure et ça m’a amené à l’Élysée, au final.
C’est la grosse actualité du moment: le 13 juillet dernier, l’ex-président Donald Trump, candidat républicain à l’élection présidentielle étasunienne, a subi une tentative d’assassinat par balle lors d’un meeting de campagne en Pennsylvanie. J’imagine que vous avez suivi ça de près.
Oui! Et le dispositif de sécurité en place à ce moment suscite en effet la polémique. Les gens se demandent comment ç’a bien pu arriver, pourquoi personne ne l’a vu venir… En réalité, il est très difficile pour les observateurs de dire ce qui n’a pas fonctionné dans ce dispositif, puisque la question de la sécurité d’un président ou ex-président est par définition très opaque et secrète.
Mais vous, qui connaissez les ficelles du métier, vous avez bien une petite idée, non?
Pour commencer, il faut rappeler que Trump est un ex-président, et non pas un président en fonction. Il bénéficie certes d’une protection des services secrets, comme tous ses homologues encore vivants, Bill Clinton, Barack Obama, George W. Bush… Mais ce sont des équipes réduites, par rapport à celles d’un président en exercice. Et, en plus, comme Trump est en campagne, il y a plusieurs équipes de sécurité différentes qui doivent collaborer.
Et c’est un problème?
Potentiellement. Lorsqu'en campagne, le candidat passe tous les jours d’une ville à l’autre, les équipes de sécurité ne sont pas les mêmes du début à la fin, elles doivent beaucoup se coordonner et communiquer entre elles. En général, une équipe de «précurseurs» va sur place la veille d’un meeting, pour se coordonner avec les forces de l’ordre locales. C’est vraiment un système de sécurité réduit, par rapport à celui d’un président en poste.
Donc, quelle est votre hypothèse, très concrètement?
Je pense qu’il a pu y avoir un problème de coordination entre les services secrets des États-Unis et les forces de l’ordre de Pennsylvanie. Si l'on regarde les vidéos de la tentative d’assassinat de très près, on voit que les contre-snipers des services secrets sont hésitants, ils tergiversent avant d’agir, dans les secondes qui suivent les tirs de Thomas Matthew Crooks. Je pense que ces contre-snipers avaient de base repéré le tireur sur le toit, mais ils pensaient peut-être qu’il s’agissait d’un tireur de la police locale, jusqu’au moment des faits. D’où leur brève confusion sur les images.
Et qu’en est-il de la réaction de Trump et de son équipe juste après les faits? Le républicain a pris la peine de haranguer la foule, une dernière fois, en sang, avant de quitter les lieux après l’incident…
Trump est une vraie bête politique. Mais, vous savez, d’après ma connaissance des protocoles américains, qui sont plus stricts et précis qu’en France, par exemple, si Trump avait été président au moment des faits, ses agents lui auraient mis un coup dans le ventre pour le plier en deux et le sortir de force de l’événement, en le mettant directement dans le véhicule d’extraction, comme on l’appelle. Ils ne l’auraient pas laissé s’adresser une dernière fois à la foule. Mais il faut noter qu’il a bien réagi au moment des tirs, en se couchant par terre.
Le tireur était un jeune homme de vingt ans, décrit par les médias anglo-saxons comme «solitaire, qui était fréquemment intimidé et portait parfois des tenues de chasse à l’école». On ignore pourquoi il a agi ainsi. Mais, d’après vous, quelles peuvent être les motivations de ce type de personnages, que vous avez certainement déjà croisés dans votre carrière?
C’est le profil typique du «loup solitaire». Ce genre de personnes sont en général isolées socialement, déterminées mais taiseuses, et donc quasiment indétectables… Ce qui les rend particulièrement dangereuses. Contrairement à ce que j’ai lu dans certains médias, je pense que c’était un très bon tireur, qui s’était entraîné. On peut dire que Donald Trump a eu de la chance. Quant aux motivations précises de ce jeune homme, seule l’enquête pourra nous le dire.
Les États-Unis comptent pas moins de quatre présidents assassinés au cours de leur histoire, en plus de nombreuses tentatives. Des épisodes beaucoup plus rares en France, et inexistants dans l’histoire Suisse…
Parce qu’il n’y a pas de personnalités publiques fortes et clivantes comme Trump en Suisse (rires)! Et il n’y a pas non plus cette culture de la violence en politique. C’est tant mieux!
Et en France?
C’est encore un peu différent. J’ai quelques souvenirs de menaces, notamment terroristes, qui ont pesé tant sur François Hollande. Emmanuel Macron, lui, était plutôt ciblé par les mouvances d’ultra-droite. Lorsque je travaillais pour lui, il y a eu des tentatives d’atteindre à sa vie à deux reprises. Mais ces menaces ont toujours pu être anticipées, car nous avons de très bons services de renseignement en France. Les personnes concernées ont été interpellées, jugées, condamnées.
Comment est-ce que les services secrets repèrent une personne qui pourrait vouloir tuer le président de la République, pour déjouer l'attentat?
En réalité, c’est assez simple. Le premier indicateur d’une menace potentielle, c’est souvent une «source humaine», un indic que nous avons dans tel ou tel groupe surveillé, que ce soit l’ultra-droite, l’ultra-gauche ou les réseaux islamistes… Après, il y a la technologie. Les services secrets ont des brigades numériques. Si une personne va consulter un certain nombre de sites tendancieux, taper un certain nombre de mots-clefs dans un moteur de recherche, de manière répétée et régulière, c’est un red flag. On va mettre cette personne sous surveillance, et plus si nécessaire.