Depuis les Corona Leaks, en cas de violation du secret de fonction, le Conseil fédéral est sévère. Il ne pardonne plus et dépose plainte si des informations confidentielles sont publiées dans les médias.
La ministre des Finances Karin Keller-Sutter est, quant à elle, moins stricte lorsqu'il s'agit d'irrégularités au sein de son propre département.
De quoi parle-t-on? Du fait que des collaborateurs de l'Office fédéral de l'informatique et de la télécommunication (OFIT) aient remis à l'enquêteur spécial Peter Marti l'intégralité de la boîte mail de Peter Lauener, l'ancien porte-parole du conseiller fédéral Alain Berset. Le problème: l'enquêteur n'avait demandé que les courriels datant du 7 octobre au 15 novembre 2020, il investiguait alors dans le cadre de l'affaire Crypto.
Alors, les fonctionnaires qui ont fauté seront-ils punis? Si cela ne tenait qu'à Karin Keller-Sutter, il n'y aurait pas de conséquences juridiques.
Seulement voilà: le Ministère public de la Confédération (MPC) lui met des bâtons dans les roues. Interrogé à ce sujet, il a fait savoir qu'il avait «ouvert des enquêtes préliminaires» en raison de la possible violation du secret de fonction par des collaborateurs de l'OFIT. Probablement aussi parce que Peter Lauener a déposé une plainte contre X à l'OFIT en raison de l'ampleur de la livraison de courriels électroniques supposés être confidentiels.
Le MPC procède à des enquêtes préliminaires lorsqu'il s'agit de clarifier, dans le cadre d'une telle plainte, quels fonctionnaires pourraient avoir commis le délit dénoncé. Ainsi, le Département de la justice pourrait donner aux autorités de poursuite pénale l'autorisation d'agir contre les coupables.
De l'affaire Crypto aux Corona Leaks
Et l'affaire Crypto en a déclenché une autre, ce qui explique aussi pourquoi le MPC pourrait ne pas en démordre. Dans les emails reçus par l'enquêteur Peter Marti (datant de plusieurs années), ce dernier y a trouvé des courriels adressés à Marc Walder, le CEO de la maison d'édition Ringier, qui publie également Blick.
Ces messages électroniques datant de l'époque du coronavirus ont posé la question de savoir quelles informations ont été transmises exactement entre Peter Lauener et Mark Walder, et dans quel but. Le scandale présumé des Corona Leaks éclatait alors.
La question que pose ces échanges de courriels révélés par l'erreur des fonctionnaires de l'OFIT: l'ancien porte-parole d'Alain Berset et le patron de la maison d'édition Ringier auraient-ils souhaité influencer les décisions politiques de la Confédération au sujet de la pandémie?
Plus clairement, Ringier, aurait pu recevoir à l'avance des informations sur les mesures sanitaires du Conseil fédéral relatives au coronavirus. En contrepartie, le conseiller fédéral Alain Berset aurait eu bonne presse. Les articles publiés auraient par ailleurs mis le Conseil fédéral sous pression, permettant à Alain Berset d'imposer ses décisions politiques. Ces événements ne sont pas confirmés et en restent au stade de l'hypothèse.
Les soupçons n'ont pas suffi
Fait explosif: l'enquêteur spécial Peter Marti, se rendant compte qu'il avait reçu plus qu'il n'avait demandé, avait écrit à la responsable des services légaux de l'OFIT pour lui signaler l'erreur de l'office. Et avait promis de traiter les données avec soin.
Mais ce dernier n'a finalement pas fait preuve d'une retenue particulière: tôt le matin du 17 mai 2022, la police a sonné à la porte de Peter Lauener en ville de Berne. L'ex-porte-parole a été arrêté provisoirement – et a croupi quatre jours derrière les barreaux. Peter Marti a ensuite dû le laisser partir. Les soupçons à son encontre étaient trop faibles.
Droits de la personnalité bafoués
Cet événement a toutefois eu des répercussions. Karin Keller-Sutter, entre-temps devenue ministre des Finances, a fait examiner la livraison des données en interne. Résultat: «L'OFIT a violé les règles de la protection des données et donc les droits de la personnalité des personnes concernées», a récemment fait savoir le Département fédéral des finances (DFF) à la radio alémanique SRF.
Mais les conséquences de cette erreur restent limitées. Le DFF a ordonné des changements organisationnels. A l'avenir, seuls les e-mails demandés seront transmis. Bien qu'il s'agisse probablement d'une violation du secret de fonction en raison de laquelle Peter Lauener a dû être mis en détention, Karin Keller-Sutter n'a pas déposé de plainte.
La ligne de défense? «Comme l'OFIT a d'abord été informé des faits par les autorités de poursuite pénale, la question d'une plainte ne se pose pas», estime le DFF. Et: «Nous soulignons que la remise de l'ensemble de la boîte mail correspondait à une pratique constante de l'OFIT». La même pratique a été adoptée dans d'autres cas examinés.
L'OFIT se tait
Selon le DFF, il appartient à l'OFIT de décider si des mesures disciplinaires sont indiquées à l'encontre de ses collaborateurs. A ce sujet, l'office ne communique pas, en raison de la «protection de la personnalité».
Ce dernier accorde visiblement plus d'importance aux droits de la personnalité pour ses employés que pour l'ancien porte-parole d'Alain Berset. Le DFF aussi, a demandé à Blick de respecter les droits de la personnalité des collaborateurs de l'OFIT dans ses articles.
Lorsque le Conseil fédéral dénonce des violations du secret de fonction suite à des fuites dans les médias, les enquêtes passent généralement aux oubliettes. Il est pratiquement impossible de déterminer l'origine précise des fuites.