Le Conseil fédéral et le Parlement ont accordé de nombreuses facilités
Les rabais accordés à Credit Suisse ont été imposés par les politiques

Le rapport de la Commission d'enquête parlementaire (CEP) critique les allègements de capital accordés par la Finma à Credit Suisse. La Confédération ainsi que le Parlement ont été impliqués dans la décision. On vous explique.
Publié: 10.01.2025 à 14:59 heures
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Dernière mise à jour: 10.01.2025 à 16:25 heures
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En mars 2023, l'UBS a avalé le Credit Suisse en difficulté.
Photo: AFP
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Holger Alich

Le rapport final de la Commission d'enquête parlementaire (CEP) sur l'effondrement de Credit Suisse établit un point sans équivoque: la dotation insuffisante en capital de Credit Suisse, et surtout de Credit Suisse SA, a été un important accélérateur de crise. La CEP contredit ainsi le lobby bancaire qui ne veut rien savoir des exigences plus élevées en matière de fonds propres qui freinent les rendements et donc les bonus.

Le rapport se concentre surtout sur un allègement des fonds propres que la Finma a accordé à Credit Suisse à partir de 2019: le fameux «filtre réglementaire». Celui-ci annulait une modification des règles du bilan pour l'évaluation des participations.

Comment le filtre controversé a-t-il été mis en place?

Concrètement, Credit Suisse a été autorisé à continuer de compenser les réserves d'évaluation de sa filiale bancaire suisse avec les pertes de valeur de ses filiales étrangères. Rien que pour la première année d'application, cette astuce a permis à Credit Suisse SA d'améliorer de 15 milliards sa dotation en fonds propres. «Le filtre réglementaire a masqué la situation réelle de Credit Suisse SA, critique la CEP. Ainsi, Credit Suisse n'a pas été contraint de renforcer sa situation en matière de fonds propres à un moment où cela aurait pu être encore plus facile dans certaines circonstances.»

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La CEP n'a pas pu clarifier de manière exhaustive les circonstances de l'octroi du filtre réglementaire
Rapport de la CEP
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Mais le filtre est-il vraiment l'élément central des problèmes chroniques de capital? Et comment en est-il arrivé là? «La CEP n'a pas pu clarifier de manière exhaustive les circonstances de son octroi», peut-on lire dans le rapport. Des entretiens avec les personnes concernées et la lecture des expertises commandées par la CEP montrent toutefois que la Finma a accordé le filtre dans le cadre d'un deal – un deal auquel le Parlement et le gouvernement ont participé de manière déterminante.

Car le rabais sur le capital accordé par le filtre n'est qu'un allègement parmi d'autres, accordé de concert par le Parlement, le gouvernement et la Finma aux grandes banques et surtout à Credit Suisse. Le fait que l'ancienne marque a trop longtemps navigué avec une couverture en capital trop mince est donc une responsabilité collective.

De facto, les responsables politiques ont accordé à Credit Suisse un droit de regard sur l'élaboration des règles en matière de fonds propres. Leur conception «ressemblait parfois plus à un processus de négociation contractuelle qu'à une simple consultation», déplore la juriste économique Corinne Zellweger-Gutknecht dans son expertise pour la CEP.

Cette histoire de facilités a débuté en 2011. A l'époque, le principe selon lequel les exigences de fonds propres pour les grandes banques devaient être plafonnées au niveau du groupe a été ancré. En d'autres termes, si les exigences en matière de fonds propres augmentaient pour les filiales bancaires, cela ne devait pas se traduire par des exigences plus élevées au niveau du groupe.

Les banques avaient de facto leur mot à dire

Cette décision avait déjà été prise en étroite concertation avec les banques, comme l'a expliqué la ministre de l'époque, Eveline Widmer-Schlumpf, au Conseil des États. «J'ai une confirmation écrite de Credit Suisse que c'est exactement ce qu'ils ont imaginé dans tous les domaines.»

En 2012, le Parlement a ensuite adopté la nouvelle ordonnance sur les fonds propres (OFR) correspondante. Elle prévoyait que, dans le bilan de la maison mère, la valeur des filiales étrangères devait être entièrement déduite des fonds propres.

Mais cette règle stricte n'a jamais été pleinement appliquée. En effet, la même ordonnance imposait à nouveau à l'autorité de surveillance des allègements substantiels. L'article 125 de l'OFR prescrivait aux autorités de surveillance d'accorder des allègements en matière de capital afin que les exigences cumulées en matière de capital des sous-banques ne dépassent pas les exigences pour le groupe.

Résultat? Lorsque les surveillants britanniques ou américains exigeaient de Credit Suisse davantage de capital pour leurs filiales locales respectives, la Finma devait accorder des rabais en Suisse. Au lieu de couvrir entièrement la valeur des filiales par des fonds propres, elles n'entraient dans le bilan de la maison mère qu'en étant pondérées en fonction des risques.

«Si l'on peut parler d'un changement de régime à un moment donné, il a eu lieu dès décembre 2013», conclut Corinne Zellweger-Gutknecht. Et ce, sous la pression du Parlement. Conséquence? La maison mère Credit Suisse SA est devenue le maillon le plus faible de la banque.

Un nouvel allègement remplace un ancien

La Finma voulait absolument se débarrasser de cet article 125. Mais celui-ci faisait partie du deal entre la Confédération, le Parlement et Credit Suisse. Selon la déclaration de la Finma citée par la CEP et confirmée par des personnes impliquées, le Ministère des Finances avait clairement annoncé la couleur sur cette question. Ce n'est que si Credit Suisse est d'accord avec la suppression de l'article 125 que cette question devrait être abordée.

«La CEP n'a toutefois pas pu établir de preuves à ce sujet», peut-on lire dans le rapport. L'ex-ministre des Finances Ueli Maurer n'a pas pu se souvenir des détails sans avoir accès au dossier, tout comme le secrétaire d'Etat aux Finances de l'époque, Jörg Gasser. L'ex-chef de la Finma Mark Branson n'a pas voulu prendre position.

Mais l'experte Corinne Zellweger-Gutknecht estime, elle aussi, que l'on peut assurer qu'il y ait eu un accord. «Plus plausible est un scénario dans lequel la Finma a dû se mettre d'accord, notamment avec le Credit Suisse, sur une solution alternative avant que le Conseil fédéral ne soit prêt à reproduire cette réglementation dans l'OFR (ndlr: ordonnance sur les fonds propres) et à abroger l'article 125 OFR.»

Credit Suisse aurait été sous l'eau dès 2020

Le résultat a été un compromis qui n'a finalement profité à personne. L'article 125, qui obligeait à des allègements, a été supprimé. Mais les pondérations de risque pour la couverture en capital des filiales étrangères ne devaient être augmentées que progressivement jusqu'en 2028. Si les nouvelles règles en matière de capital s'étaient appliquées dès 2017, Credit Suisse aurait eu besoin d'un coup de 16,8 milliards de nouveaux fonds propres de base, selon l'expertise Corinne Zellweger-Gutknecht.

Le deuxième allègement dans le deal a été le désormais célèbre filtre réglementaire qui a dispensé Credit Suisse d'évaluer ses filiales bancaires individuellement à la valeur la plus basse et non plus selon une évaluation collective. «Sans filtre, Credit Suisse aurait été légèrement sous-capitalisé dès 2020 et clairement jusqu'à l'automne 2022», critique le professeur de banque Urs Birchler dans son expertise.

Et UBS? Elle n'avait pas besoin de cette aide, elle est structurée différemment. Au lieu de comptabiliser la majeure partie de ses activités de banque d'investissement dans des filiales étrangères de la banque suisse, UBS les comptabilise dans des succursales étrangères.

Mais si l'on considère la méthode consistant à accorder aux banques un quasi droit de regard sur la réglementation, la focalisation du rapport de la CEP sur le filtre semble discutable. Un ex-responsable de la Finma est plus explicite. «Le système d'allègements que le Parlement avait décidé auparavant était encore pire.»

Le dilemme de la surveillance

Pour l'experte Corinne Zellweger-Gutknecht, le filtre est l'expression d'un dilemme de la Finma. Une plus grande rigueur en matière de fonds propres aurait certes été nécessaire, mais il n'était pas certain que le Credit Suisse aurait pu réunir les fonds nécessaires. Afin d'éviter un effondrement de la banque et ses conséquences sur le système financier, des allègements ont donc été accordés à plusieurs reprises.

La surveillance ne pourrait être plus stricte que s'il existait une possibilité crédible d'envoyer une banque en liquidation. Cette possibilité doit maintenant être créée de toute urgence.

Ainsi, l'expert Urs Birchler conclut: quel aurait été le sort de Credit Suisse sans l'octroi du filtre? «Il est possible que Credit Suisse ait survécu... ou qu'il ait disparu plus tôt.»

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