Le colonel Dominik Knill alerte
«L'armée suisse souffre de graves lacunes en matière de capacités financières»

Une lutte de pouvoir fait rage au sein de la Société suisse des officiers. Le président en fonction Dominik Knill s'entretient avec Blick sur l'état des troupes, les plans de l'OTAN, ainsi que Viola Amherd.
Publié: 03.03.2024 à 18:58 heures
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Dominik Knill se bat pour sa réélection à la présidence de la Société suisse des officiers.
Photo: Siggi Bucher
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Raphael Rauch

Dominik Knill, êtes-vous trop gentil?
Gentil, mais ferme.

Votre prédécesseur critique vos rapports avec la cheffe du DDPS Viola Amherd, ainsi que votre manière de diriger. Il voudrait bien vous écarter de votre position de président...
On n'obtient en général pas grand-chose au Département de la défense si on s'oppose frontalement aux autres. Je mise donc sur un dialogue qui permet la critique, mais de manière constructive. Nous attendons du Conseil fédéral qu’il prenne au sérieux le mandat constitutionnel de la défense nationale. Cela coûte beaucoup d’argent.

N’est-il pas inhabituel qu’un prédécesseur se dispute un poste avec son successeur?
J’ai annoncé il y a six mois que je me représentais pour un an. Le fait que Stefan Holenstein se présente sans m’en informer au préalable ne correspond pas à ma conception de la camaraderie. Mon successeur à partir de 2025 devra en plus être issu de Suisse romande.

Que répondez-vous au reproche selon lequel le secrétariat et vous-même coûtez trop cher?
Je suis président à titre bénévole, je perçois un forfait modéré et il y a des frais. Sans secrétariat, une association ne peut pas être dirigée.

Il manque des milliards de francs à l’armée. Est-ce que votre amitié avec Madame Amherd est vraiment appropriée?
La présidente de la Confédération explique clairement que l’armée a été ruinée par des économies faites sur son dos au cours des dernières décennies. L’armée suit la primauté de la politique, et celle-ci doit à présent prendre ses responsabilités. La Société suisse des officiers soutient la politique.

Le chef de l’armée, Thomas Süssli, ne devrait-il pas démissionner si l’armée n’est plus performante?
Des goulots d’étranglement au niveau de l’équipement existaient déjà pendant la guerre froide. C’est tout à l’honneur du chef de l’armée d’identifier les lacunes et de chercher à y remédier. Abandonner ne semble pas être une option. Madame Amherd a exprimé sa confiance envers Monsieur Süssli.

A quel point l’armée suisse présente-t-elle des lacunes dramatiques en matière de capacités?
L’armée souffre de graves déficits. Avec la guerre en Ukraine, les biens d’armement sont devenus convoités, les délais de livraison longs et coûteux. Des systèmes obsolètes engloutissent des sommes colossales pour l’entretien, sont inefficaces et représentent de plus en plus un danger pour les opérateurs. Un semi-équipement ne représente pas une sécurité bon marché, mais de l’argent gaspillé. Maintenant que l’Europe est en guerre, nous ne devons épargner ni nos efforts ni nos coûts pour combler le plus rapidement possible les lacunes en matière de capacités.

Le président français Emmanuel Macron a évoqué cette semaine l’idée de troupes occidentales au sol pour l’Ukraine.
Ce serait extrêmement problématique – l’OTAN serait ainsi directement en guerre avec la Russie. Ce n’est pas dans notre intérêt. Je suis heureux que le chancelier allemand Scholz ait clairement contredit cette idée.

Les troupes françaises pourraient-elles traverser la Suisse?
Cela serait contraire à la neutralité. En tant que Français, je choisirais de passer par l’Allemagne ou l’Italie.

Dans le Message sur l’armée 2024 publié sur le site de la Confédération, il est dit qu’une attaque contre la Suisse avec des missiles balistiques, des missiles de croisière ou des drones armés est «plutôt probable». Devons-nous nous préparer à la guerre?
Je pense qu’une grande guerre contre la Suisse est peu probable. Je ne spécule toutefois pas sur la probabilité d’occurrence d’autres formes de guerre. La possibilité que la Suisse en soit affectée est devenue plus probable.

Le PS et l’UDC veulent interdire à l’armée suisse de participer aux exercices de l’OTAN qui concernent les cas de défense.
C’est l’OTAN, et non la Suisse, qui pose les conditions d’une coopération. Notre système militaire actuel serait dépassé.

Le PS et l’UDC forment-ils une alliance qui contrevient à l’initiative sur la neutralité?
La fiabilité et la crédibilité de la Suisse sont menacées par l’initiative sur la neutralité, qui est en fait une initiative sur l’interdiction des sanctions. La neutralité est un moyen pour atteindre une fin. La politique de neutralité doit garantir la liberté d’action du gouvernement.

Êtes-vous un fan de l’OTAN, Monsieur Knill?
Sur le fond, il est clair pour moi que nous faisons partie de l’espace de sécurité européen et que nous dépendons de sa stabilité. C’est pourquoi il est important de consolider et de diversifier la coopération avec les pays voisins partageant les mêmes idées et avec un système de sécurité occidental. Mais je rejette l’adhésion de la Suisse à l’OTAN. Je suis favorable à la neutralité armée avec une armée de milice entièrement équipée et suffisamment alimentée.

Le chef de l’armée veut augmenter les effectifs de 100’000 à 120’000. Ne faudrait-il pas d’abord investir dans un meilleur matériel?
A la lumière des expériences faites lors de la guerre en Ukraine, je pense que la limitation à 100’000 soldats est trop juste. Reste à savoir comment augmenter cet effectif. Nous pourrions prolonger l’obligation de servir et réintégrer les militaires libérés. Nous pourrions aussi envisager la réintroduction d’une deuxième classe d’armée. Il serait aussi bien de réduire les départs vers le service civil. Mais sans équipement moderne et sans finances assurées, une augmentation des effectifs reste peu crédible.

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