Le chef de l'armement veut changer les choses
La Suisse a un plan pour devenir un acteur mondial sur le marché militaire

Le nouveau chef de l'armement, Urs Loher, souhaite faire de l'industrie suisse un acteur mondial sur le marché militaire. Pour la première fois, il esquisse son plan.
Publié: 07.12.2023 à 16:37 heures
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Dernière mise à jour: 07.12.2023 à 16:50 heures
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Le nouveau chef de l'armement, Urs Loher, a en tête d'augmenter le nombre de commandes militaires pour les entreprises suisses.
Photo: Keystone
Bernhard Fischer

Cela faisait à peine cinq semaines qu'il était entré en fonction que le nouveau chef de l'entreprise fédérale Armasuisse, Urs Loher, devait déjà faire face à des problèmes d'approvisionnement. Le drone Hermes du groupe d'armement israélien Elbit, destiné à l'armée suisse, connaît des retards de livraison. L'entreprise d'armement israélienne Elta est également confrontée à des difficultés. Elle fournit des appareils de technologie radar et de technologie de guerre électronique.

Les deux entreprises ne livrent plus comme prévu cette année en raison de la guerre entre Israël et le Hamas. Rien que pour les six exemplaires du drone Hermes commandés, c'est un quart de milliard de francs qui sont en jeu. Les autres conséquences du conflit sur les livraisons en provenance d'Israël ne sont pas encore claires. Toutefois une chose est sûre: la guerre au Proche-Orient a atteint l'armée suisse.

Mais si les retards de livraison sont graves, la tâche qui attend Urs Loher à l'intérieur du pays est bien plus importante. Il ne s'agit pas seulement de retards de livraison de certains appareils, il s'agit de l'avenir de l'armée suisse. Celle-ci cherche à se moderniser de toute urgence et doit se préparer à affronter les menaces du 21e siècle. L'appareil de défense actuel présente de grandes lacunes, notamment en ce qui concerne les drones, les robots et l'intelligence artificielle. Pour la première fois, le chef de l'armement évoque sa vision pour une nouvelle place d'armes suisse.

Davantage de fournisseurs suisses proches de l'armement doivent combler les lacunes de l'armée. Cela sera possible si Armasuisse, en collaboration avec l'industrie locale, parvient à une certaine indépendance vis-à-vis des livraisons critiques de l'étranger. Ne serait-ce que pour garantir la capacité de défense et d'endurance de l'armée en cas d'urgence. C'est pour cela que le chef de l'armement Urs Loher s'engage: «Je suis venu de l'industrie pour résoudre ce problème.»

Indispensable dans les chaînes d'approvisionnement

Avant de prendre la tête de l'autorité d'acquisition, il occupait le poste de chef pour la Suisse du fournisseur d'armement français Thales et avant cela, celui de CEO de Rheinmetall Air Defence. Il connaît les conditions de fonctionnement d'une industrie d'armement privée et souhaite désormais, dans le cadre de sa fonction publique, une armée plus efficace, «capable de rester intacte le plus longtemps possible et de manière aussi autonome que possible». Et pour cela, l'industrie est indispensable dans les chaînes d'approvisionnement internationales pour renforcer l'armée.

Ce n'est pas seulement le souhait de Urs Loher, c'est sa mission. Car depuis l'attaque de la Russie contre l'Ukraine en février 2022, il est devenu crucial de pouvoir disposer de sa propre industrie et de sa propre armée. Avec les combats en cours au Proche-Orient, ce paramètre est devenu indispensable. Pourtant, cela n'a pas été suffisamment fait jusqu'à présent. Le chef d'Armasuisse est en train de repenser de fond en comble la politique et l'industrie suisses de l'armement.

Les besoins de l'armée au banc d'essai

L'autorité de l'armement est actuellement en train d'évaluer, en collaboration avec l'Ecole polytechnique fédérale (EPF) et la Haute école de St-Gall, quels sont les éléments clés pour l'armée et les opportunités potentielles pour l'industrie de l'armement en Suisse en général. Les résultats sont attendus dans les prochains mois.

Il s'agira, d'une part, de déterminer ce dont l'armée a besoin pour maintenir le fonctionnement et la capacité opérationnelle de ses systèmes. D'autre part, l'idée sera de positionner l'industrie suisse de l'armement en exclusivité mondiale dans les chaînes d'approvisionnement internationales. La Suisse doit à l'avenir devenir incontournable dans l'industrie mondiale de la défense, du moins elle en a l'intention.

Pour cela, le chef d'Armasuisse veut augmenter les interdépendances dans le domaine et faire ainsi de la Suisse un acteur indispensable non seulement sur le plan national, mais aussi pour les pays cibles des exportations et les grands groupes d'armement. Les avions de combat américains et les sous-marins allemands doivent voler et plonger avec le soutien de la Suisse. Les affaires offset et les commandes d'entreprises sont un moyen d'y parvenir – l'autre étant de disposer de plus de moyens financiers pour développer l'industrie en Suisse.

Urs Loher pense à des réparations et des améliorations d'anciens chars ainsi qu'à des prototypes de différents appareils militaires issus de l'atelier de l'université. Mais aussi à des solutions informatiques et de communication complètes pour l'armée. «Dans le domaine de l'informatique justement, nous avons en Suisse d'excellentes entreprises qui peuvent nous soutenir en conséquence», explique le chef de l'armement.

Il voit encore plus grand, avec des systèmes de capteurs automatisés, des robots, des drones, de l'intelligence artificielle et de la technologie quantique: des domaines dans lesquels la Suisse joue déjà un rôle de premier plan. Cela pourrait aussi profiter à l'armée et à l'industrie locale de l'armement et fera partie du plan pour les dix prochaines années.

Nettement plus de demandes de contreparties

Le plan prévoit par ailleurs un développement considérable des transactions compensatoires, appelées offsets: la Suisse commande du matériel de guerre et le fournisseur étranger passe des commandes à l'industrie locale à hauteur de la valeur de la commande. Le prix d'achat doit ainsi être compensé et les entreprises doivent en profiter.

L'idée n'est pas nouvelle, mais la quantité et le déroulement ne sont pas encore au point. L'accord sur les drones avec Israël est une telle contrepartie. Il manque encore de nombreuses commandes aux entreprises suisses en contrepartie de cette livraison - pour un montant de plusieurs centaines de millions. De même, il manque encore deux tiers des compensations dans le cadre des contreparties pour l'avion de combat F-35. Urs Loher veut changer cela, placer des commandes concrètes en Suisse et engager dès aujourd'hui davantage d'offsets pour les futures affaires d'armement.

Le temps presse, car les sous-traitants et les productions pour le domaine militaire ont beaucoup souffert en Suisse ces dernières années : Les conditions d'exportation se sont dégradées, les lois ont été durcies et les demandes d'exportation ont été rejetées. Des entreprises comme Ruag, Rheinmetall, Elbit et Mowag ont dû se creuser la tête pour savoir ce qu'elles pouvaient obtenir en termes de valeur ajoutée suisse lorsque les commandes en Suisse font défaut. Les incitations pour de nouvelles entreprises dans l'environnement de l'armement suisse sont devenues faibles.

«Réserve industrielle stratégique»

La vente récente de 25 chars Leopard 2 à Rheinmetall montre en revanche comment les contreparties peuvent fonctionner en mettant davantage l'accent sur l'industrie suisse. La transaction a longtemps été bloquée par la question de savoir si elle violerait la neutralité parce qu'elle pourrait contribuer à des livraisons d'armes à l'Ukraine en tant que belligérant.

L'affaire a été approuvée politiquement, elle permet à Ruag de gagner de l'argent en obtenant des mandats de maintenance pour les chars et en recevant également de Rheinmetall le savoir-faire pour les futures augmentations de la valeur de combat des chars actifs dans son propre parc d'armée. L'entreprise fédérale représente pour le chef de l'armement «une réserve industrielle stratégique».

Cette stratégie fait partie du plan en trois étapes d'Urs Loher: premièrement, identifier les produits nécessaires. Deuxièmement, associer les entreprises déjà existantes en Suisse avec les compétences adéquates. Et troisièmement: faire venir en Suisse le savoir-faire manquant. Une sorte de politique de localisation et d'implantation de l'industrie suisse de l'armement, si l'on veut.

Urs Loher ne comprend pas vraiment pourquoi cela n'a pas tout ce dispositif n'a pas été mis en place plus tôt. Il ne se prive donc pas de critiquer: «On aurait pu réfléchir à cette procédure avant l'acquisition des nouveaux avions de combat. Donc avant de signer le contrat.»

Pour une perspective, il faut des commandes

Ce qu'il faut encore, selon Urs Loher, c'est une perspective pour l'industrie. «Et si l'on veut une perspective, il faut des commandes.» Il ne faut donc pas s'orienter uniquement sur les spécifications d'un appel d'offres, comme cela a été le cas dans le passé. Mais plutôt impliquer l'industrie dès le début du processus d'achat. Pour reprendre les termes d'Urs Loher: «Il ne s'agit pas seulement de préparer un plat et de régler la liste des ingrédients, mais d'imaginer un menu complet.»

Selon Urs Loher, ce branle-bas de combat implique également des adaptations de la loi sur l'exportation de matériel d'armement depuis la Suisse. En Europe, on a déjà réalisé qu'il fallait agir ensemble dans ce domaine, selon le chef d'Armasuisse. La Suisse est complètement isolée dans ce domaine et n'est plus considérée comme fiable. «Nous devons changer cela.»

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