Zeno Staub habite au centre de Zurich. Il ne s’est rendu qu’une seule fois à vélo au travail. Rester assis en sueur dans son costume, ce n’est pas son truc. C’est pourquoi le chef de la banque Vontobel se rend à la banque en tram, profite du trajet de dix minutes pour se faire une idée de l’actualité mondiale grâce à l’application Espresso de «The Economist». Sur le chemin du retour, il se promène parfois à pied dans la ville. Interview.
Blick: Vous êtes CEO de Vontobel depuis onze ans, ce qui fait de vous l’un des directeurs de banque les plus anciens de Suisse. Comment parvient-on à rester aussi longtemps au sommet?
Zeno Staub: Mon travail ne me procure pas le même plaisir tous les jours. Mais c’est aussi un privilège d’avoir une telle tâche. Pour pouvoir le faire aussi longtemps, il faut rester curieux. Cette curiosité maintient l’esprit en éveil. En outre, il est très utile de ne pas toujours se prendre trop au sérieux, de faire parfois un pas hors de soi et de se demander ce qu’on fait là, si c'est raisonnable, ou si on peut encore apprendre.
Actuellement, les banques ne vivent pas une époque facile. Arrivez-vous à bien dormir?
C’est une période très intense. L’incertitude est grande chez de nombreux clients et investisseurs. La situation actuelle est très exigeante pour tous, beaucoup de choses sont nouvelles.
Par exemple?
Ce qui est particulier dans cette constellation, c’est que non seulement les marchés des actions, mais aussi les marchés obligataires chutent. C’est relativement rare dans l’histoire. Jusqu’à présent, il n’y a eu que trois années où cela s’est produit. L’année 2022 est jusqu’à présent la pire année pour nos porte-monnaies.
Pour quelles raisons?
Si les taux d’intérêt augmentent, l’argent que vous recevrez demain aura moins de valeur aujourd’hui. Cela vaut pour les obligations comme pour les actions: pour les obligations, le prochain coupon et le remboursement ont moins de valeur, pour les actions, ce sont les dividendes futurs. Et au-dessus de tout cela plane la question: y aura-t-il une récession?
Et quelle est la réponse alors? Y aura-t-il une récession?
Il faut faire une petite distinction selon les régions. Mais nous pensons que dans les principales régions économiques, une légère récession se profile pour l’année prochaine.
En Suisse aussi?
Les chances que la Suisse puisse également mieux surmonter cette crise ne sont pas si mauvaises. Sa monnaie indépendante et forte y contribue. D’autant plus que la Banque nationale, en augmentant les taux d’intérêt, permet au franc de continuer à se renforcer. Cela contribue à maîtriser l’inflation.
Mais n'est-ce pas mauvais pour l’économie d’exportation?
Une grande partie de la performance économique suisse est moins exposée à la hausse des prix de l’énergie. Nous sommes également une économie de services forte. Cela signifie que pour gagner un franc de produit intérieur brut, nous avons besoin de moins d’énergie que d’autres pays, comme l’Allemagne par exemple. D’un autre côté, il est vrai qu’en tant que nation exportatrice, nous sommes aussi dépendants de l’évolution économique de nos marchés de vente.
On ne peut pas faire abstraction de la guerre qui se déroule actuellement. Est-ce qu’il y a des fonds d’oligarques russes chez Vontobel?
Nous soutenons pleinement les sanctions. La mise en œuvre du régime de sanctions est exigeante et très complexe. De toute manière, nous nous concentrons sur les entreprises de classe moyenne – ce qui ne concerne pas la plupart des oligarques russes qui sont de grands entrepreneurs. S’ils veulent financer un pipeline, ils ne viennent pas chez Vontobel.
Est-ce que des fonds ont dû être bloqués chez Vontobel?
Dans un cadre très limité.
Les clients sont inquiets. Le besoin de conseil a-t-il augmenté?
Il est important que le client investisse toujours de manière à ce que cela corresponde à son objectif, à sa fortune globale et à son horizon temporel. Nos clients sont très réfléchis, ils restent calmes. «Le va-et-vient vide les poches», dit un vieil adage boursier.
Qu’est-ce que cela signifie concrètement?
Changer frénétiquement et subitement sa stratégie de placement qui correspond à ses objectifs, c’est difficile. En revanche, s’y tenir est l’une des clés du succès des placements à long terme.
Dans certains pays, l’inflation freine déjà l’envie d’acheter des consommateurs.
Lorsque l’inflation sévit, les consommateurs ont d’abord tendance à privilégier la consommation planifiée. En d’autres termes, s’ils ont besoin d’une nouvelle télévision, ils l’achèteront aujourd’hui plutôt que demain, même si elle est plus chère. Seulement, en cas d’inflation, ils ont aussi moins d’argent dans leur porte-monnaie, ce qui signifie que les gens adapteront leur budget de consommation au pouvoir d’achat réel au fil du temps. Le risque de récession augmente donc. L’évolution de l’inflation et des salaires sera déterminante.
La mondialisation est-elle arrivée à son terme?
Non! La mondialisation n’est pas terminée. Elle a largement contribué à la baisse des prix. L’extension des capacités de production, surtout en Asie, a fait baisser les prix, tout comme le progrès technologique. Nous assistons désormais à un ralentissement de la mondialisation et à une régionalisation de la production. Toutefois, la mondialisation ne disparaîtra pas, les pertes de prospérité seraient bien trop gigantesques.
Qu’en est-il du développement technologique?
Les gains de productivité technologiques sont énormes. L’objet qui a peut-être le plus fait s’effondrer les prix dans l’histoire de l’humanité est d’ailleurs le smartphone. Il suffit de penser à toutes les possibilités techniques qu'il offre – cartes, appareil photo, vidéoconférence, etc. Si vous aviez voulu intégrer toutes ces fonctionnalités, qui vont de soi aujourd’hui, dans le premier smartphone au prix de l’époque, cela aurait coûté près de 800’000 dollars. Et aujourd’hui, vous obtenez ces prestations pour moins de 1000 francs.
Qu’est-ce que cela implique pour les épargnants?
S’ils veulent préserver leur pouvoir d’achat, ils doivent investir et être prêts à accepter un certain risque pour leur portefeuille.
Est-ce que cela change à nouveau en cas de hausse des taux d’intérêt, y a-t-il de l’espoir pour les épargnants?
Non! Ce qui change, c’est qu’ils ne doivent désormais plus payer pour conserver leur argent. Le souhait principal en matière d’épargne est d’avoir une vie assurée à la retraite. Pour cela, il faut ce que l’on appelle le troisième pilier. L’intérêt sur le livret d’épargne ne suffira pas.
Avec la décision de la Banque nationale sur les taux d’intérêt, Vontobel a carrément supprimé les intérêts négatifs. Est-ce plus qu’un bon coup de pub'?
Nous ne gérons pas les liquidités d’entreprises suisses comme d’autres banques. Nous sommes une société de placement. Les taux d’intérêt négatifs ont une toute autre importance pour nous. De plus, nous nous attendons à une prochaine hausse des taux de la Banque nationale cette année encore. Nous avons donc tout de suite supprimé les taux d’intérêt négatifs.
Dans quelle mesure la Banque nationale suisse, va-t-elle encore augmenter les taux d’intérêt en Suisse?
Par ce premier pas, la BNS a prouvé son indépendance. Elle a aussi montré que son objectif est la stabilité des prix et non la promotion des exportations. En outre, les temps ont changé: Un franc trop fort n’est plus un facteur de déflation – c’est-à-dire de baisse des prix en Suisse –, mais nous protège de l’importation d’une inflation trop élevée. Nos experts s’attendent à une nouvelle hausse des taux d’intérêt au second semestre, probablement de 0,5 point.
Qu’est-ce que cela signifie pour les propriétaires?
Cela dépend toujours de la manière dont ils sont financés. Nous ne sommes certes pas un établissement hypothécaire, mais l’expérience montre qu’avant qu’une personne ne puisse plus payer les intérêts de son logement, elle économise ailleurs. Pour les vacances par exemple, pour la deuxième voiture ou pour les sorties. Vendre sa maison est vraiment le tout dernier recours. La crise immobilière des années 1990 ne se reproduira pas. Toutefois, dans l’immobilier aussi, nous ne devons pas oublier que les prix qui montent peuvent aussi redescendre.
Vontobel propose désormais une application numérique, Volt. Est-ce que les clients aisés l’accepteront?
Volt est une offre hybride, car les questions d’argent surgissent souvent à des tournants ou à des moments clés de la vie. L’argent est en effet aussi synonyme de sécurité, d’indépendance, d’évitement des risques, de prévoyance, de souci pour les autres. Lorsque l’on se trouve à l’un de ces tournants, on veut pouvoir en parler avec un conseiller. Mais les clients ne souhaitent pas forcément le faire tous les jours ou pour chaque transaction individuelle. Ils veulent être informés et pouvoir agir 24 heures sur 24.
Est-ce que toutes les banques doivent avoir une plateforme numérique?
L’offre numérique s’adresse à tous les clients. Ce n’est pas comme si seulement les jeunes, qui commencent à construire leur patrimoine, se tournaient vers le numérique. Aujourd’hui, il y a trois ou quatre générations qui travaillent très activement avec des instruments numériques. Ce n’est donc pas une question de génération ni de taille du patrimoine. Même le client classique de la gestion de fortune veut aujourd’hui communiquer avec la banque via une interface numérique.
(Adaptation par Mathilde Jaccard)