Frontex, c’est le nom de l’agence européenne qui surveille les frontières de l’Espace Schengen. La contribution de la Suisse doit être renforcée dès 2027: 61 millions de francs par an au lieu de 27 jusqu'ici, a décidé l’automne dernier le Parlement.
Incapables de faire entendre leur voix sous la Coupole, la gauche et les ONG ont réussi à récolter suffisamment de paraphes pour faire voter le peuple sur cette question. Alors que l'issue de la démarche a longtemps été indécise, «bien plus de 55’000 signatures» ont été récoltées, selon l’ONG Migrant Solidarity Network, qui a salué mercredi soir «une victoire de la solidarité».
En attendant que le peuple ne s'exprime sur la question en mai prochain, sous réserve de validation des signatures, Oleg Gafner, vice-président des Verts suisses et coprésident des Jeunes Verts suisses, deux organisations très actives dans la récolte des paraphes, justifie son courroux contre l’agence européenne et ses pratiques.
Êtes-vous soulagé de l’aboutissement du référendum?
Oui. Récolter des signatures est déjà dur en temps normal, mais en plein hiver avec le Covid, c’est un sacré défi. En particulier sur les thèmes migratoires, qui sont les plus compliqués. Même si, dans le cas de Frontex, nous avons même eu des soutiens de gens de droite parce que le Parlement a décidé de mettre 61 millions de francs dans une agence européenne.
Avec les Jeunes Verts suisses, vous allez même plus loin que le référendum et voulez, à terme, «abolir Frontex». Pourquoi?
C’est une institution qui se militarise à toute vitesse. Il y a un programme d’acquisition de 100 millions de matériel de guerre, avec des drones qui peuvent bombarder. Ce sont des outils qui ne correspondent pas du tout à la mission — le Parlement européen a d’ailleurs demandé le gel de son budget parce que de nombreuses violations des droits humains ont été constatées. Elles sont choquantes.
Lesquelles, par exemple?
Un article du «Spiegel», en Allemagne, a documenté comment des navires refoulent des embarcations en caoutchouc sur la Méditerranée pour éviter d’avoir à respecter les accords de Dublin et la convention de Genève. Ils appellent ça le «water-polo grec»: éviter à tout prix que les canots touchent le sol, puisque la loi oblige ensuite à accueillir leurs occupants, au moins pour statuer sur leur sort.
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Si vous ne voulez pas de Frontex, quelle est votre vision de la politique de sécurité?
Il faut revoir tout le système. Avec les millions prévus pour Frontex, nous disposons d’une manne conséquente. Il y a par exemple les infrastructures: la Suisse a réduit la voilure en termes de centres d’accueil, ce qui lui permet après coup de prendre l’absence de ressources comme argument pour ne pas accueillir. Nous pourrions également renforcer l’aide au développement.
Justement: dans le cas de l’Afghanistan par exemple, ne devrait-on pas aider les pays limitrophes à accueillir les réfugiés plutôt que les déraciner en Europe?
Le fantasme de penser que de poser une tente avec de l’eau et des couvertures à la frontière des pays va les empêcher de traverser la Méditerranée est assez vain. Souvent, ces pays «refuges» sont déjà surchargés, ou ont parfois des liens avec les guerres civiles à la source des départs.
Comment fait-on, alors?
Il faut une vision commune, un plan d’entraide. Plutôt que de regarder les migrants traverser la Hongrie et se faire refouler en Allemagne, on pourrait commencer une répartition directement. Pourquoi ne pas imaginer des ponts aériens qui faciliteraient une distribution équitable des personnes entre les pays? Ce serait plus efficace qu’une armée de 10’000 soldats pour sécuriser naïvement la «forteresse Europe».
Une Neuchâteloise témoigne
Et ainsi créer un appel d’air en envoyant un signal que l’Europe est prête à accueillir tout le monde?
Il ne s’agit pas d’une migration à la carte, comme si c’était du tourisme. Il faut marteler que nous parlons ici de personnes qui quittent leur foyer, abandonnent tout ce qu’ils ont. Vous croyez qu’ils le font par plaisance? Nous parlons d’individus qui traversent des mers sur des bouts de plastique au péril de leur vie. Il ne s’agit pas d’un voyage mais d’une fuite. Le plus souvent, il s’agit de jeunes hommes désespérés qui ont les moyens de payer les passeurs.
Comment expliquez-vous que ce business soit aussi florissant, alors que cela fait des années que les passeurs sont dénoncés de toutes parts?
C’est le résultat des accords de Dublin, tout simplement. Les pays extérieurs s’occupent de tout, presque tout seuls. L’Union européenne a certes créé cette agence, Frontex, mais le seul concept est de renforcer les ressources militaires là où il y en a besoin. La seule vision est d’assister les pays dans leur politique, même s’il s’agit de refouler tout le monde aux portes de l’Europe malgré notre responsabilité.
La Suisse a-t-elle vraiment une responsabilité directe en la matière?
Elle est multiple: d’abord parce que nous exportons beaucoup d’armes, malgré notre neutralité. Ensuite, il y a les investissements que font nos entreprises et nos banques dans certaines zones de la planète et qui conduisent parfois à du lobbying indirect pour des guerres civiles. En «échange», on n’accueille que des personnes sous permis F et l’on renvoie dès que l’on peut. Il faut une politique migratoire respectueuse de la dignité humaine, un engagement actif en faveur de la solidarité mondiale et de la lutte à long terme contre les causes de migration.