Selon le chef du Secrétariat d'Etat aux migrations
«Nous pourrions avoir 25'000 demandes d'asile en 2022»

Mario Gattiker est le chef sortant du Secrétariat d'Etat aux migrations. A l'heure de prendre sa retraite, le juriste de 65 ans a accordé une interview à Blick, entre bilan et perspectives.
Publié: 30.12.2021 à 06:01 heures
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Dernière mise à jour: 30.12.2021 à 07:17 heures
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Mario Gattiker, 65 ans, quitte en cette fin d'année son poste de chef du Secrétariat d'Etat aux migrations, fort d'un regard acéré sur son domaine.
Photo: keystone-sda.ch

C'est la fin de l'année: avec plusieurs retards, le chef sortant du Secrétariat d'Etat aux migrations, Mario Gattiker, prend enfin sa retraite. Mais pas sans donner aux lecteurs de Blick un aperçu de l'année 2022 en matière d'asile.

Monsieur Gattiker, vous étiez autrefois considéré comme le maître-nageur suprême du pays...

Mario Gattiker: Vous faites sans doute allusion à l'interdiction de la piscine en 2013 à Bremgarten. A l'époque, nous avions adopté avec la commune une réglementation qui n'avait pas été suffisamment réfléchie. Comme les baigneurs se sentaient gênés par les requérants d'asile, nous avons limité leur nombre dans la piscine. Cette atteinte aux libertés était erronée. Cet exemple montre à quel point l'ancrage des centres d'hébergement pour demandeurs d'asile dans les communes est un défi.

A vos débuts en tant que chef, beaucoup de choses ont mal tourné. Pourquoi, par exemple, une assemblée communale a-t-elle dérapé dans la commune argovienne de Bettwil?

Nous n'avions pas assez impliqué la population. Mais nous en avons beaucoup appris. Depuis lors, nous avons toujours impliqué les communes et les cantons d'égal à égal. Et nous avons appris qu'il faut des facilités en matière de droit de la construction afin de trouver des hébergements pour les requérants d'asile en cas de crise. Nous en avons tenu compte dans la réforme de l'asile qui a suivi.

Cette réforme a été clairement approuvée en 2016 avec 67% de oui. Elle a permis d'accélérer les procédures. La situation s'est calmée...

Ce n'est pas toujours aussi calme! Mais actuellement, nous avons un faible nombre de demandes d'asile en Suisse. D'ici la fin de l'année, nous enregistrerons environ 14'500 demandes. Cela est dû au Covid-19, mais aussi aux mesures prises aux frontières extérieures de l'espace Schengen, comme par exemple l'accord Grèce-Turquie. Ces chiffres bas sont en outre le résultat de notre politique migratoire. Nous voulons offrir une protection aux réfugiés qui en ont besoin et ne pas être attractifs pour les migrants qui n'ont pas de motifs d'asile. Le taux de protection élevé montre que nous y parvenons bien.

À combien de demandes d'asile vous attendez-vous en 2022?

Nous prévoyons environ 15'000 nouvelles demandes d'asile. Mais il y a une probabilité un peu plus élevée qu'en 2021 qu'un scénario avec jusqu'à 25'000 nouvelles demandes se produise en 2022.

Quelles seraient les conditions pour cela?

Si la situation sanitaire devait s'améliorer à partir du printemps, ce que nous espérons tous, le virus freinerait moins la migration qu'actuellement. Mais des chiffres plus élevés seraient également la conséquence du fait que davantage de personnes empruntent à nouveau la route centrale de la Méditerranée entre l'Afrique du Nord et l'Italie. Cette année déjà, les débarquements en Italie ont augmenté.

Le Covid a donc freiné la migration. Vous attendez-vous à une sorte d'effet de rattrapage?

L'instabilité politique progresse dans de nombreux pays, car la pandémie a aggravé la détresse économique. En Afrique, elle a déjà augmenté. L'Éthiopie est au bord de la guerre civile. Le pays se trouve dans une région où vivent environ 5 millions de réfugiés. La situation en Libye est également très instable. Rien qu'en Afrique de l'Ouest, nous avons eu trois coups d'État cette année: au Mali, au Tchad et en Guinée. Il pourrait donc y avoir des situations que les gens fuient. Le nombre de demandes augmenterait alors. De plus, le changement climatique et l'évolution démographique accentuent la pression de l'émigration, notamment en Afrique.

Actuellement, un nombre particulièrement élevé d'Afghans arrivent en Suisse à notre frontière orientale. Les demandes d'asile des ressortissants de ce pays augmentent. Pourquoi cela?

La pandémie avait bloqué la route des Balkans en direction de l'Europe occidentale. Ce blocage a disparu cet été. Nous voyons un grand nombre de migrants quitter la Grèce et poursuivre leur route vers l'ouest. Ce sont surtout des ressortissants syriens, mais aussi des Afghans, qui ont souvent obtenu une protection en Grèce. Ceci parce que l'intégration des réfugiés en Grèce est insuffisante.

Et les Afghans veulent surtout venir chez nous ?

Non, les principaux pays de destination sont l'Allemagne, la France et la Grande-Bretagne, parce qu'il y a de grandes diasporas là-bas. Ceux qui veulent se rendre en Allemagne bifurquent vers le nord, depuis l'Autriche. Ceux qui veulent aller en France ou en Grande-Bretagne passent par la Suisse. La plupart du temps, ils ne déposent pas de demande d'asile, mais poursuivent rapidement leur voyage. Selon la loi en vigueur, nous ne pouvons pas enfermer ces migrants. Le Corps des gardes-frontière et la police cantonale saint-galloise s'efforcent donc d'assurer le meilleur contrôle possible et de faire respecter les conditions d'entrée dans la vallée du Rhin.

Votre mandat de secrétaire d'État touche à sa fin et vous avez un nouveau projet: vous ouvrez un bureau de conseil avec des partenaires. Quel genre de bureau?

Il s'agit d'un petit groupe d'amis experts en politique, en droit et en sciences. Nous souhaitons partager nos diverses expériences dans le domaine de la politique migratoire. Notre objectif est d'apporter notre expertise aux gouvernements, aux autorités et aux organisations, en cas de besoin.

Il n'est donc pas question de passer plus de temps dans votre maison de vacances dans le sud?

On peut aussi travailler depuis sa maison de vacances (rires). Je n'ai certainement pas l'intention de continuer à travailler comme je l'ai fait jusqu'à présent. Je me réjouis de lire à nouveau un livre et de passer plus de temps avec mon épouse. Mais il est agréable de participer à l'un ou l'autre projet pendant les années où l'on est encore en forme. Je me suis occupé de la migration pendant des décennies, parce que cette thématique m'intéresse et non parce que je voulais faire carrière. La migration est l'un des grands défis de notre époque. Je souhaite continuer à contribuer à l'élaboration de bases pour de bonnes solutions. Je m'en réjouis!


(Interview: Pascal Tischhauser. Adaptation: Yvan Mulone)

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