La galère des guides de montagne
«Il se passe quelque chose là-haut, tout fond. Ce n'est pas normal»

La neige fond, les crevasses s'élargissent, les itinéraires habituels sont devenus dangereux, la limite du zéro degré s'élève... Pas étonnant que les guides de montagne délaissent les cimes pour les vallées. Visite en zone de danger, dans la région de Zermatt (VS).
Publié: 25.07.2022 à 11:38 heures
|
Dernière mise à jour: 25.07.2022 à 12:08 heures
1/4
Johanna et Pascal sont rentrés à temps, d'autres montent encore: «C'est de la folie!»
Photo: ANDREA SOLTERMANN
Tobias Marti

Louis-Jean, 77 ans, redescend du sommet du Breithorn (4164 mètres) en titubant, la respiration lourde. «Je suis plus vieux que Mathusalem», plaisante l'Etasunien originaire de Boston.

Il est un peu plus de midi, et le marcheur voit déjà le sol fondre sous ses crampons. Il est seul en montagne, il n'a pas de corde pour se protéger des crevasses: «Je fais ça depuis des années», assure-t-il, confiant.

«Il se passe quelque chose, là-haut»

«Écrivez cela, nous lance l'alpiniste. Il se passe quelque chose, là-haut. Tout fond, l'itinéraire est inondé. Ce n'est pas normal.»

A 8h, les habitants de Zermatt (VS) se plaignent déjà de la chaleur torride. Plus haut, le glacier du Théodule se meurt sous le soleil matinal. La couche de neige protectrice a disparu depuis longtemps, des centaines de ruisselets et de petits ruisseaux scintillent en lieu et place de la poudreuse. Ce qui – comble de l'amertume – est en fait un spectacle magnifique.

Plus haut encore, au Petit Cervin, sur la piste de ski la plus haute d'Europe (3899 mètres), où les grands noms du ski du monde entier s'entraînent en été et se disputent les heures les plus matinales. Là où il y avait, il y a peu encore, de la glace, il n'y a maintenant de la boue. Et toutes les pistes du glacier ne sont pas ouvertes, loin de là.

Rien de normal

Pour se consoler, un regard vers les neiges éternelles du Breithorn. Cette montagne est un peu la drogue de l'alpinisme. Mais, elle aussi, semble avoir changé de visage.

A commencer par la couleur. Le plateau du Breithorn présente aujourd'hui une étrange teinte jaune sale. La poussière du Sahara a déjà soufflé deux fois dessus en 2022.

Là où tout fond, les ponts de neige se brisent aussi, de nouvelles crevasses s'ouvrent, on s'enfonce jusqu'à la taille dans le Pflotsch, ce que les alpinistes apprécient à peu près autant que la diarrhée en pleine montagne.

Rentrer à 10h30 maximum

Les plus raisonnables reviennent déjà du Breithorn à 10h30. C'est effrayant de voir la quantité d'eau qui s'écoule, estiment Johanna et Pascal de Gruyères (FR). D'autres alpinistes continuent de gravir la montagne en passant devant eux, dans la bonne humeur: «C'est de la folie !» Le couple secoue la tête.

Un peu plus haut, à la limite des 4000 mètres, Annelore Furrer vient de réaliser un rêve. Comme de nombreux retraités, cette montagne l'a attirée comme par magie. Elle aimerait encore se délecter du sommet, mais son guide de montagne la presse de descendre. Il sait que l'altitude et la chaleur font souvent chavirer les seniors.

Dans l'un des passages, les crevasses ont atteint sept bons mètres. En dessous, le glacier gronde comme un torrent. Le pont de neige qui enjambe la gorge s'est rétréci à un petit demi-mètre.

Hélicoptère d'Air Zermatt en approche

C'est alors qu'un hélicoptère d'Air Zermatt s'approche à toute vitesse. Un sauveteur est descendu en appel. Rapidement, une nouvelle se répand: un guide de montagne s'est blessé à un pied et doit être évacué. Ses quatre clientes prennent le chemin du retour sans lui.

A midi, les premiers blocs de roche se détachent et s'écrasent sur le glacier.

Le réchauffement climatique, il faut le dire, transforme les Alpes plus que rapidement. Même la montagne des montagnes, le Cervin, s'effrite. Sur son versant italien, les guides de montagne ne font plus l'ascension, devenue trop risquée.

Chutes de pierres

Il en va de même partout. Les guides de Grindelwald renoncent depuis ce mercredi à la Jungfrau (BE). Les chutes de pierres, déclenchées par la chaleur et les alpinistes, sont trop dangereuses.

Les guides de Zermatt annulent eux aussi de plus en plus de courses. Plus personne ne gravit les sommets jumeaux Pollux et Castor. Après 2003, ils ont à nouveau connu «une météo extrême» cette année.

Un hiver sec avec peu de précipitations

L'hiver qui nous attend ne devrait pas améliorer la situation: sec, avec peu de précipitations, et des températures trop élevées. Le chef des secours en montagne, Anjan Truffer, affirme: «Même si les guides de montagne locaux ne partent plus, il y a toujours des fous.»

On en a vu un, accroupi dans la zone de danger, complètement épuisé, mais il fait bonne figure et réfléchit à la manière dont il va sortir de cette zone. «La semaine dernière, ça allait encore», dit l'Italien en s'excusant avec un sourire. Il n'avait pas conscience que la situation pouvait changer du tout au tout en une semaine. Ici, chacun est responsable de ses actes....

Limite du 0 degré mesurée à une altitude record

Une nouvelle qui ne devrait pas rassurer les guides de haute montagne des Alpes: la limite du 0 degrés n'avait jamais été mesurée à une altitude aussi élevée en Suisse qu'au cours de la nuit de dimanche à lundi. MétéoSuisse et Météonews ont indiqué lundi que la limite avait atteint 5184 mètres d'altitude.

L'ancien record, 5177 mètres, datait du 20 juillet 1997. Il est extrêmement rare que cette limite grimpe à plus de 5000 mètres d'altitude, relève MétéoSuisse. Le nouveau record et l'ancien de 1997 sont d'ailleurs les seules valeurs jamais mesurées au-dessus de 5000 mètres. Une limite de 4900 mètres correspond déjà à une place dans le top 10.

Les météorologues déterminent la limite du zéro degré à l'aide de ballons météorologiques. Ils s'élèvent deux fois par jour depuis Payerne (VD).

(Blick/ATS)

Découvrez nos contenus sponsorisés
Vous avez trouvé une erreur? Signalez-la