La débâcle des retraites en Suisse
L'industrie financière dilapide 200 milliards de fonds de prévoyance

Les banques et les assurances encaissent des frais élevés pour la gestion des actifs des caisses de pension - et investissent l'argent au détriment des assurés.
Publié: 06.11.2022 à 10:44 heures
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Dernière mise à jour: 06.11.2022 à 11:34 heures
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«La débâcle des rentes»: Le nouveau livre sur l'influence de l'industrie financière dans la prévoyance suisse paraît lundi aux éditions Rotpunktverlag.
Danny Schlumpf

La fortune de prévoyance suisse ne cesse de croître. Pourtant, les rentes baissent depuis des années, alors que les frais prélevés par l'industrie financière pour la gestion des fonds des caisses de pension augmentent. Elles atteignent aujourd'hui 20 milliards de francs par an, payés par les assurés.

Il s'agit de frais d'administration, de gestion immobilière et d'autres services pour les caisses de pension d'un montant de deux milliards de francs, ainsi que de frais de gestion de fortune d'un montant de cinq milliards. S'y ajoutent des frais de transaction non publiés pour la gestion de fortune d'un montant d'environ douze milliards, ainsi qu'un autre milliard pour les commissions de courtage, le conseil et divers frais.

Ces montants n'apparaissent sur aucun certificat de caisse de pension. L'argent disparaît dans les méandres administratifs des entreprises financières. La plupart des assurés n'ont aucune idée de qui prélève quoi sur leur avoir de vieillesse et à quel endroit. Ils ne peuvent pas non plus contourner le système: depuis 1985, la loi fédérale sur la prévoyance professionnelle vieillesse, survivants et invalidité (LPP) oblige les employés à cotiser au deuxième pilier. Ils ne peuvent pas choisir eux-mêmes leur caisse de pension.

1200 milliards dans le pot de prévoyance

L'Etat accorde d'autant plus de liberté aux banques et aux assurances. Elles ont pris le contrôle et remplacé les anciennes caisses de pension d'entreprise par des fondations communes et collectives pesant des milliards et à peine couvertes par la loi.

En 1985, 150 milliards de francs se trouvaient dans le pot de prévoyance suisse. Cela représente 55% du produit intérieur brut (PIB). Aujourd'hui, ce montant est de 1200 milliards de francs, soit 160% du PIB. Les établissements financiers ont également grandi avec ces milliards, en transférant toujours plus d'argent vers leurs caisses. La plus grande partie est consacrée à la gestion de fortune - environ 17 milliards de francs par an.

Les gestionnaires de fortune justifient ces coûts par le rôle central du rendement qu'ils réalisent pour les assurés. Ils le font en majorité avec des stratégies de placement actives: ils observent les marchés financiers, analysent, font des recherches et créent constamment de nouvelles solutions de placement. Mais le rendement diminue depuis des années, ce qui explique que de plus en plus d'assurés ne perçoivent plus que le taux d'intérêt minimal de 1% sur leur capital vieillesse. Ne peut-on vraiment pas faire mieux?

La gestion active des placements n'est pas la seule possibilité de faire fructifier la fortune de prévoyance. L'argent peut également être investi de manière passive. Dans ce cas, il est placé de façon à suivre un indice boursier, comme par exemple le Swiss Performance Index (SPI), qui reproduit les grands titres de la Bourse suisse comme Nestlé ou Roche. Cette forme d'investissement fonctionne essentiellement de manière automatique. L'effort est considérablement réduit, ce qui entraîne beaucoup moins de frais. En d'autres termes, cette méthode rapporte moins aux représentants financiers.

Un risque plus élevé aurait-il été plus profitable?

Jusqu'à présent, personne n'a vérifié si les gestionnaires de fortune tiraient effectivement le meilleur rendement de la prévoyance des Suisses avec leurs méthodes de placement coûteuses. Nos recherches, mises sur papier dans le nouveau livre «Das Rentendebakel», «La débâcle des retraites» en français, comblent cette lacune. Résultat: si l'argent des assurés de la prévoyance avait été investi de manière systématiquement passive depuis 1985, avec une part d'actions de 40%, ils n'auraient pas 1200, mais 1400 milliards sur leur compte aujourd'hui. Et ce, sans risque de placement plus élevé, comme le confirme la société de conseil PPCmetrics: «Le profil de risque des institutions de prévoyance suisses moyennes correspondait fin 2021 à une stratégie de placement avec une part d'actions d'environ 40%.»

Avec un peu plus de risque, à savoir une part d'actions de 60%, l'investissement passif aurait même rapporté 400 milliards de francs de plus aux assurés depuis 1985. Le pot de prévoyance suisse aurait été plus grand d'un tiers.

Les entreprises financières contestent cette présentation. Elles soulignent que les placements actifs présentent des avantages que les placements passifs n'ont pas. En outre, il n'est pas possible de comparer directement les deux stratégies, car elles se distinguent généralement par leur contenu.

Les jeunes font les frais de ce système

Les faits rassemblés dans le livre suggèrent une autre conclusion: pour que les établissements financiers puissent encaisser des milliards de frais, les assurés perdent des milliards d'avoirs de vieillesse. Aucune aide ne vient des politiques parce que divers parlementaires gagnent eux-mêmes leur vie en tant que membres de conseils de fondation, réviseurs, présidents de fondations de placement ou membres de conseils d'administration de banques et d'assurances. Ils n'ont aucun intérêt à réguler efficacement le marché des caisses de pension et à mettre en place une surveillance forte qui permettrait de stopper l'hémorragie des frais.

Au lieu de cela, ils discutent de hausses de l'âge de la retraite, de baisses du taux de conversion et d'une augmentation des cotisations salariales. Autant de mesures qui touchent les assurés, mais pas l'industrie financière. Il serait pourtant urgent de réduire les coûts et d'augmenter les rendements: selon l'UBS, la population suisse âgée de 20 à 64 ans augmentera de 10% d'ici 2060. Durant cette période, la population âgée de plus de 65 ans augmentera de 80% - elle doublera presque. Cette augmentation rapide du nombre de retraités met le système sous forte pression. Ce sont les jeunes qui en pâtissent: ils feront les frais de la débâcle des retraites.

Si les politiciens à Berne se soucient des assurés qu'ils représentent en tant que députés, ils doivent faire basculer le commutateur de placement sur le marché des caisses de pension et déclarer obligatoire le placement passif au moins de la partie obligatoire de la fortune de prévoyance. Cela concerne les deux tiers des fonds des caisses de pension - 800 milliards de francs. Cette simple prescription permettrait aux assurés d'obtenir un rendement bien plus important à des coûts bien plus bas. Et donc une rente plus élevée.

Tant que rien ne changera dans le système actuel, le deuxième pilier restera ce qu'il est depuis 1985: un moyen de faire du profit pour l'industrie financière, alimenté par des taxes, et nourri par des assurés forcés d'y contribuer.

(Adaptation par Lliana Doudot)

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