La débâcle des drones israéliens crée des frustrations à Berne
«Nous commençons à en perdre notre latin»

Depuis maintenant une décennie, le Département de la défense se débat avec de nouveaux drones de reconnaissance qui ne sont toujours pas opérationnels. Aux critiques du Contrôle des finances succède la désillusion du Parlement.
Publié: 24.01.2025 à 18:12 heures
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Les drones de reconnaissance israéliens devraient en fait surveiller la zone frontalière suisse depuis 2020.
Photo: Keystone
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Daniel Ballmer

La frustration est intense au Parlement. Car c'est toujours la même histoire: les projets d'armement sont retardés de plusieurs années et coûtent plusieurs millions de plus que prévu. Dans les cas où ils voient le jour!

Le conseiller aux Etats libéral-radical (PLR) Josef Dittli est agacé. «Le Département de la défense fonctionne toujours selon le même schéma: on nie d'abord les problèmes, puis on essaie de calmer le jeu après quelques semaines», renchérit Thomas Hurter, membre de l'Union démocratique du centre (UDC) chargé de la politique de sécurité.

«Le DDPS essaie de cacher tous les problèmes sous le tapis»

La conseillère nationale socialiste (PS) Priska Seiler Graf est du même avis. «Le DDPS essaie toujours de cacher tous les problèmes sous le tapis jusqu'à ce que cela ne soit plus possible», déclare la présidente de la commission de sécurité du Conseil national. «Nous commençons à en perdre notre latin.»

Dernier exemple en date: le Contrôle fédéral des finances (CDF) délivre un certificat déplorable à l'Office fédéral de l'armement (Armasuisse), responsable de l'acquisition de drones de reconnaissance israéliens. Le projet serait en mauvaise posture en raison d'objectifs trop ambitieux, d'une planification déficiente ou d'une gestion insuffisante. En d'autres termes, tout va de travers. Le CDF n'exclut d'ailleurs pas l'interruption totale de l'exercice.

Et la débâcle des drones n'est pas un cas isolé. Récemment, la Délégation des finances du Parlement a adressé à la conseillère fédérale sortante Viola Amherd une lettre cinglante dans laquelle elle énumère sept grands projets d'armement et d'informatique pour lesquels elle identifie des problèmes et des risques importants. Pour un coût total de 19 milliards de francs.

«Cela reste choquant»

Le rapport du CDF correspond en tous points aux craintes et aux connaissances préalables, affirment d'une même voix Priska Seiler Graf et Josef Dittli. «Et pourtant, cela reste choquant!»

Mercredi, devant les médias, le chef de l'armement Urs Loher a, lui aussi, reconnu qu'il fallait agir face à la débâcle des drones. Les conséquences de différentes fonctions supplémentaires ont manifestement été sous-estimées. «Nous étions trop crédules», a déclaré Urs Loher. L'une des leçons à tirer est donc d'acheter à l'avenir davantage de matériel militaire «sur étagère» et de faire moins de demandes spéciales.

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C'est insensé de développer un système d'évitement automatique pour six drones
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«Evidemment, c'est insensé de développer un système d'évitement automatique pour six drones», commente par exemple le conseiller national PLR Heinz Theiler. «Mais on aurait dû s'en rendre compte dès le début du projet. Malheureusement, nous ne pouvons plus revenir en arrière.»

«Le DDPS doit enfin cesser ce genre d'expériences», demande Mauro Tuena, membre de l'UDC en charge de la politique de sécurité. «On veut toujours avoir son propre Swiss Finish, mais en réalité on a fait concevoir de tout nouveaux drones et on a sous-estimé cela», déclare également Seiler Graf. «Le DDPS tombe toujours dans le même piège. Les drones ne sont pas l'exception, mais la règle.»

«C'est une débâcle à 300 millions!»

Mauro Tuena ne croit plus que les drones, avec toutes les fonctions supplémentaires promises, puissent encore voler. Une utilisation pour la surveillance des frontières n'est ainsi guère envisageable: «C'est une débâcle à 300 millions!» La présidente de la commission de sécurité Seiler Graf parle d'une tragédie «et je ne crois plus à une fin heureuse».

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L'abandon serait probablement la pire des solutions, car nous nous retrouverions sans rien. Continuer est un moindre mal
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Malgré toute cette frustration, la plupart des parlementaires s'opposent à l'abandon. «Ce serait une catastrophe. Nous devrions alors repartir de zéro, car nous avons de toute façon besoin des drones», déclare le conseiller aux Etats UDC Werner Salzmann. Pour Heinz Theiler aussi, il est trop tard pour arrêter. Selon lui, la Confédération et le fabricant israélien ont déjà investi trop d'argent. «Il n'y a maintenant plus que des mauvaises options», estime Josef Dittli. «L'abandon serait probablement la pire des solutions, car nous nous retrouverions sans rien. Continuer est un moindre mal.»

Seul l'UDC Thomas Hurter pourrait s'imaginer une interruption. Il en avait déjà parlé à la conseillère fédérale Viola Amherd, il y a un an. Mais celle-ci avait refusé. Aujourd'hui, une telle éventualité revient sur le tapis. «Nous devons à tout prix mettre les points sur les 'i', d'une manière ou d'une autre.»

«Notre confiance est massivement entamée»

Mais il est encore plus important que le DDPS en tire enfin les leçons. «Le nouveau membre du Conseil fédéral doit donner la priorité absolue aux futurs projets d'armement», souligne Marco Tuena. «Mais le Parlement ne se laissera plus non plus abuser par des apaisements.» Celui-ci accompagnera les futurs projets avec toute l'énergie nécessaire et les contrôlera dès le début, souligne également le conseiller aux États PLR Josef Dittli. «A ce stade, notre confiance est massivement entamée.»

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