La semaine dernière, le ministre des Affaires étrangères Ignazio Cassis s'est réjoui sur X (anciennement Twitter). Il a annoncé que la Suisse avait joué un rôle de médiateur dans un échange de prisonniers entre les Etats-Unis et l'Iran. Le président américain Joe Biden a ensuite donné une tape sur l'épaule de la Suisse: «Thank you, thank you!»
L'accord se présentait comme suit: L'Iran laisse partir cinq Américains prisonniers. En contrepartie, les Etats-Unis libèrent cinq ressortissants iraniens, promettant que l'Iran aura accès à six milliards de dollars. De l'argent qui provient des transactions pétrolières iraniennes et qui est bloqué sur des comptes sud-coréens depuis 2018.
Car depuis que les Etats-Unis ont à nouveau imposé des sanctions à l'Iran en 2018, le pays est coupé du réseau Swift. Autrement dit, les paiements internationaux ne sont plus possibles pour le régime des mollahs. Et c'est ici que la Suisse entre en jeu.
Six milliards transférés via la BNS
Depuis la crise des otages de 1979, notre pays représente les intérêts des Américains en Iran, car les deux Etats n'entretiennent plus de relations diplomatiques directes. La Suisse fait en outre partie d'un cercle illustre de pays qui peuvent encore effectuer des paiements vers l'Iran. Ce que l'on appelle le Swiss Humanitarian Trade Arrangement vise avant tout les livraisons humanitaires.
Dans sa fonction de bâtisseur de ponts, la Suisse aurait également mis la main à la pâte pour le transfert des six milliards de dollars libérés. Selon l'agence de presse Reuters, qui se réfère aux médias sud-coréens, l'argent a été transféré à la Banque nationale suisse (BNS). Il y aurait été converti en euros puis transféré au Qatar. L'Iran devrait finalement pouvoir retirer l'argent du Qatar.
La BNS ne s'exprime pas sur son rôle dans la libération de ces fonds. Le Secrétariat d'Etat à l'économie (Seco) ne fait pas non plus de commentaires. Et le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) reste aussi muet sur les activités de la Suisse dans le cadre de ses mandats de puissance protectrice.
A quoi servent les fonds?
Pour la conseillère nationale bâloise Sarah Wyss, membre du PS, c'est une raison suffisante pour exiger du Conseil fédéral des réponses sur le rôle de la BNS dans le deal des transactions. Elle a déposé une interpellation à ce sujet dans le cadre de la session d'automne.
La politicienne veut savoir pourquoi la BNS procède à un échange de devises pour la République islamique, si ces fonds sont effectivement utilisés pour des biens médicaux ou s'ils ne vont pas directement à l'appareil de répression.
Certes, les Etats-Unis affirment que les fonds libérés ne peuvent être utilisés que pour des biens médicaux. Toutefois, le président iranien Ebrahim Raïssi a déjà fait savoir que les fonds devaient être investis dans la «production nationale».
Crainte d'une nouvelle répression
Saghi Gholipour, cofondatrice de Free Iran Switzerland, craint que le régime ne renforce encore la répression contre la population iranienne avec ces nouveaux moyens. Selon elle, il existe de nombreux signes qui vont dans ce sens: pas plus tard que le triste anniversaire de la mort de la jeune Kurde Jina Mahsa Amini à la mi-septembre, lorsque la Garde révolutionnaire a fait preuve d'une présence massive.
La défenseuse des droits humains poursuit: «Tout l'argent que reçoit l'Iran passe par la Garde révolutionnaire. Celle-ci est en première ligne pour réprimer violemment les protestations de la population civile iranienne.» Elle exige donc que la communauté internationale isole l'Iran, et ne l'accueille pas à bras ouverts comme lors de la récente assemblée générale de l'ONU à New York. «Cela ne fait que légitimer le régime», affirme la militante.