Coup de massue douanier, chaos tarifaire et guerre commerciale: les décisions imprévisibles de Donald Trump dominent l'agenda politique, y compris en Suisse.
Petit retour en arrière: la semaine passée, le choc des 31% s'abat sur la Suisse. Le Conseil fédéral est pris de court par le président américain, qui avait pourtant gagné la sympathie de nombreux Suisses. La présidente de la Confédération Karin Keller-Sutter (KKS) et le ministre de l'économie Guy Parmelin se présentent le jeudi 3 avril devant les médias et règlent leurs comptes. D'après nos sources, il y avait de l'eau dans le gaz: la magistrate PLR était hors d'elle.
Comment est-ce possible que leur armada diplomatique pourtant bien rodée n'ait même pas envisagé ce naufrage de politique commerciale? Et que faisait l'ambassadeur suisse nouvellement nommé Ralf Heckner à Washington, alors que l'ambassade affichait encore une photo de Joe Biden sur son site Internet?
«Une preuve d'incompétence»
A ce moment de la crise, nos diplomates reçoivent même des reproches publics de la part d'un éminent ex-collègue, l'ancien diplomate de haut rang Thomas Borer. Le vendredi 4 avril, sur la SRF, il se dit «choqué que le Conseil fédéral et l'ambassade de Suisse à Washington n'aient pas réussi, depuis l'élection de Trump le 6 novembre, à établir des relations solides avec le cercle proche de Trump». Selon lui, c'est une «grosse erreur» et une «preuve d'incompétence».
Entretemps, le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) réagit et annonce la mise en place d'une «structure de pilotage» englobant tous les départements. Sous la direction d'Ignazio Cassis, cette structure s'occupera de la politique américaine «en particulier dans les domaines du commerce, de l'économie et des finances». De quoi concurrencer directement la subordonnée au ministre de l'économie et cheffe du Seco, Helene Budliger Artieda. Par ailleurs, le diplomate Gabriel Lüchinger est nommé envoyé spécial pour le dossier américain. Mais alors, qui est véritablement en charge de cet épineux dossier: Helene Budliger, Ignazio Cassis, Ralf Heckner ou Gabriel Lüchinger?
Le DFAE ne veut pas entendre parler de concurrence. «Gabriel Lüchinger doit compléter les structures existantes», précise un porte-parole. En effet, le communiqué souligne que l'étoile montante de la diplomatie agira «en mettant l'accent sur la sécurité internationale».
Le trio de choc qui a aidé KKS
Mais le mercredi 9 avril, tout bascule: Karin Keller-Sutter réussit à s'entretenir directement avec Trump pendant 25 minutes, avant la présidente de la Commission européenne et bien d'autres. Elle annonce la nouvelle sur X: «Lors d’un appel avec le président Donald Trump, j'ai fait part de la position suisse sur le commerce bilatéral ainsi que de possibles réponses aux attentes des USA. Nous avons convenu de poursuivre les discussions pour trouver des solutions dans l'intérêt de nos deux pays.».
Dans un article du «Washington Post», elle est la seule représentante d'un Etat à être citée nommément. La présidente de la Confédération a fait mouche et cette célébrité lui donne aussi un nouveau capital politique.
Mais comment s'est véritablement déroulé son appel téléphonique avec Trump? Selon nos informations, cette percée a été possible grâce à une action conjointe de Guy Parmelin, Helene Budliger Artieda et l'ancien ambassadeur des Etats-Unis à Berne, Edward McMullen. Le ministre de l'économie s'est entretenu lundi au téléphone avec le représentant au commerce américain, tandis que la cheffe du Seco et l'ancien ambassadeur se sont rendus aux Etats-Unis. L'ambassadeur Ralf Heckner a aussi participé à la discussion, selon des sources du DFAE, ce qui lui a permis de se rattraper après le choc douanier.
Gabriel Lüchinger: le gentil geek
Interrogé par Blick sur son rôle de médiateur, Edward McMullen répond: «Je ne parle pas de mes entretiens avec le président des Etats-Unis, sinon je ne peux plus avoir de discussions avec lui.» Il ajoute habilement qu'il «contribue volontiers à ce que les relations bilatérales continuent à se développer et à se renforcer».
Depuis mercredi, l'envoyé spécial Gabriel Lüchinger participe aussi à la frénésie suscitée par la guerre douanière de Trump. Mais qui est-il exactement? L'homme de l'UDC est considéré comme un gentil geek. Déjà dans son carnet scolaire, il était écrit: «Par rapport à ses camarades de classe, il a toujours été raisonnable, très adulte.» Et plus loin: «Comme dans le reste de sa vie, Gabriel suit une ligne très claire en politique, ce qui a donné lieu à de nombreuses discussions intéressantes avec ses camarades orientés à gauche.»
Gabriel Lüchinger est originaire de Herzogenbuchsee (BE), où il est actif dans la politique locale. Il a étudié le droit à Berne et à Helsinki, et les relations internationales en Suède. Il a commencé sa carrière au DDPS, puis travaillé de 2010 à 2016 comme attaché de défense dans les ambassades de Suisse du Caire et d'Abou Dhabi, sans doute le plus jeune attaché de défense de notre pays. En mars 2016, il a été élu secrétaire général de l'UDC, sous la direction du chef de parti Albert Rösti. Deux ans plus tard, il est devenu collaborateur personnel du conseiller fédéral Guy Parmelin, avant de passer au DFAE.
Un poste très jalousé
Dans sa lutte pour la succession du chancelier Walter Thurnherr, Gabriel Lüchinger a perdu contre le Vert'libéral Viktor Rossi. Mais cette défaite ne lui a pas porté préjudice, car il est considéré comme un candidat pour de nombreux postes. Par exemple, il pourrait être chef des services secrets (SRC) ou conseiller fédéral. Gabriel Lüchinger représente aussi un courant modéré de l'UDC. En tant que «Monsieur Bürgenstock», il a été coresponsable l'année dernière de la conférence sur l'Ukraine, qui ne convenait pas du tout à une partie de l'UDC, car la Russie et d'autres pays n'étaient pas invités.
Comme souvent en diplomatie, cette étoile montante fait des jaloux. Alors qu'il n'est même pas diplomate de formation, il a fait carrière au DFAE plus rapidement que certains ne l'auraient souhaité. De plus, les attachés militaires sont rarement pris au sérieux par les diplomates et là, tout à coup, un ancien attaché militaire joue un rôle déterminant dans la politique étrangère suisse.
Cerise sur le gâteau: Ignazio Cassis mise volontiers sur des personnes avec un parcours riche et moins linéaire. Peut-être que Gabriel Lüchinger aidera son chef à avoir un entretien téléphonique avec le ministre des Affaires étrangères Marco Rubio car pour le moment, le chef du DFAE n'a toujours pas téléphoné à son homologue américain.