Le ministre de l'Économie Guy Parmelin met en garde
«Il se peut que de nouveaux droits de douane tombent!»

Le ministre de l'Economie Guy Parmelin revient dans cette interview sur la politique douanière de Donald Trump, de son entretien téléphonique avec le représentant américain au commerce, en passant par le taux de chômage partiel dans les entreprises suisses.
Publié: 13.04.2025 à 06:01 heures
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Dernière mise à jour: 13.04.2025 à 09:23 heures
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Le ministre de l'Economie Guy Parmelin est le conseiller fédéral ayant le plus d'ancienneté.
Photo: Samuel Schalch
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Raphael Rauch et Céline Zahno

Conseiller fédéral depuis 2016, Guy Parmelin est sans doute le plus expérimenté au gouvernement. Même Donald Trump ne semble pas pouvoir ébranler le calme du Vaudois.

En pleine interview avec Blick, un message illumine le téléphone de Guy Parmelin: Trump fait grimper les droits de douane pour la Chine à 145%. Le ministre de l’Économie ironise: «Faisons en sorte que la demi-vie de cette interview ne soit pas trop courte!»

Monsieur Parmelin, le Conseil fédéral est longtemps resté discret. Puis soudainement, la présidente de la Confédération s'est adressée directement à Donald Trump. Le gouvernement est-il sorti de son hibernation?
Non, le Conseil fédéral travaille toujours. Mais parfois, il faut travailler discrètement pour obtenir des résultats.

Le 2 avril, Donald Trump a levé son tableau et annoncé les droits de douane. Comment avez-vous vécu ce moment?
J'étais chez moi. La secrétaire d'Etat Helene Budliger Artieda m'a appelé dès que la décision a été officielle. Nous avons discuté pendant près de trois quarts d'heure pour comprendre comment le président Trump était arrivé à 31%. Nous avons pu comprendre sa formule assez rapidement d'un point de vue arithmétique, mais nous ne l'avons évidemment pas comprise. Nous avons été surpris et déçus.

Une semaine plus tard, Trump a fait marche arrière pour 90 jours. N'êtes-vous pas très agacés par ses allers-retours?
Bien sûr, ce serait plus agréable d'être informé un peu plus en avance quand de nouvelles règles sont mises en place et si nous avons suffisamment de temps pour nous y préparer. Ce n’est pas seulement difficile pour la Suisse, même les douanes américaines peinent à suivre. Il est difficile de garder une vue d'ensemble des différentes règles. Je ne suis même pas sûr qu'ils y parviennent toujours.

Vous étiez déjà conseiller fédéral lorsque Trump a été élu pour la première fois. Qu'est-ce qui diffère aujourd'hui?
Nous avons l'impression de vivre à une autre époque. En 2016, nous n'avions pas encore connu de Covid-19, pas de guerre en Ukraine, pas de crise énergétique, pas de naufrage de Credit Suisse. Aujourd'hui, tout va beaucoup plus vite, tout est plus instable.

La semaine dernière, vous n'aviez pas encore de contact avec l'administration américaine. Puis, lundi, vous avez téléphoné au représentant au commerce Jamieson Greer. Que s'est-il passé?
Nous avons travaillé dur pour établir des contacts. La secrétaire d'Etat Helene Budliger Artieda s'est à nouveau rendue à Washington dimanche, et j'ai ensuite pu m'entretenir avec le représentant au commerce par appel vidéo lundi après-midi. Il m'a dit qu'il allait rapporter notre conversation à la Maison Blanche.

Par rapport au premier mandat de Trump, on a l'impression de vivre à une autre époque, déclare Parmelin dans cette interview.
Photo: Samuel Schalch

Pourquoi la Suisse n'a-t-elle pas pris contact plus tôt avec l'administration américaine?
Nous avons essayé, mais les ministres n'avaient pas encore été confirmés par le Sénat. Pour Jamieson Greer, par exemple, cela n'a été fait que fin février. Tous les pays ont essayé de prendre contact. Nous avons fait ce que nous pouvions.

Comment se déroule un tel appel vidéo? Aviez-vous un script?
Il faut avoir de bons arguments prêts. Le président Trump a toujours dit clairement qu'il voulait réindustrialiser les Etats-Unis. J'ai dit à plusieurs reprises que nous étions un investisseur important aux Etats-Unis, mais qu'il était difficile d'investir si l'on imposait des droits de douane de 31%.

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La discussion a été très ouverte, il a reconnu la bonne foi de la Suisse
Guy Parmelin
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Qu'a répondu le représentant au commerce?
La discussion a été très ouverte, il a reconnu la bonne foi de la Suisse. Mais il a aussi dit que le déficit du commerce des marchandises était le principal problème. J'ai demandé plus de détails, car nous voulons comprendre comment le gouvernement américain envisage la situation à l'avenir.

Il y a des années, le «New York Times» a consacré un article sur vos connaissances en anglais. Aujoud'hui, sont-elles suffisantes pour négocier avec l'administration Trump?
J'ai parlé en anglais avec le représentant au commerce. Cela nécessite un vocabulaire très spécifique et je l'ai acquis entre-temps.

Qu'est-ce que la Suisse peut mettre dans la balance lors des négociations avec Trump?
Jusqu'à présent, nous ne faisons que discuter, nous ne négocions pas. Nous devons d'abord nous comprendre et identifier les domaines qui pourraient être intéressants pour les Etats-Unis et, idéalement, pour nous aussi. Le président Trump a reporté les droits de douane, les 90 jours nous donnent une certaine marge de manœuvre. Après Pâques, la présidente de la Confédération Karin Keller-Sutter et moi-même nous rendrons à Washington, et il est possible que des rencontres aient lieu au niveau ministériel.

Qu'allez-vous proposer à Trump?
Encore une fois, nous sommes à un stade où nous voulons comprendre la politique américaine. Une fois que nous aurons obtenu des éclaircissements, nous pourrons discuter de différentes possibilités et voir plus loin.

Il se peut que de nouveaux droits de douane viennent s'ajouter à la fin.
Photo: Samuel Schalch

Même Israël, le partenaire le plus proche des Etats-Unis, n'a pas obtenu de rabais sur les droits de douane. Comment votre voyage à Washington peut-il être un succès?
Tout est ouvert. C'est une chance, mais aussi un grand défi, car tous les pays veulent négocier avec le président Trump. Il se peut même que de nouveaux droits de douane tombent in fine. Trump a répété à plusieurs reprises qu'il souhaitait également imposer des droits de douane au secteur pharmaceutique.

Novartis a annoncé vouloir investir au total 23 milliards de dollars aux Etats-Unis au cours des cinq prochaines années pour développer la production et la recherche. La Suisse n'a-t-elle pas d'autre choix que de satisfaire Trump?
Comme je l'ai dit, la Suisse est un investisseur important aux Etats-Unis. Dans le domaine de la recherche et du développement, nous sommes même au premier rang. Une annonce pour un nouvel investissement dans ce domaine n'a donc rien d'exceptionnel. 

La secrétaire d'Etat Helena Budliger Artieda s'est rendue aux Etats-Unis cette semaine avec un document. Que contient-il?
Lors d'un entretien, Helena Budliger Artieda a montré à la partie américaine notre importance économique aux Etats-Unis ainsi que les champs thématiques possibles pour de futures discussions de fond.

Trump n'aime pas les droits de douane agricoles. Pourrait-on les supprimer?
Pour la Suisse, la politique agricole est une question de sécurité. Nous ne produisons que 50% de ce que nous mangeons. Nous devons donc aussi importer. Nous ne pouvons pas produire certains produits en Suisse, par exemple les avocats, les oranges et les amandes. Il y aurait là une marge de manœuvre possible. Mais nous ne pouvons pas mettre en jeu notre propre sécurité alimentaire. L'année dernière, nous avons eu la plus mauvaise récolte de blé depuis des années, nous devons importer 60'000 tonnes de plus cette année pour avoir suffisamment de réserves jusqu'à la prochaine récolte. Cela montre à quel point nous sommes dépendants.

Et la viande de bœuf américaine, dans tout cela?
Nous pouvons importer et exporter de la viande de bœuf. La viande en provenance des Etats-Unis doit simplement avoir une étiquette si elle a été produite à l'aide d'hormones ou d'antibiotiques.

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La situation est très difficile pour l'économie mondiale, et l'incertitude est un poison pour l'économie
Guy Parmelin
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La guerre commerciale entre les Etats-Unis et la Chine touche toute l'économie mondiale. Devons-nous nous préparer à une récession en Suisse?
Il est difficile de le dire aujourd'hui, mais il est clair que la situation aura des répercussions sur la conjoncture. Il se peut que le nombre d'entreprises en chômage partiel augmente également en Suisse. Ce qui est clair, c'est que la situation est très difficile pour l'économie mondiale. De nombreux investisseurs sont désormais plus réticents. L'incertitude est un poison pour l'économie.

Que pensez-vous du fait que Trump veuille dicter leur stratégie aux entreprises suisses et annuler tout ce qui sonne comme diversité, égalité et inclusion?
Les entreprises en Suisse sont libres de s'organiser comme elles le souhaitent. Mais nous sommes 9 millions, les Etats-Unis comptent 341 millions d'habitants. Les entreprises qui veulent exporter vers les Etats-Unis doivent s'adapter, jouer des atouts et montrer qu'elles peuvent apporter une valeur ajoutée.

Votre parti, l'Union démocratique du centre (UDC), a tenu jusqu'à présent un discours favorable à propos de Trump. S'est-il trompé?
Les partis jouent leur rôle, le Conseil fédéral un autre. Il travaille pour l'intérêt général et doit essayer d'anticiper certains problèmes et de trouver des solutions.

Il n'empêche, votre parti assume un «Switzerland First». Mais le président américain fait valoir les intérêts américains à tout prix. Comment gérez-vous cela?
Encore une fois, le Conseil fédéral a un rôle différent de celui des partis. Je suis fermement convaincu que le libre-échange et les relations bilatérales seront encore plus importants que jusqu'à présent. C'est pourquoi le Conseil fédéral veut aussi stabiliser les relations avec l'Union européenne. L'accord de libre-échange avec la Chine sera également modernisé, nous en avons récemment conclu un avec l'Inde et la semaine dernière avec la Malaisie et l'Ukraine. Tout cela offre de nouvelles possibilités à l'économie.

A propos d'accords de libre-échange, votre parti rêve d'un accord avec les Etats-Unis. Est-ce réaliste?
Actuellement, nous avons d'autres priorités, nous devons régler la question des droits de douane. Cela prend du temps. Les Etats-Unis ont également d'autres choses à faire et essaient de minimiser leurs déficits commerciaux. Entre 50 et 70 pays veulent conclure un accord commercial. Je ne suis pas sûr que le gouvernement américain veuille s'efforcer de conclure un accord de libre-échange avec la Suisse actuellement.

Les Etats-Unis semblent être un partenaire de moins en moins fiable. Cela rend-il Bruxelles plus importante?
Depuis que je suis ministre de l'Economie, je m'efforce de préserver notre marge de manœuvre économique et de ne pas créer de grandes dépendances.

Votre parti parle d'un traité de soumission en ce qui concerne l'accord avec l'UE. Comment voyez-vous cela?
Pour le Conseil fédéral, le résultat est bien meilleur qu'après les dernières négociations. Pendant la consultation sur le paquet Suisse-UE, les partis, les cantons et les organisations peuvent s'exprimer librement sur les accords.

Vous vous défilez. S'agit-il d'un traité de soumission, oui ou non?
Le Conseil fédéral a mené des négociations longues et difficiles et a décidé que le résultat était positif.

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Je n'aurais jamais pensé rencontrer un jour les présidents russe et américain au même moment
Guy Parmelin
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Avez-vous la bénédiction de votre parti pour rester conseiller fédéral jusqu'à fin 2027?
Oui. Mon collègue de parti Albert Rösti et moi-même avons décidé en 2023 de nous présenter jusqu'à la fin de la législature. 

Le point culminant de votre année présidentielle 2021 a été la rencontre de Poutine et Biden à Genève. Pourriez-vous faire mieux l'année prochaine, lorsque vous serez à nouveau président de la Confédération?
Ce sont des choses que nous ne pouvons pas planifier. Je n'aurais jamais pensé rencontrer un jour les présidents russe et américain au même moment. La présidente de la Confédération Karin Keller-Sutter ne pensait pas non plus qu'elle pourrait avoir un entretien téléphonique avec Trump aussi rapidement.

Vous vous rendez aux Etats-Unis après Pâques. Apporterez-vous du chocolat suisse comme cadeau?
J'apporterai du chocolat. Nous devons montrer que nous avons des produits de grande qualité!

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