C’est fait! La conseillère nationale vaudoise Jacqueline de Quattro a annoncéau Parti libéral-radical (PLR), ce vendredi à midi, qu’elle se lançait dans la course au Conseil des Etats. L’ancienne ministre cantonale, qui se livre en primeur à Blick, mise sur sa grande expérience institutionnelle pour être choisie par sa famille politique. La formation bourgeoise sélectionnera sa championne ou son champion le 8 décembre prochain lors d’un congrès qui promet d’être palpitant.
Et peut-être même explosif... Les bruits de couloir se font de plus en plus insistants: l’ancien conseiller d’Etat Pascal Broulis pourrait lui aussi se lancer dans la course à la Chambre des Cantons. Un potentiel duel au sommet qui ne fait pas peur à Jacqueline de Quattro. L’avocate de formation de 62 ans, en vraie compétitrice, aime se mesurer «aux meilleurs». Et tant pis si son prédécesseur Olivier Français ne l’apprécie pas. La Vaudoise est décidée à aller au bout. Interview.
Jacqueline de Quattro, pourquoi vous lancez-vous dans la course au Conseil des Etats?
Avant de devenir conseillère nationale, j’ai siégé pendant treize ans au gouvernement d’un grand canton. Je m’y suis occupée de thèmes aussi complexes et variés que la sécurité, l’environnement et l’énergie, l’égalité ou encore l’aménagement du territoire. J’ai présidé ou vice-présidé de nombreuses conférences intercantonales. Mon parcours me destine tout naturellement à briguer un siège à la Chambre des Cantons.
Pourquoi?
Je peux apporter mon expérience et ma polyvalence: je ne suis pas monothématique. Je maîtrise trois langues nationales — mais pas le romanche, hélas. (Rires) Ma force est mon indépendance et mon vaste réseau. Je suis orientée solutions et travaille avec mes collègues de droite et de gauche s’il faut forger des compromis, trouver une majorité.
Une sénatrice est plus utile qu’une conseillère nationale pour son canton?
On attend d’un Conseiller aux Etats qu’il défende son canton, plus encore que son parti. Qu’il porte les idées de demain. Au Conseil d’Etat vaudois, j’ai par exemple promu les énergies renouvelables, l’efficience énergétique et organisé les premières Assises du climat en Suisse, bien avant Greta Thunberg et les activistes du climat.
L’aménagement du territoire était aussi l’un de vos grands champs de bataille.
Un autre dossier épineux! Nous avons réussi à mettre en œuvre la nouvelle LAT (ndlr: loi sur l’aménagement du territoire) et sortir rapidement du moratoire des zones à bâtir, alors que tout le monde hurlait que c’était impossible. C’est dans cet esprit combatif, mais aussi de recherche de consensus, que j’ai envie de continuer mon travail.
Quels sont vos atouts pour être une conseillère aux Etats efficace?
Mes années d’expérience au niveau exécutif et au sein des législatifs. Les nombreux liens et solides amitiés que j’ai pu nouer à Berne et dans les autres cantons, au-delà des partis et du Röstigraben. Je connais bien les préoccupations et les mentalités des autres régions de notre pays. C’est indispensable pour trouver des solutions efficaces, acceptables par la population et supportables économiquement. Or, trouver des compromis paraît devenir de plus en plus difficile…
Les adversaires ne se parlent plus?
J’observe une polarisation et une intolérance croissantes. Il faut faire attention: la culture du consensus est dans l’ADN de la Suisse, mais nous risquons de la perdre. Le compromis helvétique peut paraître mou à ceux qui ne s’y intéressent pas. Mais il reste le meilleur moyen pour arriver à des solutions acceptables. Si on n’est pas capable d’entendre un avis différent du sien, de travailler avec les autres, alors les projets restent bloqués.
Vous pensez à quels projets?
À la réforme des assurances sociales, la lutte contre le CO2 ou encore le renchérissement de la santé, pour ne prendre que ces exemples. Il faut sortir des dogmes, construire sur ce qui nous rassemble plutôt que de se focaliser sur ce qui nous divise.
Le fait que le Parti socialiste et les Vert-e-s envoient deux hommes est un avantage pour vous?
Ce n’est pas le genre qui compte, ce sont les compétences. C’est la capacité à surmonter les difficultés avec courage et sans œillères. D’empoigner les problèmes avec détermination, sans tomber dans le catastrophisme, pour surmonter les crises qui se multiplient. Crises qui ne sont ni les premières ni les dernières que la Suisse doit affronter. Rappelons-nous les guerres et les crises économiques que nos parents et grands-parents ont dû traverser!
Et notre pays est toujours là.
Si la Suisse est toujours là, c’est parce que des hommes et des femmes ont su garder la tête froide et placer l’intérêt public avant leurs intérêts personnels. Il faut s’en inspirer.
Vous n’allez pas faire de la question femme un argument de campagne?
Les thématiques de l’égalité et des violences faites aux femmes — mais aussi aux hommes et aux enfants — ont toujours fait partie de mes préoccupations. Au niveau cantonal, j’ai fait adopter une loi pionnière contre la violence domestique. Avec ma collègue vaudoise Léonore Porchet, j’ai demandé à la Confédération de faire adopter le principe «qui frappe part» dans toute la Suisse. J’espère que les deux Chambres nous soutiendront. Mais je suis engagée dans des domaines aussi variés que l’énergie, l’économie, la gestion de crise, la sécurité, le tourisme, le sport ou encore la durabilité.
Parlons de votre prédécesseur. Vous avez vécu le retrait d’Olivier Français comme un soulagement?
Pas du tout! J’attendais sagement sa décision. Je respecte beaucoup les compétences de Monsieur Français — je suis sincère. Il a conquis son siège de haute lutte. C’est tout à sa gloire, cela nous a beaucoup aidés. C’est la raison pour laquelle je n’aurais jamais revendiqué sa place s’il ne partait pas.
Vous êtes dithyrambique à l’égard d’Olivier Français! Pourtant votre mauvaise entente est un secret de polichinelle…
Ce n’est pas une mauvaise entente. C’est une antipathie de sa part à mon égard. Je n’ai aucun problème personnel avec lui.
Vous craignez de devoir peut-être affronter face au congrès votre ancien collègue Pascal Broulis?
Au contraire, je me réjouis! Je salue le fait qu’il y ait des fortes personnalités prêtes à relever ce défi. En face, il y a la locomotive socialiste Pierre-Yves Maillard et le Vert Raphaël Mahaim, qui a une belle expérience législative. Ils ont tout mon respect. À force de travailler ensemble, de croiser le fer, on se connaît bien.
Donc rien ne vous fait peur...
Vous savez, je suis une compétitrice. J’ai pratiqué les arts martiaux durant de longues années: j’aime bien affronter des adversaires de taille, me mesurer aux meilleurs. Je trouve bien que les Vaudoises et les Vaudois — tout comme le congrès du PLR — puissent faire un choix entre des profils différents.
Jacqueline de Quattro, Pierre-Yves Maillard ou encore Pascal Broulis: on entend ces noms depuis au moins vingt ans. Vous ne vous êtes pas dit qu’il était peut-être temps de laisser la place à la relève?
Oui, certainement. C’est pourquoi j’ai cédé ma place au Conseil d’Etat à Christelle Luisier. Et toutes les générations doivent être représentées au Parlement fédéral. Mais, au Conseil des Etats, c’est un peu spécial. On l’appelle souvent la chambre des «sages», car elle est composée d’hommes et de femmes de grande expérience, souvent d’ailleurs d'anciens conseillers d’Etat. Ils sont donc généralement plus âgés que leurs collègues du National. Cette expérience leur confère la capacité de forger des compromis quand parfois le Conseil national s’enfonce un peu trop dans les luttes partisanes.
Intéressons-nous à l’actualité fédérale. Certaines voix socialistes aimeraient qu’une jeune mère succède à Simonetta Sommaruga. C’est une bonne idée?
Seule la maman concernée peut vous répondre: c’est un sacré défi d’arriver à concilier trois enfants et une fonction aussi astreignante que le Conseil fédéral. Je suis impressionnée! C’est une belle ouverture. J’étais toujours consternée d’entendre que l’on attendait des précédentes conseillères fédérales qu’elles renoncent à une vie de famille. C’est cruel. Personne ne demande cela à un homme. Ce n’est plus de notre temps. Mais il faut alors donner à ces femmes la possibilité de concilier vie privée et fonction politique! Par exemple en offrant des possibilités de garde au niveau du Parlement.
Parmi les papables, vous avez une préférence?
Certainement, mais je ne vais pas la partager aujourd’hui.
Et du côté de l’UDC, qui préférez-vous pour remplacer Ueli Maurer?
J’ai aussi une préférence! (Rires) Mais je la garde aussi pour moi.
Face à la crise énergétique, votre parti ne veut pas fermer la porte au nucléaire. Vous non plus?
Je me suis beaucoup engagée dans mon canton pour sortir des énergies fossiles et plus particulièrement du nucléaire. Nous avons tout dans notre canton! L’hydraulique, le solaire, l’éolien, la géothermie, le bois, la biomasse, le biogaz… et pourtant! Nous sommes face à une pénurie parce que nous n’avons pas été capables — pour X raisons — de développer les énergies renouvelables aussi rapidement qu’il l’aurait fallu. Ce n’est pas faute d’avoir essayé de les promouvoir mais il y a eu beaucoup d’obstacles, y compris du côté des défenseurs de la nature, du patrimoine et même des activistes du climat — s’ils nous avaient aidés un peu, ils n’auraient pas besoin de se coller sur les routes aujourd’hui.
Que doit-on faire, alors?
«Boostons» nos énergies renouvelables, indigènes et propres grâce à des procédures accélérées et simplifiées. Apprenons à gaspiller moins, à utiliser l’énergie de manière plus efficiente. Mettons en place des incitations et des soutiens plutôt que des interdictions et des taxes. En clair: sortons de l’écologie punitive! Les Suisses n’en veulent pas. Misons sur la recherche et le développement de nouvelles technologies. Car si tout cela ne suffit pas, la question des centrales reviendra. C’est la raison pour laquelle mon parti ne ferme la porte à aucune technologie.