Les choses se précisent, à une année des élections fédérales. Samedi, Raphaël Mahaim a été préféré par les Vert.e.s à Séverine Evequoz, présidente du Grand Conseil vaudois. C’est donc l’avocat et conseiller national qui tentera de conserver le siège des écologistes au Conseil des Etats, aujourd’hui occupé par la sénatrice sur le départ Adèle Thorens.
Si les scores des deux rivaux d’un jour restent secrets, on parle, en coulisse, d’un résultat «clair» en faveur du père de famille de 38 ans. Il rejoindra donc le socialiste Pierre-Yves Maillard, précédemment choisi par le parti à la rose.
Un ticket exclusivement masculin, qui fait grincer des dents plusieurs fins observateurs de la politique vaudoise de tous bords: après avoir tant milité pour l’égalité, la gauche, en envoyant deux hommes dans la course à la Chambre haute, renierait-elle ses valeurs? Malgré la sympathie affichée pour la Grève féministe par les Vert.e.s et les socialistes, les femmes sont-elles condamnées à jouer le second rôle au sein de leur famille politique? Raphaël Mahaim se livre et répond à — presque — toutes les questions qui fâchent. Interview.
Vous vous attendiez à être préféré par votre parti à Séverine Evequoz, une femme, jeune et très en vue actuellement? Un tel plébiscite face à une présidente du Grand Conseil, ce n’est pas rien.
D’abord, sur le ton de la boutade, il se trouve que l’argument de la jeunesse est aussi valable pour moi, puisque je suis même un peu plus jeune que Séverine Evequoz (ndlr: il a 38 ans, elle a 42 ans). Maintenant, pour répondre à votre question, une telle élection n’est jamais jouée d’avance. Il y a toujours un côté assez imprévisible dans une assemblée de parti, surtout chez les Vert.e.s.
Comment ça?
Nous avons une culture de démocratie interne très poussée. Les assemblées ne sont pas canalisées, n’importe quel membre peut se lever et s’exprimer. D’ailleurs, des questions ont été posées par des gens que je ne connaissais pas du tout, des personnes qui sont peut-être venues pour la première fois à une assemblée des écologistes. C’est un momentum où il y a une alchimie qui se crée (ou pas) avec le public. Même après notre campagne interne, Séverine et moi n’avons jamais eu l’impression qu’elle ou moi partions avec un avantage.
Comment analysez-vous votre victoire?
Il faudrait demander aux personnes qui ont déposé leur bulletin de vote dans l’urne verte… Comme toujours, je pense qu’il y a une multitude de facteurs. Je représente un bon équilibre entre le renouveau de la politique — j’ai 20 ans de moins que la moyenne d’âge au Conseil des Etats — et l’expérience. Au total, j’ai 16 ans d’expérimentation parlementaire aux trois niveaux de l’Etat: communal, cantonal et national. C’est peut-être ce point-là qui a convaincu l’assemblée.
Mais, dans les faits, les Vert.e.s lancent l’homme féministe, pas la femme, comme le titre «24 heures» ce lundi. Ça fait un peu tache, non?
Non, je ne pense pas. C’est un choix tout à fait assumé. L’auteur de l’article fait bien son travail, mais il ne cite qu’une partie de ce que j’ai dit dans mon discours. J’ai effectivement répondu, sur question de l’assemblée, que je ne pouvais pas être ce que je ne suis pas, mais que je pouvais, en revanche, faire selon ce que je crois juste. Et, ce que je crois juste, ce sont les combats pour l’égalité, le féminisme ou encore le consentement sexuel dans le droit pénal pour lequel je me bats beaucoup en commission.
Quand même… Avec Pierre-Yves Maillard et vous, la gauche part avec un ticket exclusivement masculin. Après avoir tant milité pour l’égalité, notamment aux côtés de la Grève féministe, n’est-ce pas un peu paradoxal?
Non! Rappelons que la députation vaudoise des Vert.e.s à Berne, ce sont quatre femmes et un homme. Zoomons plus largement sur le Conseil des Etats. On y trouve quatre sénatrices et un sénateur vert.e.s. Et, lors des dernières élections à la Chambre haute, le ticket à gauche était composé d’Adèle Thorens et d’Ada Marra.
Et donc?
Et donc, cette fois-ci, ce sera Pierre-Yves Maillard et Raphaël Mahaim. Deux femmes en 2019, deux hommes en 2023, c’est aussi ça l’égalité. Et j’ajoute qu’on ne peut pas seulement compter sur les Vert.e.s — qui sont déjà exemplaires en la matière — pour féminiser leur représentation politique. J’espère que vous poserez aussi cette question aux autres partis, qui font largement moins bien.
Restons sur ce thème. Au Parti socialiste, certains aimeraient voir une conseillère fédérale mère d’enfants en âge scolaire, ce qui a amené ce thème sur le plan politique. Vous avez 38 ans, vous êtes père de trois enfants en bas âge. Vous a-t-on déjà interrogé sur la compatibilité du mandat que vous visez avec votre situation familiale?
Oui. Pour une raison simple: quand on m’avait demandé si je voulais me présenter au Conseil d’Etat avant les dernières élections cantonales, là où siège maintenant Vassilis Venizelos, j’avais décliné en précisant spécifiquement que, ce qui m’animait dans cette tranche de vie, c’était de pouvoir passer du temps avec mes enfants. A l’époque, c’était le motif principal qui m’avait freiné dans un potentiel engagement pour l’Exécutif vaudois.
A vos yeux, c’est donc une vraie question?
Absolument! Dans notre société, il est difficile de concilier un mandat dans un gouvernement et sa vie familiale. J’estime nécessaire que les pères s’expriment aussi sur cette question, que cela ne soit plus seulement aux femmes de se positionner. Du reste, je dis aussi dans la campagne actuelle que mes enfants sont encore jeunes et que je compte garder un jour par semaine pour m’y consacrer entièrement à la maison. Cela fait partie de mon organisation et je ne compte pas la changer.
Si vous êtes élu au Conseil des Etats, pourrez-vous maintenir cette organisation?
Oui. Je l’affirme en toute connaissance de cause: la charge de travail dans un parlement est conséquente, mais vous conservez encore la maîtrise de votre agenda puisque presque tout est planifié. Cela n’est pas le cas au sein d’un Conseil d’Etat ou du Conseil fédéral, où on est totalement tributaire des aléas de son département.
Quels combats voulez-vous porter à la Chambre haute?
Il y a bien sûr ces questions d’égalité, de discriminations et de droits fondamentaux qui me sont chères. Mais pas seulement. Outre mes combats pour l’écologie et en particulier le climat, je suis très investi — notamment dans le monde associatif mais aussi sous la Coupole — pour une agriculture paysanne forte, pour des conditions-cadres favorables aux PME et pour une politique européenne volontariste. Ce sont les piliers qui fondent mon engagement politique.
En vous présentant au Conseil des Etats, vous vous assurez surtout une grande visibilité, qui devrait vous permettre de garder votre siège au National, que vous occupez depuis quelques mois. C’était ça, le vrai objectif derrière votre candidature au Conseil des Etats?
(Rires) Non, on ne se lance pas dans une telle aventure avec uniquement ce genre de calculs en tête. Si j’y vais, c’est parce que je pense que je serai un bon porte-drapeau pour l’écologie et pour les Vert.e.s. En étant tête de liste, je veux amener de la visibilité à mon parti et à nos idées pour qu’elles comptent dans le débat public. Je suis cependant conscient que je pars dans la position du challenger, puisque les noms qui circulent en face sont ceux de personnalités qui cumulent beaucoup d’années en politique à haut niveau.
C’est un avantage non négligeable?
Certainement. Mais, en même temps, une élection au Conseil des Etats, c’est un peu l’histoire d’une alchimie qui peut se créer entre la population et sa députation. Dans cette alchimie particulière, la question du renouveau politique joue un rôle central: on l’a vu à Fribourg avec Johanna Gapany et à Neuchâtel avec Céline Vara. Rien n’est joué d’avance et, en m’inscrivant dans cette tendance, je crois que je porte un projet qui a ses chances de convaincre.
En parlant de la concurrence, le Parti libéral-radical fera tout pour conserver son siège. Qui craignez-vous le plus entre les papables, soit le sortant Oliver Français, Jacqueline de Quattro ou Pascal Broulis?
(Rires) Je vais jouer mon joker, je ne vais pas répondre à cette question. Dans une campagne de ce type, nous devons d’abord penser à nos projets et à nos idées. Je n’ai pas envie de jouer au pronostiqueur pour nos adversaires.
Je me permets d’insister et retourne ma question comme une chaussette: qui serait le ou la candidate que vous préféreriez affronter?
Non, vraiment, je ne me prononcerai pas. Le Parti libéral-radical fera ses débats internes et désignera son champion ou sa championne. De mon côté, je me prépare à débattre. À noter que je respecte toutes les personnes que vous avez citées, pour les avoir côtoyées à différents niveaux. Chacun proposera et défendra son projet, puis la population décidera.