Olivier Français joue la montre. À l’heure où ces lignes sont écrites, personne ne sait si le conseiller aux États vaudois va se représenter à Berne lors des élections fédérales de l’automne 2023. Pourtant, dans une interview accordée à «24 heures» à la fin du mois de juin, le sénateur promettait de lever le voile sur ses intentions courant octobre.
Ce n’est, d’ordinaire, pas le genre du poids lourd du Parti libéral-radical (PLR) de ne pas respecter la parole donnée. Pourquoi, dès lors, attend-il désormais la mi-novembre pour rendre publique sa décision, comme il l'a récemment communiqué?
La réponse tiendrait en deux mots et une particule: Jacqueline de Quattro. Blick a appris que la conseillère nationale PLR, ex-ministre vaudoise très médiatique, a déjà déclaré au sein de différents cénacles qu’elle se lancerait dans la course à la Chambre des cantons si son collègue ne souhaitait pas rempiler. Or, l’ancien municipal lausannois lui voue une aversion aussi profonde que notoire et serait prêt à tout pour éviter qu’elle ne lui succède.
Une (très) vieille querelle
Cette animosité viscérale remonte à 2006, au moins. À cette époque, une guerre de l’ombre se joue au sein du Parti radical. La succession de Jacqueline Maurer au gouvernement vaudois échauffe les esprits. Notamment celui d’Olivier Français. «Le Matin Dimanche» dévoile alors que l’ingénieur a recours à des méthodes de déstabilisation via des «tontons flingueurs» pour tenter d’être préféré à Jacqueline de Quattro par la base de sa famille politique.
Dans les détails, il aurait posté une lettre écrite par l'un de ses soutiens. Cette missive, qui flingue proprement sa rivale (elle y est décrite comme «inexpérimentée» et incapable de prendre des décisions rapides, une faculté qui fait défaut «aux habitués de la comptabilité et du droit»), aurait été envoyée à plusieurs délégués pour faire pencher la balance de son côté.
En vain: celle qui n’était à ce moment «que» municipale à La Tour-de-Peilz lui grille la politesse avant d’être élue au Conseil d’État, où elle siégera de 2007 à 2019. Un immense uppercut au menton de son «camarade» de parti, qui juge la Zurichoise d’origine incompétente et carrément indigne de la fonction.
Jacqueline de Quattro a la cote
Depuis, l’homme a l’ego blessé, la rancune tenace. Et savonne la planche de celle qui lui a été préférée. Problème: pour son plus grand malheur, les planètes semblent à nouveau s’aligner en faveur de sa Némésis. D’abord, les places sur la liste pour le Conseil national seront très chères au PLR, où les profils solides ne manquent pas. Un passage de Jacqueline de Quattro aux États libérerait son siège actuel dans la Chambre du peuple. Une perspective qui pourrait convaincre les ambitieux de la soutenir.
Ensuite, l’avocate de formation a 62 ans. C’est cinq ans de plus que Pascal Broulis, qu’on dit aussi dans les starting-blocks pour remplacer Olivier Français. Ce qui signifie, en cas d’élection, qu’elle ne devrait pas ambitionner de faire davantage que deux législatures. Le Nord-Vaudois, quant à lui, pourrait aisément se profiler… jusqu’en 2035.
Un scénario qui donne des boutons aux jeunes loups libéraux-radicaux. Ceux-ci refusent de voir une nouvelle génération sacrifiée par l’ancien emblématique patron des Finances vaudoises, resté accroché à son siège au Conseil d’État vingt années durant.
Le PLR suspendu à la décision des Verts?
Last but not least, la candidature de Jacqueline De Quattro pourrait également être un atout pour le PLR dans le cas où la gauche proposerait des candidatures exclusivement masculines. Une hypothèse loin d’être impossible, même au sein des formations autoproclamées de l’égalité.
Du côté du Parti socialiste, c’est Pierre-Yves Maillard qui essayera de reprendre le siège perdu, en 2019, à la suite du retrait de Géraldine Savary. Et, chez les Verts, le profil du conseiller national Raphaël Mahaim pourrait bien être préféré à celui de Séverine Evéquoz, certes présidente du Grand Conseil, mais moins connue du grand public. Un duel que les écologistes arbitreront le 12 novembre.
Hasard du calendrier (ou non), c'est un peu plus tard que devrait sortir du bois Olivier Français. «En politique, les coïncidences n’existent pas», murmure-t-on dans son entourage, qui sous-entend lourdement que l'élu bourgeois ne se représentera que si Raphaël Mahaim ouvre un boulevard, bien malgré lui, à Jacqueline de Quattro.
Olivier Français en position de force
Tic, tac. Tic, tac. L'heure tourne et, pour l'instant, le sénateur est intouchable. Il le sait bien. Personne n’ira le défier s'il annonce vouloir se maintenir. Pas question de faire affront à celui qui est auréolé du statut de héros à l'interne après avoir par deux fois gagné dans les urnes une place au Conseil des États.
À ce stade, des candidatures sauvages sont aussi exclues. Ce procédé serait la quasi-assurance de se casser les dents, prophétise-t-on en coulisse. C'est donc Olivier Français qui tirera le premier. «Personne n'ouvrira la bouche avant lui, c'est certain», affirme-t-on.
Reste une vraie inconnue: le cacique du PLR, que beaucoup disent en bout de course, est-il vraiment capable de repartir pour un ultime tour de piste uniquement dans le but de barrer la route à Jacqueline de Quattro?
Plusieurs fins connaisseurs de la maison libérale-radicale sont tentés de répondre par l’affirmative. Espérons, dans tous les cas, que démocratie puisse, cette fois, se faire sans «tontons flingueurs». Et que l’émérite sénateur finisse par lâcher une bonne fois pour toutes le gilet de celle qui, rappelons-le, s’est illustrée à toutes les élections où elle s’est présentée. Olivier Français devrait être bien placé pour le savoir.