C’est au siège saint-gallois de Schwarzenbach que le patron d’Aldi Suisse, Jérôme Meyer, a reçu Blick pour un entretien. De bonne humeur, il a salué la récente levée de l'obligation du port du masque dans les magasins en Suisse, y compris dans les siens. Une étape «que nous attendions tous avec impatience», souligne le directeur. «Le gros de la crise est terminé», prophétise-t-il même. Maintenant que la pandémie semble s’éloigner, d’autres problèmes (re)surgissent dans le secteur du commerce.
Alors que les prix des masques baissent, ceux de nombreux autres produits s’envolent. Pourquoi?
Jérôme Meyer: Le commerce de détail fait actuellement face à une flambée des prix de matières premières, des coûts de fret et d’énergie qui crèvent le plafond. Cela se répercute forcément sur les prix des denrées alimentaires.
Est-ce que cela a des conséquences sur le prix des produits en rayon?
Beaucoup de gens ont pu constater que les céréales et le café coûtent désormais plus cher. Il n’est pas exclu que le prix de ces produits augmente également dans les rayons d’Aldi. C’est déjà le cas pour certains d'entre eux.
Quels seront les prochains produits concernés?
Le chocolat, les en-cas et l’eau minérale, je pense. Il n’est toutefois pas question que la plupart de nos 1800 produits deviennent plus cher sur nos rayons. Jusqu’à présent, nous avons fait notre possible pour amortir autant que faire se peut les prix.
En Allemagne, les rayons de papier toilette de certains supermarchés discount sont vides. Faut-il craindre un retour d’une telle pénurie dans les Aldi suisses?
Si tout le monde ne se met pas à accumuler du papier toilette comme avant le semi-confinement, il n’y aura pas de pénurie. (Rires) Mes acheteurs m’ont assuré qu’il y en avait suffisamment, car nous achetons la majeure partie de notre papier toilette auprès de fournisseurs suisses.
Quels sont les fournisseurs qui vous posent le plus de problèmes?
Ce sont surtout les produits en provenance d’Asie qui posent problème. Nos commandes arrivent parfois avec deux ou trois mois de retard, en tout cas pas à la date convenue.
Vous imaginez bien qu’un consommateur à qui on promet certains produits dans les dépliants publicitaires risque d’être contrarié s’il ne les trouve pas en rayon…
Au début, c’était un défi. Aujourd’hui, nous pouvons mieux anticiper l’arrivée de la marchandise. Nous ne faisons plus la promotion des produits pour lesquels nous avons des doutes quant à leur disponibilité.
Les fournisseurs exigent-ils désormais davantage pour leurs produits?
Il est clair que les fournisseurs de marques essaient d’imposer des prix plus élevés. Toutefois, ils ne représentent que 10% de notre assortiment total. Chez nous, les fournisseurs de marques n’ont pas le pouvoir et le poids qu’ils peuvent avoir ailleurs.
Mais n’est-ce pas Aldi qui veut faire baisser les prix des fournisseurs?
Nous entendons encore ce genre de reproches. Ce sont des critiques lancées à la va-vite mais qui ne disparaissent pas aussi vite qu’elles sont proférées. Or c’est le contraire qui se passe: nous fixons les prix et payons de manière équitable. Nous ne profitons certainement pas de l’inflation pour augmenter la pression sur nos 380 fournisseurs en Suisse. Nous optimisons en interne afin d’atténuer la hausse globale des prix.
Où optimisez-vous les coûts? Pas sur le salaire des employés quand même?
Pas du tout. Nous avons embauché 439 nouveaux collaborateurs l’année dernière et nous avons également besoin de plus de personnel cette année. Optimiser signifie analyser l’organisation de l’entreprise afin de rechercher un potentiel d’économie. Nous avons volontairement limité notre assortiment à 1800 produits afin de réduire les coûts de distribution. Par exemple, nous présentons désormais davantage de boissons sur des palettes ou des marchandises en carton. Cela permet d’économiser du temps et de l’argent, car il n’est plus nécessaire de déballer la marchandise.
Vous vous vantez d’avoir le salaire minimum le plus élevé de la branche. La plupart des employés ne travaillent pourtant qu’à temps partiel et ne gagnent pas les 4600 francs théoriquement annoncés.
Voilà encore une critique à laquelle je réponds volontiers. Chez nous, le taux d’engagement moyen se situe entre 75 et 80%. Plus le salaire minimum est élevé, plus le salaire pour les employés à temps partiel est proportionnellement élevé. De plus, la plupart des gens ne veulent pas travailler à 100%.
Pensez-vous que la pandémie a motivé cette envie de travailler à temps partiel?
La conscience professionnelle des gens a changé avec le Covid. De plus en plus de jeunes entrepreneurs postulent pour travailler chez nous en parallèle de la création de leur entreprise. Ils cherchent un emploi à temps partiel pour assurer leur sécurité financière. Ce n’était pas le cas avant la pandémie.
Pourquoi une chaîne de supermarchés discount comme la vôtre vend-elle des sushis, du bio et des produits de marques raffinées?
Parce que c’est ce que les gens veulent et que cela se vend très bien. Je rajouterai que c’est aussi parce que nous parvenons à rendre de tels produits abordables pour tous, sans devoir faire de concessions sur la qualité.
Le bio discount est-il également en plein essor?
Le bio représente environ 10% de notre assortiment. Bien que nous n’ayons pas le droit d’estampiller nos produits bio avec le label Bourgeon — parce que cela nous obligerait à avoir beaucoup plus de produits bio dans nos rayons que ce que notre assortiment limité ne permet —, les produits biologiques suisses que nous proposons sont de toute aussi bonne qualité. Ce sont les mêmes fournisseurs, la même qualité, mais les produits sont 40% moins chers que ceux portant le label Bourgeon.
La nouvelle enseigne Aldi sur la fameuse Bahnhofstrasse de Zurich ne ressemble pas vraiment à un supermarché discount.
Et ça nous va très bien. (Rires) C’est un lieu extrêmement fréquenté et nous devons aussi être présents dans ce genre d’endroits. Nous complétons bien le quartier concerné avec des produits alimentaires de qualité à un prix avantageux. Pour nous, ça marche.
Proposer du discount sur la luxueuse Bahnhofstrasse, est-ce vraiment rentable?
Nous n’avons jamais fait du bon marché. Nous expliquons toujours aux Suisses qu’une bonne qualité et un prix avantageux sont possibles dans notre pays. Nous sommes très satisfaits de cette filiale urbaine, elle est rentable comme nos autres filiales situées en centre-ville. Nous avons besoin d’autres emplacements aussi fréquentés pour mettre en contact avec Aldi des personnes qui n’ont pas encore mis les pieds dans un de nos magasins. Au total, dix nouveaux magasins figurent sur notre liste d’expansion cette année. À moyen terme, nous voulons exploiter un réseau de 300 magasins dans toute la Suisse.
Aldi a-t-il maintenant atteint les trois milliards de francs de chiffre d’affaires?
Vous comprendrez qu’Aldi ne publie pas ses chiffres d’affaires. Je peux toutefois confirmer que les estimations s’améliorent et que nous avons connu une croissance à deux chiffres au cours des deux dernières années de pandémie. D’ailleurs, nous réalisons déjà plus de la moitié de notre chiffre d’affaires avec des produits de fabricants suisses.
L’arrivée d’Aldi sur le marché en 2005 a contraint Coop et Migros à riposter en développant leur gamme de produits discount. Êtes-vous vraiment plus avantageux aujourd’hui?
Clairement, oui. Faites vos courses hebdomadaires chez Migros, Coop, Aldi et Lidl et vous verrez que nous sommes moins chers, y compris par rapport aux gammes discount des grands distributeurs.
Aldi se targue de durabilité et vend des pantalons en jean à moins de dix francs. Est-ce qu’il n’y a pas un problème?
J’affirme que l’écologie et l’économie vont beaucoup mieux ensemble que nous ne le pensons. Pour les textiles, nous avons établi une charte avec les producteurs. Ils nous garantissent des salaires et des conditions de travail équitables. En Suisse aussi, nous avons lancé des projets comme «Fairmilk» pour que les agriculteurs soient rémunérés à leur juste valeur.
Alors pourquoi vendez-vous en janvier des fraises qui doivent être acheminées d’Espagne?
Même si je trouve cela dommage, il existe bel et bien une demande de la part des acheteurs. Mais nous prenons les critiques au sérieux et, depuis cette année, nous renonçons à promouvoir les fraises lorsqu’elles ne sont pas de saison. Personne d’autre ne le fait chez les concurrents.
Aldi avait raté le coche de la numérisation dans ses magasins. Avec la pandémie tout s’est mis miraculeusement en marche. Comment avance le service de livraison de produits alimentaires?
Nous ne mettons en œuvre une nouvelle technologie que lorsqu’elle améliore nos processus dans leur ensemble. Nous avons investi 160 millions de francs dans de nouveaux concepts de magasins. La poussée de la numérisation est là, le «Scan & Go» et le «Self-Checkout» ont très bien démarré. Je suis enthousiasmé par le service de livraison «Aldi Now» à Zurich.
Vous transformez des filiales zurichoises en entrepôts pour votre service de livraison de produits alimentaires. D’autres villes seront-elles bientôt concernées?
Un «picker» prépare la commande dans le magasin et la transmet au partenaire logistique pour la livraison. Cela permet de réduire les coûts. Nous avons maintenant des créneaux horaires d’une heure. Après Zurich, nous étendons le rayon de livraison à l’agglomération jusqu’à Winterthour. Dans une deuxième étape, nous nous dirigerons certainement vers les villes de Berne et de Bâle.
Avec la levée rapide de certaines restrictions, quelles sont encore les mesures sanitaires liées au Covid que vous avez gardées dans vos magasins?
Le plexiglas aux caisses, les produits d’hygiène aux entrées pour nettoyer la barre de pesée, tout cela existe toujours chez nous. Nous prenons en compte les personnes qui se sont habituées aux mesures de protection.
(Adaptation par Louise Maksimovic)