Le monde des détaillants suisses entre-t-il dans une nouvelle ère? La semaine dernière, Aldi Suisse annonçait en grande pompe une augmentation du salaire minimum de ses employés à 4600 francs.
Pour la première fois, le salaire plancher d'une entreprise de la branche des détaillants est plus proche des 5000 que des 4000 francs bruts. Un chiffre encore impensable il y a quelques mois, d'autant plus qu'Aldi verse un 13e mois à ses employés.
Une décision pas désintéressée
Marco Geu, responsable du commerce de détail au syndicat Syna, se réjouit de cette décision. «C'est une vrai sensation, nous ne pouvons que le constater, souligne-t-il. A terme, le salaire minimum de 5000 francs devient réaliste dans le commerce de détail.»
Les moteurs de cette évolution sont sans aucun doute les discounters allemands. Toutefois, les sauts salariaux qu'ils proposent ne sont pas tout à fait désintéressés. «Aldi et Lidl sont toujours en forte expansion et ont besoin de plus de personnel pour leur croissance, analyse Marco Geu. Dans une branche à faible rémunération, le salaire minimum est un paramètre important pour le recrutement, en particulier pour le personnel non qualifié.»
Coop et Migros pourront-ils rivaliser?
Les géants oranges helvétiques sont loin de pouvoir rivaliser avec le nouveau salaire plancher d'Aldi. Chez Coop et Migros, le salaire minimum pour les employés non qualifiées est de 4100 francs. Chez Denner, il est de 4200 francs, pour deux heures de travail hebdomadaire supplémentaires.
C'est Lidl Suisse qui se rapproche le plus des salaires d'Aldi. Les collaborateurs y gagnent au minimum 4360 francs par mois. Pour ces tranches de salaire, une différence de quelques centaines de francs à la fin du mois peut être déterminante.
La stratégie peut s'avérer payante pour les discounters allemands. Il est légitime de se demander si les salariés à la caisse ou dans les rayons de chez Denner, Migros ou Coop n'auraient pas tout intérêt à partir chez Aldi ou Lidl. Le grand exode est-il imminent?
«Atmosphère familiale» chez Denner
«Les salaires élevés ne sont pas le seul gage de succès durable... et le football professionnel n'est pas le seul domaine qui le prouve», ironise Thomas Kaderli, porte-parole de Denner. Il souligne que le taux de fluctuation au sein de de son entreprise est faible et continue de baisser.
«Nos collaborateurs apprécient l'atmosphère familiale au sein de nos magasins, mais aussi les possibilités de progresser rapidement dans la hiérarchie de l'entreprise. Cela fait 50 ans que Denner existe et nous n'avons pas eu, et n'avons toujours aucun souci de relève.»
Mise en avant d'autres avantages
Coop et Migros se montrent eux aussi sereins et préfèrent mettre en avant leurs avantages, comme la semaine de 41 heures, deux tiers des cotisations à la caisse de pension ainsi que des prestations salariales annexes attrayantes. Porte-parole de Migros, Cristina Maurer mentionne en outre que chez le géant orange, seule «une très faible proportion» du personnel travaille au salaire minimum.
Concernant les 4600 francs proposés par Aldi, elle retourne notre question par une réplique bien placée: «La question se pose de savoir combien de personnes bénéficient en pratique de ce salaire minimum, si l'entreprise met la grande majorité de ses postes vacants à temps partiel.»
Des critiques récurrentes
Les discounters allemands en Suisse sont régulièrement confrontés à ce reproche. Une ancienne employée d'Aldi évoque ces travers auprès de Blick. «Chez Aldi, tous les vendeurs sont employés à 70%, mais tous travaillent plutôt à 115%», explique-t-elle avec une certaine emphase. Elle analyse néanmoins: «Les cadres sont frileux à nous payer les heures supplémentaires. Et cela jusqu'à ce qu'on perde la vue d'ensemble sur nos heures.»
Nos collègues du SonntagsBlick ont étudié les emplois proposés en ce moment par le discounter allemand. Les résultats montrent que parmi les 146 postes dans la vente mis au concours chez Aldi Suisse, aucun n'est à temps plein et 133 offrent un taux d'occupation de 70%.
Anne Rubin, cheffe du commerce de détail au syndicat Unia, réagit. «Les vendeurs chez Aldi sont presque systématiquement employés à temps partiel, décortique-t-elle. Cela donne plus de flexibilité à l'entreprise.»
Aldi se défend
Aldi rejette avec véhémence le reproche selon lequel les heures de travail supplémentaires ne sont pas toujours rémunérées. «Elles sont systématiquement payées ou, en fonction, compensées par des congés. Nous contrôlons régulièrement l'équilibre entre la charge de travail convenue par contrat et celle effectivement fournie.» En cas de reports réguliers, il est possible d'adapter le taux d'occupation avec l'accord du collaborateur.
Quant à la pratique des emplois à temps partiel, l'entreprise l'explique par les besoins de ses collaborateurs. «Ils correspondent à l'esprit du temps et sont très appréciés, surtout par les collaborateurs ayant une famille.» Et en ce qui concerne le fait qu'aucun poste à temps plein ne soit mis au concours pour les vendeurs, le service de presse écrit laconiquement que, selon l'entreprise, «la situation est la même dans toute la branche».
Des marges importantes pendant la pandémie
Un bref coup d'oeil sur les portails d'emploi de Denner, Migros et Coop démentent cette affirmation. On y trouve de nombreux postes à 80 ou 100%. «Chez Coop, de nombreux vendeurs travaillent à 100%», précise Anne Rubin, dont le syndicat entretient un un partenariat social avec le géant orange.
Sur la question des salaires, la syndicalise se dit toutefois déçue par Coop et Migros. «Après deux ans de pandémie, où tout deux ont réalisé de bonnes marges grâce à l'énorme engagement de leurs collaborateurs, ils auraient pu approuver des augmentations de salaire plus importantes», critique-t-elle.
(Adaptation par Alexandre Cudré)