C'est un jour normal, sur les réseaux sociaux. Sarah, 21 ans, vendeuse en ligne depuis plus d'une année, cherche à se séparer de l'un de ses hauts sur Facebook Marketplace. Et là, sidération. «Un homme me demande une photo de mon cardigan et de deux autres articles portés sans soutien-gorge», rapporte-t-elle à Blick au bout du fil, estomaquée.
Quelle est la raison invoquée pour justifier cette démarche pour le moins surprenante? La Lausannoise s’étrangle, pas dupe pour un sou: «Soi-disant pour voir si ces habits 'tiennent sans rien dessous’. Incroyable, non?»
C'est même complètement déplacé. Et ce genre de demandes sont malheureusement légion. «T’as un visage de vilaine fille et des lèvres trop pulpeuses», «Pourquoi tu vends ce pull? T’es trop belle avec!», «Est-ce que je peux financer ton shopping? Je suis fétichiste»… Voici quelques exemples de messages qui nous ont été transmis par cinq jeunes femmes.
Toutes les ont reçus alors qu’elles désiraient simplement faire de la place dans leur dressing en vendant des pièces sur Facebook Marketplace. Une plateforme très populaire dédiée initialement au commerce d’objets de seconde main, aujourd’hui gangrenée par des utilisateurs qui n’hésitent pas à faire des sollicitations sexuelles en tous genres.
Vous trouvez ça absurde? Pourtant, les messageries des utilisatrices du réseau de vente de Mark Zuckerberg débordent de ces remarques choquantes. Après en avoir reçu des dizaines, Sarah confie être excédée: «Je fais un post pour mettre en valeur un vêtement, et des hommes me posent des questions lourdes ou me donnent des conseils non sollicités sur la façon dont je devrais me prendre en photo. Mais je ne veux pas faire des rencontres ou me mettre en scène, je veux juste vendre ce cardigan!»
Des tentatives de faire connaissance
Qu’est-ce qui se cache derrière ces prises de contact? «Ce sont forcément des tentatives masquées de 'faire connaissance', estime-t-elle. Je ne vois aucune autre raison d’engager la discussion sans arrière-pensée avec quelqu’un qui veut juste commercialiser un article.»
Le procédé la gêne au plus haut point. Notamment à cause de son caractère intrusif. Si elle cherchait chaussure à son pied, elle se tournerait vers les sites de rencontre, spécialement prévus à cet effet. «Or, ces hommes débarquent dans mes messages privés sans se demander si c’est ce que je cherche», déplore-t-elle.
Ce qui n’est d’ailleurs pas le cas. Mais cela ne dérange pas ceux qui abordent Sarah. Cette dernière assène, par ailleurs, que ce n’est pas pour rien que ces individus utilisent Facebook: «Ils peuvent se cacher plus facilement si nécessaire, ce qui est important pour eux puisque leurs propositions sont souvent indécentes.»
Dans les détails, le fonctionnement de ce réseau social permet à une seule personne d’être derrière plusieurs comptes, parfois même anonymement. Ce qui n’est pas possible sur la majorité des applications de rencontres, qui vérifient l’identité des utilisateurs. «Les gens se permettent tout et n’importe quoi sur cette plateforme, c’est chaud!», s’irrite la jeune vendeuse.
1000 francs le partage de cabine
De son côté, Selma, la vingtaine, s'est résignée. «Des photos où je porte les habits que je vends? Je ne veux même plus en publier», regrette-t-elle. Après avoir reçu un paquet de propositions qu’elle qualifie d’indécentes, elle a pris une décision: elle photographiera dorénavant ses articles sur le sol ou sur un cintre. Plus question de servir de mannequin sur ses annonces. Et tant pis si cela plaît moins. Contactée par Blick, elle accepte immédiatement de témoigner.
«Je cherchais à me débarrasser d’un jeans et un type m’a tranquillement proposé de m’acheter ce pantalon à n’importe quel prix si j’acceptais de le porter et de ne pas le laver», narre-t-elle dans un message vocal incendiaire. Extrêmement mal à l’aise, la jeune femme l’a immédiatement envoyé valser. «Un autre mec m’a même proposé une séance de shopping d’une valeur de 1000 francs s’il pouvait venir essayer mes fringues avec moi dans la cabine!», raconte-t-elle encore.
Comme transformée en objet
Selma s’est sentie comme un objet. Elle soupire. Toujours selon elle, ces hommes confondent vente d’habits et vente de son corps. «Ils sont vraiment dégueulasses, s’emporte-t-elle. En arriver à un point où on n’ose même plus mettre en valeur des habits qu’on veut vendre? C’est réellement triste.»
Elle marque une pause, puis reprend: «C’est certes bien mieux de montrer à des acheteuses potentielles un produit porté. Mais je n’arrive plus à suivre. Les messages déplacés s’accumulent à chaque fois… C’est chronophage et extrêmement gênant.»
La situation est rendue plus embarrassante encore par le fait que la Vaudoise, elle, peut — la plupart du temps — mettre des visages sur les mots choquants qu’elle reçoit. «À chaque fois qu’on m’envoie ce genre de propositions, je me dis que ce sont de faux comptes (ndlr: qui représentent quelqu’un ou quelque chose qui n’existe pas). Or, ce n’est souvent pas le cas.»
Une assertion que nous pouvons confirmer. En y regardant de plus près, ces soi-disant sugar daddies en mal de personnes à entretenir financièrement semblent même avoir une communauté bien connectée, un profil complet et, très fréquemment, une femme et des enfants.
La plupart de ces hommes sont du même acabit, enchaîne notre témoin. Elle décrit des pères de famille qui ont entre 40 et 50 ans, vivent dans le même périmètre qu’elle et qui ressemblent à monsieur Tout-le-monde. «Imaginer que des personnes aussi tordues que ça habitent près de chez moi me fait peur», s'inquiète Selma.
Et dans le vestiaire des hommes?
Dézoomons un peu. La plateforme Marketplace n’héberge pas que des annonces publiées par des femmes. De jeunes hommes y vident aussi leurs placards. Alors, est-ce également la jungle dans leurs messageries? Vérification faite auprès d’une dizaine d’entre eux: absolument pas. Ils sont catégoriques: non, ils n’ont jamais eu droit à des prises de contact importunes. Non, ils n’ont pas eu connaissance de propositions humiliantes reçues par leurs pairs.
Étonnant? Pas tant que ça, selon Valérie Vuille, spécialiste fribourgeoise des questions de genre et créatrice de l’association DécadréE. «Les réseaux sociaux sont un espace public, amorce-t-elle. Le harcèlement en ligne est mû par les mêmes mécanismes que le harcèlement de rue: les hommes agissent systématiquement comme si les femmes étaient à leur disposition.»
Alors, concrètement, que faire face à ce fléau? Bien respirer et… prendre son mal en patience. L’experte affirme qu’il faudra que la société change pour que ces oppressions se raréfient. Elle ajoute qu’il n’y a pas de profil type de l’agresseur. Si ceux qui s’en prennent aux vendeuses de Facebook Marketplace se ressemblent, ce serait uniquement parce que le réseau étasunien est vieillissant: «Par conséquent, cette catégorie de la population s’y exprime particulièrement. Mais il serait intéressant de faire une étude sur d’autres plateformes pour voir qui les domine.»
Facebook en fait-il assez?
Contacté par e-mail, Facebook reconnaît être au courant de ce problème, admettant que certains comportements en ligne peuvent avoir «un impact très fort sur les femmes». «C’est pourquoi nous tentons de faire de notre plateforme un endroit plus sûr pour les femmes du monde entier afin d’aider à prévenir des choses comme les abus, l’exploitation et le harcèlement», promet Johannes Prüller, responsable communication de la plateforme pour la Suisse et l'Autriche.
Comment? Le communication manager explique qu’un centre de sécurité consacré aux femmes a été lancé dans le but de leur permettre d’accéder plus rapidement aux outils de sécurité mis à disposition par Facebook.
En outre, des experts traquent les contenus potentiellement abusifs et les faux comptes, qui «violent nos normes communautaires», ajoute Cindy Southworth, responsable de la sécurité des femmes au sein du groupe Meta, maison mère de Facebook. Ces hommes problématiques peuvent donc être signalés et bloqués sur le réseau. Une démarche qui ne les empêchera toutefois pas de revenir par la fenêtre, sous une autre identité...