Les joues creuses et le regard vide, Harvey Weinstein est assis dans la salle d’audience du tribunal de Los Angeles. Depuis une semaine se déroule le deuxième procès de l’ancien producteur de cinéma. Il est accusé d’avoir harcelé sexuellement et violé des femmes pendant des décennies.
Cinq ans se sont écoulés depuis l'émergence du mouvement social MeToo, déclenché en octobre 2017 par le scandale Weinstein: des femmes du monde entier ont partagé publiquement leurs expériences d’abus. En Suisse aussi. Blick saisit l’occasion pour se demander ce que le mouvement a accompli. Qu’est-ce qui a changé pour les victimes?
La honte passe dans l’autre camp
Melanie Nussbaumer a obtenu un doctorat en sociologie à l’université de Bâle. Elle travaille comme conseillère et personne de confiance externe pour les personnes victimes de harcèlement sexuel au travail. «Je m’occupe depuis 20 ans de thèmes liés à l’égalité et au harcèlement sexuel. Et jamais un mouvement féministe n’avait eu autant d’impact dans le monde que MeToo», souligne-t-elle.
Parce que d’innombrables femmes rendent leur histoire publique, les personnes concernées savent qu’elles ne sont pas seules. Ce qui les aide à franchir une étape importante: se considérer comme des victimes et trouver les mots pour décrire ce qui s’est passé. «Grâce à MeToo, elles ont moins honte de parler de ce qu’elles ont vécu et de chercher de l’aide», explique l’experte, qui siège au Grand Conseil du canton de Bâle-Ville pour le PS.
Autrefois, il était très courant que les victimes de crimes sexuels soient accusées de complicité. La première question qu’on leur posait? «Pourquoi n’as-tu pas dit non ou ne t’es-tu pas défendu(e)?» Aujourd’hui, on le sait: certaines victimes restent figées et ne peuvent pas réagir lors d’une agression sexuelle. «La société parle du harcèlement sexuel et les gens s’interrogent sur la manière dont il peut se produire et sur les différents comportements qui y sont associés. Ce n’est plus un tabou.»
Le côté «sombre» de MeToo
Urs Saxer, avocat et professeur de droit public et administratif, estime lui aussi que MeToo a eu un impact important et a contribué à une prise de conscience. Pour lui, il y a toutefois un côté obscur. «Il y a un risque que les hommes soient injustement jugés par le public, estime-t-il auprès de Blick. Lorsque les médias rapportent une accusation d’abus sexuel, un jugement moral est porté.» Cela peut affecter négativement aussi bien la victime présumée que l’auteur présumé.
Car les accusations demeurent et peuvent être facilement retrouvées sur Internet, à tout moment. Les conséquences sont radicales: «Les amis se détournent, on perd son soutien social et peut-être aussi son emploi.» Il y aurait un risque qu’il n’y ait finalement que des perdants, indique le professeur.
Bien plus de gagnants… ou gagnantes
Depuis MeToo, de plus en plus de voix se sont élevées parmi les hommes qui craignent que les femmes puissent utiliser une accusation de viol comme arme contre eux. Mais dans quelle mesure peut-on évaluer si les accusations d’abus inventées sont répandues? Certaines études européennes estiment que 4 et 8% des allégations sont fausses. Nora Scheidegger, chercheuse dans le domaine du droit pénal sexuel, a déclaré au journal alémanique «St. Galler Tagblatt»: «Il n’existe pas de données fiables sur la part réelle des fausses accusations de violence sexuelle, mais seulement des estimations plus ou moins fiables.»
Melanie Nussbaumer, la conseillère pour les personnes victimes de harcèlement sexuel au travail, affirme cependant que les accusations inventées ne se produisent «que très rarement», «parce qu’une femme ne profite pas d’accuser un homme d’agression sexuelle».
Le nombre de gagnants et gagnantes du mouvement MeToo ces cinq dernières années serait donc bien plus élevé que celui des perdants ou perdantes, qui serait bien plus marginal.