Des milliers de commentaires haineux et une vingtaine de partages en l’espace de quelques jours, voilà ce qu’ont dû subir trois clientes du MAD Club. Leur crime? Avoir posé pour une photo lors d’une soirée dans la boîte de nuit lausannoise le samedi 12 novembre. Cliché qui a ensuite été posté sur le compte Facebook de la discothèque.
Qu’est-ce qui justifie un tel déferlement de haine? Les internautes reprochent aux jeunes femmes d’être vêtues de manière trop provocante. Mais c’est surtout celle qui figure au milieu de l’image, dont on aperçoit le ventre et une partie de la poitrine, qui est brutalement prise à partie.
«Pute», «trans» et références au viol
La victime est traitée de «pute», de «thon» ou de «pouf». Certains commentaires la qualifient de pornstar à travers des références à des producteurs de films X comme Jacquie et Michel ou encore Marc Dorcel. On la traite encore de «trans», car elle aurait les lèvres et les seins refaits…
Et ce n’est pas tout. Les commentaires les plus violents insinuent que l’habillement de la fêtarde justifierait un potentiel harcèlement sexuel ou pire, un viol: «Quand tu vois le style, ça fait flipper quand même. Après les nanas pleurnichent quand ça vrille, mais elles provoquent et cherchent. Autant rien mettre en haut ou juste une rustine sur les tétons», peut-on lire sous l’image en question.
Prise de position légère du MAD
Si cette vague de propos n’a pas manqué de faire réagir le club lausannois sur son compte Facebook, ce dernier s’est contenté d’une prise de position plutôt légère. Le club certifie que tout le monde est le bienvenu et que le respect est toujours de mise dans ses locaux. Quant à la jeune femme, cible des attaques misogynes des internautes, le club salue son choix assumé, et avertit que celles et ceux qui «glissent des insultes n’ont pas leur place chez nous. Et nulle part ailleurs».
Loin de calmer les foules, le commentaire a suscité l’incompréhension de quelques personnes. D’après eux, la boîte ne se priverait pas d’exclure des clients en survêtement, alors que les femmes légèrement vêtues, elles, seraient acceptées sans autre. Un argument que le MAD dément en bloc, avançant que «les joggings sont acceptés s’ils sont propres et respectueux».
Dans quel état peuvent être aujourd’hui ces trois pauvres femmes? Il va sans dire qu’en plus d’être profondément choquées, les trois fêtardes sont victimes d’une sorte de double peine: «Les trois clientes du MAD qui ont été victimes de ce lynchage sur Facebook ne se sentent probablement pas en sécurité sur la plateforme. Sans parler du fait qu’elles pourraient avoir peur de se rendre à nouveau dans le club», signale Morgane Bonvallat, coordinatrice de la plateforme Stop Hate Speech qui vise à repérer et filtrer les commentaires problématiques sur les réseaux sociaux.
Ce que dit la loi
En parlant de peine, la boîte de nuit risque-t-elle d’être poursuivie, sachant qu’elle aurait pu faire bien mieux en termes de modération de commentaires tout bonnement scandaleux publiés en masse? «Le club en question ne s’expose pas à des poursuites pénales. En revanche, il risque sans doute un certain dégât à l’image puisqu’il laisse demeurer des commentaires offensants sur son compte Facebook. Il n’empêche que les trois jeunes femmes pourraient exiger, par la voie civile, que certains commentaires soient supprimés», nous apprend Nicolas Capt, avocat dont les domaines d’expertise s’étendent des nouvelles technologies au droit des médias.
L’homme de loi relève tout de même que le trio pourrait porter plainte contre les personnes ayant publié des commentaires relevant de l’injure, comme ceux les qualifiants de «putes», pour ne citer qu’un exemple. Leurs détracteurs risquent alors une peine de 90 jours-amende au plus, selon l’article 177 du Code pénal.
Au-delà des injures qui ne sont pas poursuivies d’office et qui, surtout, devraient être analysées par un professionnel, n’a-t-on pas affaire ici à des propos discriminants ou incitant à la haine? Eh bien non… «L’article 261 bis du Code pénal vise les discriminations raciales, ethniques, religieuses ou encore celles liées à l’orientation sexuelle. Les propos sexistes ne sont en revanche pas pris en compte dans cette loi», précise Me Capt.
La violence en ligne: un problème loin d’être résolu
En d’autres termes, la violence en ligne reste dans une zone grise en ce qui concerne la justice. Pourtant, une autre question se pose: pourquoi les propos haineux sont si présents? Pour Morgane Bonvallat, il y a plusieurs raisons à cela. «Tout d’abord, il faut dire que les femmes sont encore trop souvent victimes de commentaires violents, il s’agit de l’un des groupes les plus ciblés par le phénomène», explique la Genevoise.
Et pour preuve: d’après une étude menée par Amnesty International en 2017, sur 4000 femmes interviewées dans huit pays différents, 76% déclarent avoir subi des violences ou du harcèlement sur les réseaux.
Elle ajoute d’ailleurs qu’en plus de toucher des anonymes, la haine en ligne affecte aussi des personnalités publiques censées pouvoir s’exprimer sur certains sujets précis: «De nombreuses militantes ou politiciennes refusent désormais de donner leur avis sur les réseaux sociaux, par peur des représailles. Résultat: Internet est un milieu toxique, voire antidémocratique, où il devient difficile pour la gent féminine de s’afficher et d’exposer ses opinions.»
Et les solutions alors?
Si la situation est grave, la coordinatrice de Stop Hate Speech se veut rassurante. «Il existe plusieurs solutions pour trouver de l’aide. On peut faire appel au Centre d’aides aux victimes. Mais il y a aussi plusieurs réponses plus ciblées au cyberharcèlement, comme le groupe Facebook #jesuislà dont le but est de poster des likes et des commentaires positifs pour contrer les attaques sur le réseau social.»
À noter que le geste citoyen peut également s’avérer efficace pour apaiser les tensions. Une étude de l’École polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ), publiée l’année dernière, a démontré que jouer la carte de l’empathie en guise de réponse pouvait faire cesser les propos haineux. «Soit les haters arrêtent de répondre, soit ils suppriment leurs commentaires ou alors, ils répondent poliment», commente la coordinatrice.
Il n’en reste pas moins que la problématique continue de prendre une place croissante, que l’on soit touché ou non. Sachant que de plus en plus de jeunes se divertissent, s’affichent et s’informent sur la Toile, il devient primordial que cet espace, certes virtuel, soit sûr.
«Parce que si on accepte la haine en ligne, cela signifie qu’on l’accepte aussi dans la réalité. J’imagine que si trois femmes se faisaient attaquer par des milliers de personnes dans la rue, on s’interposerait. Cela devrait être pareil sur le web, nous devons réagir comme nous le ferions dans la vie réelle», conclut Morgane Bonvallat.