L'élu Vert va déposer une plainte
Marius Diserens victime de cyber-harcèlement massif

Depuis samedi soir, des milliers d'internautes s'en prennent à Marius Diserens, conseiller communal écologiste à Nyon (VD). Le militant queer raconte ses angoisses et comment il a dû rassurer ses proches qui ont fait rempart contre la haine. Il va déposer une plainte.
Publié: 17.05.2022 à 16:54 heures
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Dernière mise à jour: 17.05.2022 à 19:17 heures
Depuis 2021, Marius Diserens est élu communal à Nyon (VD).
Photo: DR
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Adrien SchnarrenbergerJournaliste Blick

Le 17 mai était coché en rouge dans l’agenda de Marius Diserens. Le Vaudois doit intervenir ce mardi soir dans le «19h30» de la RTS pour évoquer l’IDAHOT, l’acronyme signifiant la Journée mondiale contre l’homophobie, la transphobie et la biphobie. Celle-ci a lieu chaque 17 mai depuis 1990, lorsque l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) a retiré l’homosexualité de la liste des maladies mentales. Ce que le militant queer et diplômé en études genre était loin de s’imaginer, c’est qu’il allait pouvoir témoigner à la première personne d’un cyberharcèlement.

Commençons par présenter Marius Diserens. Ce jeune activiste de 26 ans est «un dynamiteur de codes qui met des coups de pied dans les fourmilières institutionnelles», selon la jolie formule du «Temps» le 14 février dernier. Ne cherchez pas de lien avec la Saint-Valentin: les suiveurs de cet hyperactif sur les réseaux sociaux savent qu’il se joue également des formules préconçues de l’amour.

Le Nyonnais est en couverture du mensuel de «Heidi.news.».
Photo: DR

Cela fait plusieurs années maintenant que celui qui «déteste les cases» jouit d’une importante visibilité dans les médias romands, en plus de prêter son image à des publicités. Un peu plus encore depuis qu’il représente les Verts au Conseil communal de Nyon (VD) et qu’il a été candidat (non élu) au Grand Conseil vaudois ce printemps. Voir un candidat au genre fluide sur une liste politique a autant intrigué les journalistes qu’engendré des commentaires haineux sur les réseaux sociaux. «J’y étais préparé, parce qu’avec la représentation quasi inexistante des minorités de genre en politique, c’était sûr que ça allait arriver», raconte Marius Diserens.

Harcelé par 4000 personnes

Et pourtant, ce mardi, c’est un jeune politicien encore sous le choc qui répond au téléphone. «J’ai du temps pour vous, même si j’ai 500 messages en souffrance sur Instagram», sourit-il. Un flot de solidarité sous forme de rempart au torrent de haine qui a déferlé sans discontinuer depuis samedi soir sur Twitter. «J’étais en train de vivre ma vie normalement lorsque j’ai reçu une notification, se souvient Marius Diserens. Je n’y ai pas trop prêté plus d’attention jusqu’à dimanche soir. Je suis alors tombé sur une publication tentaculaire, énormissime.»

Le message en question est une capture d’écran de l’un des passages du Vaudois au «19h30» de la RTS, où il était invité en tant qu’étudiant de Master en études genre (un diplôme qu’il a achevé entre-temps), assorti d’un commentaire narquois. «Il y avait tellement de likes et de partages que j’ai cru que quelqu’un avait acheté toute cette visibilité. Je ne comprends pas vraiment comment le réseau fonctionne», relève Marius Diserens.

Le jeune élu des Verts essaie de comprendre, passe 30 minutes à lire tous les messages. Souvent très violents. «J’étais démuni, j’ai fait une crise d’angoisse et je n’arrivais pas à trouver le sommeil», avoue-t-il. Le Nyonnais sait qu’il est «une cible continue» dans l’espace public. Cela lui fait peur et il n’a pas honte de le dire, mais il ne s’agit en général que d’individus isolés. Là, c'était différent: «Ce sont 3000 ou 4000 personnes qui ont commencé à me vomir sur le dos, souvent des gens qui n’auraient rien osé me dire en face. Personne n’est préparé à vivre ça, même quand on a l’habitude.»

«On peut avoir des idées très noires»

Malgré la magnitude de l’attaque, Marius Diserens a hésité à en parler avec ses proches. «Moi, je m’y suis un peu fait, à tout cela. Quand j’ai vu l’effet que cela a eu sur mon entourage, j’ai eu un complexe de culpabilité. Je me sentais mal d’entraîner mes amis là-dedans et de leur demander leur soutien pour affronter tout cela», raconte-t-il.

Et pourtant: une véritable cellule de crise s’est constituée pour organiser la riposte: «Cela m’a soulagé. J’ai beau être conscient de toutes ces choses, quand vous êtes la cible d’autant de haine, vous avez soudain des idées très noires. Se sentir soutenu est primordial.»

Marius Diserens s’était déjà retrouvé un jour la cible d’une attaque de «trolls» de l’extrême-droite. «Ils viennent sur ton compte et ils publient des médailles», explique-t-il. Un symbole visant à stigmatiser les «gauchos» en leur attribuant ironiquement des médailles, une manière de contourner la loi anti-harcèlement. «Une contre-armée s’est formée et les deux ont lutté sur mes espaces numériques. C’était lunaire», se souvient le militant, un peu dépassé. Le compte à la base du cyber-harcèlement du week-end est précisément un distributeur de médailles.

Il va déposer plainte

Le conseiller communal écologiste compte bien se défendre. Dans la vie bien réelle, cette fois. Sur conseil de ses proches et de la police, il va aller porter plainte pour harcèlement, acharnement et propos diffamatoires. «C’est permis depuis le 1er juillet 2020 par la nouvelle norme antiraciste, l’article 261bis du Code pénal, qui comprend l’homophobie», explique Marius Diserens. S’il connaît bien ses gammes juridiques, il appréhende un peu de déposer une plainte pour la première fois de sa vie: «Il faut le faire parce que ce ne sont pas des individus isolés. Ils sont organisés et veulent nuire, faire du mal. Ils sont forts, parce qu’ils restent toujours à la limite, ils insinuent sans basculer dans l’interdit.»

Le professeur de yoga et enseignant remplaçant au niveau primaire est néanmoins confiant de faire punir «un jeune militant UDC neuchâtelois», sans rentrer dans les détails. Les Verts vont-ils dénoncer publiquement ou politiquement ce cas de cyber-harcèlement contre l’un de leurs élus? Marius Diserens l’ignore, à ce stade.

Sur la toile, de nombreuses critiques visent les études genre, domaine d’expertise du Vaudois. De nombreux internautes français en ignoraient l’existence et en rejettent la légitimité: «Les réflexions philosophiques des études genre m’ont beaucoup aidé. Il faut impérativement continuer à soutenir ce champ, essentiel pour voir la société à travers un nouveau prisme.»

Est-ce que cette expérience compliquée peut pousser Marius Diserens à jeter l’éponge de son engagement politique? Pas le temps de conclure la question, la réponse fuse: «Jamais. Ni mes autres combats. Quelque part, c’est une bonne chose — il fallait que je reçoive beaucoup de violence pour vérifier que j’avais un système de soutien et de protection qui fonctionne. Il me donne de la force et me porte, car je n’aurais pas pu supporter ça seul. Pour lui, je ne peux pas m’arrêter maintenant.»

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