Mardi 14 juin 2022, toutes les féministes vaudoises s’apprêtent à investir les rues de Lausanne pour manifester ensemble pour l’égalité. Enfin, ensemble, c’est un grand mot.
Alors que le collectif vaudois de la grève a entamé une marche partant de la Riponne pour passer à la place de l’Europe puis à la gare et à la cathédrale, il y a un tout petit groupe qui semble vouloir se faire discret. Elles sont trois et font partie du groupe Némésis, un collectif féministe qui se qualifie comme étant «identitaire». Il est également taxé «d’extrême-droite» par une grande majorité.
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C’est au Flon que les jeunes femmes ont pris leurs quartiers, soit dans l’un des seuls endroits où les «féministes de gauche» – comme elles les appellent – n’ont pas prévu de passer. Elles sont également accompagnées d’un homme improvisé photographe mais aussi garde du corps pour l’occasion. Il s’agirait en fait d’un membre des Jeunes UDC. Je n’en saurai pas plus…
Deux d’entre elles me disent d’abord vouloir garder l’anonymat: elles ne souhaitent ni être prises en photo, ni me donner leur nom. La seule qui accepte de se montrer, c’est Léa. La militante de 19 ans est la nouvelle porte-parole du collectif. Sarah, sa prédécesseure, vient tout juste de quitter la bande. Sur les réseaux, elle explique vouloir se concentrer sur ses études mais après quelques échanges, j’ai cru comprendre que certaines divergences l’ont poussée à s’en aller.
Peur d’être repérées
Après avoir pris quelques clichés au Flon, les trois demoiselles décident de se faire tout de même tirer le portrait à la place de l’Europe. Puis, direction le pont qui mène à Bel-Air. Là, l’une d’entre elle dégaine deux fumigènes pour une photo.
J’avoue ne pas comprendre le but de cette action et demande pourquoi elles ne rejoignent pas le cortège. «On va se faire dégager. On ne veut pas de nous», me confie Léa.
Le 8 mars dernier lors de la Journée internationale des femmes, les militantes qui s’étaient invitées à une action au centre-ville avaient été sommées de s’en aller. Pareil le 25 novembre dernier lors d’une action contre les violences sexistes et sexuelles.
«Cette fois, pour ne pas être repérées, j’ai liké des postes Instagram de la Grève féministe à Genève, histoire qu’elles pensent qu’on serait là-bas», avoue la porte-parole.
Prises en filature par deux cyclistes
Le but des trois jeunes femmes: se faire prendre en photo juste devant le cortège, au moment où il arrive sur l’artère principale à Bel-Air. Ni une, ni deux, elles attrapent leur banderole bleu roi sur laquelle est inscrit: «Pour nos mères, nos filles et nos sœurs». Il faut faire vite. La vague violette ne va pas tarder, elles risquent d’être cernées.
Mais une personne tout de rouge vêtue les a vues et les prend à partie. Elles sont taxées de racistes et ont même droit à une volée de doigts d’honneur. Elles battent en retraite. «On va juste ramener une des militantes à la gare pour éviter qu’elle ne se fasse emmerder», précise Charline*, 24 ans. Il se trouve que nous sommes désormais suivies par deux cyclistes, de quoi faire monter la pression.
L’un d’entre eux va même jusqu’à nous chaperonner jusqu’à l’entrée des voies ferroviaires. Bon, c’en est trop, je décide d’interpeller ce Monsieur pour comprendre sa démarche.
- Je suis journaliste et j’aimerais comprendre pourquoi tu suis ces militantes?
- Elles ont voulu infiltrer la manif' et je pense qu’elles n’ont rien à y faire en tant que collectif.
- Pourquoi?
- Elles propagent des idéaux racistes sous couvert de féminisme. Ce n’est pas normal.
- En parlant de féminisme. Tu ne trouves pas un peu paradoxal d’être un mec et de suivre des meufs à vélo?
- Oui. Totalement. Mais je ne le fais pas parce que j’en ai envie. Je le fais parce que des membres du collectif me l’ont demandé. Le but c’est de savoir où elles sont pour éviter qu’elles ne rentrent dans le cortège en groupe et que ça finisse mal. On n’a rien contre elles, elles peuvent venir dans la manif'. Mais on ne veut pas qu’elles emmènent leurs pancartes et leurs slogans fascistes avec elles. C’est mieux pour tout le monde.
J’avoue être très surprise par le calme de ce jeune homme. Nous avançons ensemble vers le métro. Je me retrouve bizarrement à la place des «suiveurs». Nous nous quittons à l’entrée du M2.
Rendez-vous au poste de police
Je suis désormais seule et Léa m’envoie un WhatsApp: «On monte au poste de police direction Saint-Martin.» Je décide donc de prendre un métro et de les rejoindre. Vont-elles déposer une plainte? Apparemment, oui. Lorsque j’arrive au poste, elles discutent avec un policier…
Une fois dehors, je leur demande si elles comprennent les arguments de leurs détracteurs qui les qualifient de racistes. «Je comprends qu’ils puissent penser ça puisque nous sommes contre l’immigration de masse. Après, on s’en remet aux faits. Les statistiques montrent bien que les violeurs sont généralement issus de l’immigration. S’ils ne veulent pas l’entendre, tant pis. Moi je regrette juste qu’on ne puisse pas avoir une discussion.» Ce seront les derniers mots échangés avec Léa avant qu’elle et sa dernière acolyte ne s’en aillent.
Ces statistiques justement, j’en avais parlé avec le fameux cycliste: «On ne nie pas les résultats de cette enquête, mais il s'agirait de savoir les interpréter aussi. Tout le monde sait qu’on peut faire dire ce qu’on veut aux chiffres et qu’il y a plein d’éléments qui ne sont pas pris en compte. La majorité des agressions sont perpétrées par des hommes connus des victimes. Sans oublier que peu de femmes osent porter plainte».
Avant de partir, les jeunes militantes me demandent si j’aimerais qu’elles fassent un bout de chemin avec moi, pour ma sécurité. Je réponds que non, tout ira bien. Une fois seule dans la rue, j’entends un vélo. Je me retourne. Ce n’est qu’un livreur UberEats…
*Prénom d’emprunt