Éthique dans la technologie
La proximité entre drones suisses et armée inquiète

La Suisse se considère comme un pays de recherche dans le développement des drones. Nos hautes écoles collaborent étroitement avec des militaires de l'étranger dans ce domaine.
Publié: 12.06.2022 à 14:03 heures
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Dernière mise à jour: 12.06.2022 à 19:05 heures
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Laboratoire de drones de l'ETH Zurich: la Suisse est considérée comme le leader mondial en matière de technologie des drones commerciaux.
Photo: Keystone
Marguerite Meyer et Ariane Lüthi

Roland Siegwart dirige l'Institut de robotique et de systèmes intelligents à l'EPF de Zurich - et il sait comment les résultats de la recherche se répercutent rapidement dans le domaine de l'économie. Lors des Swiss Drone Days à Dübendorf, dans le canton de Zurich, le professeur, co-président d'un nouveau réseau qui veut faire de la robotique un pilier de l'économie suisse, invite ce week-end des scientifiques à échanger leurs idées avec des représentants de l'industrie, y compris sur le thème des drones.

Comment empêcher des pays comme la Russie d'utiliser les innovations suisses comme des armes? «Il n'y a malheureusement pas de solution miracle», explique Roland Siegwart. Trois critères sont importants: le choix du personnel, des investisseurs et des clients.

Des technologies pas pensées pour un usage militaire

«Je ne connais aucun collaborateur de l'EPF qui travaillerait sur des projets impliquant une utilisation militaire ou des systèmes d'armes.» Quant aux investisseurs, poursuit Roland Siegwart, il faut veiller à ce qu'ils ne travaillent pas avec des armes: «dans un cas pareil, nous avons déjà dû refuser des donateurs», assure-t-il.

Des commandes ont également déjà été stoppées à cause de clients douteux: «Dans les contrats de projet, il est stipulé que la technologie vendue ne peut pas être utilisée à des fins militaires.»

Les produits peuvent finir à l'armée

Le fait que les produits de masse soient de plus en plus utilisés à des fins militaires pose problème. «Normalement, les armées achètent des produits haut de gamme que l'État peut contrôler. Mais on constate de plus en plus que des simples produits de masse peuvent également être utilisés à des fins militaires. De nombreux téléphones portables contiennent les mêmes puces que celles qui sont apparues en Ukraine. On ne peut donc jamais être sûr qu'une technologie ne finira pas dans l'armée.»

Roland Siegwart préfère de loin parler des succès incontestés des drones civils suisses: environ 80 entreprises, des centaines d'emplois, des inventions spectaculaires. Le premier drone à quatre hélices a volé dans son laboratoire. Désormais, ce système est utilisé partout, pour prendre des photos depuis les airs. Les drones suisses inspectent les glaciers, mesurent le terrain, aident au déminage. À Lugano et à Zurich, la Poste utilise des drones pour acheminer plus rapidement des échantillons de sang de l'hôpital au laboratoire. Une start-up suisse développe des drones de sauvetage pour les accidents d'avalanche, une autre est devenue le leader mondial des logiciels pour drones.

Collaboration entre les universités et l'armée américaine

Mais il est également vrai que la technologie des drones peut, dans le pire des cas, avoir des effets mortels. Le fait qu'une entreprise zurichoise comme U-Blox, située à Thalwil, produise des composants qui sont utilisés à des fins militaires à l'étranger le prouve. Les investissements d'armées étrangères en Suisse en sont une autre preuve.

Dans ce domaine, les États-Unis ont une longueur d'avance. L'armée américaine finance des programmes de recherche dans les universités locales. Il s'agit de recherche fondamentale, que le Seco ne contrôle pas et dont les résultats sont publiés. Si une utilisation militaire est prévisible, les États-Unis doivent acquérir une licence ou faire reproduire la technique par des entreprises d'armement.

La partie la plus visible de la collaboration entre les hautes écoles et l'armée américaine sont les courses de drones spectaculaires. L'année dernière encore, l'EPFZ a remporté une telle compétition dans le Kentucky, le «Darpa Subterranean Challenge», et est repartie avec la récompense de deux millions de dollars. Darpa est l'agence américaine chargée des projets de recherche avancée en matière de défense. Sa mission est de développer des technologies de pointe pour la sécurité nationale.

Le fonds national soutient le programme

À bord de l'équipe gagnante se trouvaient Roland Siegwart et d'autres chercheurs de l'EPFZ, des universités américaines et la Sierra Nevada Corporation, fournisseur de l'Air Force pour la technologie des drones, qui a également été utilisée lors de guerres comme en Afghanistan. Les membres de l'équipe travaillent depuis longtemps en étroite collaboration et ont élaboré des bases logicielles communes pour leurs systèmes, peut-on lire dans la description du projet de l'ETH.

L'entreprise suisse Flyability, derrière laquelle se trouve Dario Floreano, professeur à l'EPFL et directeur du Pôle de recherche national en robotique, était également de la partie. Le Fonds national suisse a soutenu le programme depuis 2010 à hauteur de près de 40 millions de francs. Les drones Flyability explorent en premier lieu les installations industrielles. Mais la deuxième entreprise qui a lancé Dario Floreano a clairement des ambitions militaires: Sensefly produit des drones de surveillance professionnels et a récemment été rachetée par l'entreprise américaine Ag-Eagle. Désormais, on peut offrir la meilleure technologie et se positionner agressivement sur le marché de l'armement comme partenaire de l'armée américaine, a laissé entendre le nouveau patron.

Des «drones pour de bonnes causes»?

Les inventions de Dario Floreano seront-elles donc utilisées à des fins militaires? Où trace-t-il la limite entre la recherche de pointe et une contribution à l'armement, financée par les pouvoirs publics depuis la Suisse neutre?

Interrogé à ce sujet, le professeur souligne qu'il ne fait plus partie de Sensefly depuis 2016. À l'époque, on y produisait encore exclusivement des drones pour l'agriculture et les inspections civiles. «Tous mes projets se concentrent sur les drones pour de bonnes causes, écrit-il. Les résultats du pôle de recherche sont strictement contrôlés chaque année par le Fonds national, avec l'aide d'experts internationaux.»

Questions éthiques en réflexion

L'ETH Zurich et l'EPFL ont formulé des lignes directrices pour leurs chercheurs concernant les biens à double usage et les considérations éthiques. Les deux universités examinent des coopérations internationales.

Une grande partie de la responsabilité incombe toutefois aux chercheurs, les décisions sont prises au cas par cas. Ainsi, il n'est pas clair si la recherche fondamentale serait également effectuée avec des instituts militaires russes ou chinois. Ce n'est pas la faute des chercheurs si la science peut être utilisée à des fins de guerre. Et souvent, même les entreprises ne peuvent pas toujours contrôler où leurs produits sont utilisés.

Toutefois, l'Ukraine - comme d'autres pays ailleurs dans le monde - est actuellement en guerre. La Suisse doit se poser quelques questions. Avons-nous la maîtrise de notre propre neutralité? Comment éviter que nos innovations ne coûtent des vies?

(Adaptation Lliana Doudot)

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