Élisabeth Baume-Schneider défend les subventions
«Avoir des médias forts, c'est un choix de société»

Nouvelle vice-présidente du Parti socialiste, Élisabeth Baume-Schneider défend ardemment l'aide aux médias soumise au peuple ce dimanche. La Jurassienne espère que cette loi de compromis ne connaîtra pas le même sort que celle sur le CO₂. Interview.
Publié: 10.02.2022 à 12:56 heures
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Dernière mise à jour: 10.02.2022 à 17:24 heures
Nouvelle vice-présidente du Parti socialiste, Élisabeth Baume-Schneider défend ardemment l'aide aux médias soumise au peuple ce dimanche.
Photo: KEYSTONE
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Adrien SchnarrenbergerJournaliste Blick

Élisabeth Baume-Schneider est le nouveau visage romand du Parti socialiste. Le week-end dernier, la Jurassienne des Breuleux a succédé à la Vaudoise Ada Marra à la vice-présidence du parti. La sénatrice de 58 ans devrait changer de dimension sous la Coupole, mais ce n’est pas le genre de la maison de se mettre en avant. Elle a dit espérer apporter «son expérience de femme d’exécutif, empreinte de pragmatisme» dans la cabine de pilotage du «fringant» navire socialiste.

De pragmatisme, l’ancienne ministre de la Formation, de la culture et des sports, et directrice de la Haute école de travail social et de la santé de Lausanne de 2015 à 2020 en fait aussi preuve au moment d’évoquer le paquet d’aides aux médias en votation ce dimanche: la bataille va plutôt se jouer en Suisse alémanique. «À part appeler ma marraine qui habite à Seftigen dans le canton de Berne, je ne peux pas avoir grande influence», sourit la nouvelle vice-présidente du parti à la rose.

De notre côté de la Sarine, il est «presque exotique» de s’opposer à cet objet donné en ballottage légèrement défavorable, avance «EBS». L’appel des parlementaires romands en faveur du oui lui donne raison: il rassemble des élus de nombreux partis, des Verts au Centre en passant par le PS, les Vert’libéraux et même certains PLR.

Comment vous informez-vous, Madame Baume-Schneider?
Je suis abonnée à l’édition papier du «Quotidien jurassien», au «Temps» dans la version papier et numérique ainsi qu’à Heidi.news. Mais je constate que mes propres usages changent: je lis de plus en plus d’articles sur mon smartphone ou mon ordinateur dans le train. Je me soucie, par exemple, de l’avenir du «Quotidien Jurassien», qui doit réussir sa transition numérique. Certaines radios locales ont su le faire, avec un site simple, sympathique et intuitif. Il faut que les journaux locaux y parviennent aussi.

Ne pensez-vous pas que le «Quotidien Jurassien» peut investir ses propres deniers dans le numérique? Y a-t-il vraiment besoin d’une aide publique?
Je pense que la subvention est un coup de pouce important pour lui permettre d’investir dans une période pas facile, où les rentrées publicitaires diminuent. Attention: je ne veux pas peindre le diable sur la muraille et prétendre que le «QJ» va disparaître ou qu’il se trouvera en difficulté majeure à court terme, mais il ne peut pas se permettre de rater le virage. Les consommateurs sont exigeants. Avec les plateformes numériques, ils ont accès à une multitude de titres. Cela oblige les médias régionaux à se hisser dans le périmètre des plus grands acteurs du marché.

Sur quoi vote-t-on?

Trois ans après le rejet de l'initiative «No Billag», les médias doivent à nouveau affronter un vote populaire. Les Suisses diront ce dimanche s'ils soutiennent une augmentation de 151 millions de francs par année de l'aide à une branche mise à mal par la diminution de ses recettes publicitaires. Ce soutien financier est en ballottage défavorable, selon les derniers sondages.

Au fil des années, les recettes des médias traditionnels ont fondu au profit des plateformes numériques et des médias sociaux. La conséquence en est un appauvrissement du paysage médiatique suisse. Plus de 70 journaux, dont l'Hebdo en Suisse romande, ont disparu depuis 2003.

La couverture des événements suisses s'est affaiblie, provoquant une carence d'informations, notamment régionales et locales, affirme la ministre de la communication Simonetta Sommaruga. Et de rappeler que le paquet d'aide aux médias «garantit que les habitants de toutes les régions continuent d'être informés de ce qui se passe à proximité de chez eux».

Pour le comité référendaire «Non aux médias contrôlés», ces aides étatiques décrédibilisent les médias. Ils perdent leur indépendance et ne peuvent plus jouer leur rôle de quatrième pouvoir.

Trois ans après le rejet de l'initiative «No Billag», les médias doivent à nouveau affronter un vote populaire. Les Suisses diront ce dimanche s'ils soutiennent une augmentation de 151 millions de francs par année de l'aide à une branche mise à mal par la diminution de ses recettes publicitaires. Ce soutien financier est en ballottage défavorable, selon les derniers sondages.

Au fil des années, les recettes des médias traditionnels ont fondu au profit des plateformes numériques et des médias sociaux. La conséquence en est un appauvrissement du paysage médiatique suisse. Plus de 70 journaux, dont l'Hebdo en Suisse romande, ont disparu depuis 2003.

La couverture des événements suisses s'est affaiblie, provoquant une carence d'informations, notamment régionales et locales, affirme la ministre de la communication Simonetta Sommaruga. Et de rappeler que le paquet d'aide aux médias «garantit que les habitants de toutes les régions continuent d'être informés de ce qui se passe à proximité de chez eux».

Pour le comité référendaire «Non aux médias contrôlés», ces aides étatiques décrédibilisent les médias. Ils perdent leur indépendance et ne peuvent plus jouer leur rôle de quatrième pouvoir.

Le numérique chamboule de nombreux corps de métier. Pourquoi faudrait-il que l’État sauve les médias et pas les autres?
Parce que le journalisme n’est pas n’importe quelle profession. Ce qui s’est passé aux États-Unis avec Donald Trump ou le Capitole nous montre bien les conséquences que peuvent avoir les fake news. Des médias forts sont essentiels pour la démocratie — et il y a aussi une dimension pédagogique: montrer aux jeunes, par exemple, l’importance et le prix d’une information de qualité.

Donc sauver les médias est une tâche publique, selon vous?
L’aide à la presse reste une bien meilleure solution que de rester les bras croisés face à la disparition de nombreux titres, comme cela a été le cas ces dernières années. C’est plutôt un choix de société: est-ce qu’on veut maintenir des médias locaux ou non? Selon les régions, il n’y en a plus.

Les opposants à la loi y voient une dangereuse perte d’indépendance…
C’est vrai que, pour la première fois, nous aurions une aide un peu plus directe. Mais il faut voir deux choses: d’abord, cette solution est transitoire en raison des difficultés posées par la numérisation et l’érosion des rentrées publicitaires. Ensuite, cette manne ne représenterait qu’une petite partie du budget des médias. Je ne crois pas qu’il y ait une «étatisation» des titres. Est-ce que lorsque les autorités communales ou cantonales financent des infrastructures sportives, on étatise des clubs de foot ou de hockey?

On parle de mue numérique, mais les solutions consistent en partie en des aides à la distribution des journaux. Cela semble bien archaïque…
C’est pour cela qu’il s’agit d’un paquet de transition. Le mot est bien choisi: nous sommes à un moment charnière. D’un côté, il y a des lecteurs qui souhaitent encore recevoir leurs journaux, et de l’autre de nouveaux utilisateurs à séduire qui n’utilisent que leur smartphone. Cette panoplie d’usages est une difficulté pour les médias et justifie cette aide transitoire.

Si elle passe, cette loi est prévue pour sept ans. Pourquoi cette stratégie?
Il faut revenir au contexte de son élaboration. Le premier jet a été refusé par presque tout le monde en consultation. Simonetta Sommaruga et le Conseil fédéral ont dû revoir leur copie dans un dossier fragile, surtout en temps de crise Covid.

Cela veut dire qu’on ne fait plus que des lois périssables en cette période chamboulée?
Non non, cela ne doit pas devenir une habitude (rires). Le monde des médias est simplement en proie à des changements rapides, et ce délai va nous permettre de réexaminer la situation à l’échéance de ce paquet d’aides.

Les grands groupes de presse alémaniques ont été largement pointés du doigt dans cette campagne. Même s’il y a une controverse autour des chiffres, était-ce judicieux de les «arroser» autant?
J’aimerais ici soulever un élément important: si la loi ne passe pas, ces grands groupes ne seront pas ennuyés et continueront à phagocyter le marché. À l’inverse, les petits médias auront beaucoup de soucis à se faire. Certes, on donne une partie de cette manne à des grands groupes qui versent des dividendes à leurs actionnaires, mais l’aide est dégressive et cela ne doit pas masquer l’enjeu global de cette loi.

Néanmoins, ce paquet d’aides est jugé mal ficelé par de nombreux analystes.
Je ne vois pas cela ainsi. Ce projet est multiforme parce qu’il a été co-construit à un certain moment donné. Il est l’aboutissement de compromis. Malheureusement, je constate que nous assistons au même phénomène qu’avec la loi CO2: il y a des opposants pour chaque partie du dossier, ils s’additionnent et mettent en danger l’ensemble du paquet. Or, si cette loi est refusée, cela aura des conséquences dramatiques pour la diversité de la presse et la richesse identitaire des régions en Suisse. Je suis contente d’aller glisser un grand oui dans l’urne.

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