Ecosystèmes en danger
Cessez de vous baigner dans les lacs de montagne!

La baignade en lac d'altitude est à la mode. Valais Promotion l'encourage. Or, elle est problématique pour les écosystèmes fragiles de ces eaux pures, dénoncent le conseiller national vert valaisan Christophe Clivaz et les milieux de protection de la nature.
Publié: 16.08.2023 à 17:55 heures
Avec les canicules, la tendance des plongeons en montagne risque de se renforcer d'année en année.
Photo: KEYSTONE/LAURENT GILLIERON
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Amit JuillardJournaliste Blick

Il fait un peu chaud, non? Valais Promotion a une solution: «Rien au monde n’est plus rafraîchissant que de plonger dans un lac de montagne limpide et frais. (...) Intacts, [ces lacs] reflètent leur environnement et les teintes du ciel et diffusent un silence bienfaisant.»

L'office du tourisme surfe sur la vague (pas celle d'Alaïa Bay). La baignade en lac d'altitude est à la mode et compte toujours plus d'adeptes, fuyant les foules amassées en plaine ou sur les plages de la Méditerranée. Cet été, sur les réseaux sociaux, (presque) pas un jour sans une vidéo ou une photo de randonneuse ou randonneur s'immergeant dans des eaux pures et froides, juste après avoir terminé son Farmer et enlever ses odorantes chaussures.

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«On risque de voir certaines espèces disparaître localement»
Nicolas Wüthrich, porte-parole de Pro Natura
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«Avant, c'étaient des pratiques assez rares, se souvient Christophe Clivaz, conseiller national vert valaisan, contacté par Blick, ce mardi 15 août. Maintenant, de plus en plus de monde s'y adonne.» Et avec les canicules, la tendance va se renforcer d'année en année, prédit Nicolas Wüthrich, porte-parole de Pro Natura, également joint par Blick.

Crème solaire et savon: ça sent pas bon

Pas vraiment une bonne nouvelle, à entendre les spécialistes de la biodiversité et les milieux de la protection de la nature. Dans un article publié fin juin 2023 sur son site Internet, le parc national des Ecrins, dans les Alpes françaises, tire la sonnette d'alarme. Et liste trois raisons d'éviter de piquer une tête dans ces gouilles: 

  1. On dérange les écosystèmes. «Quand on se baigne dans un lac, on remue la vase posée au fond et l’eau devient trouble, étaye Clotilde Sagot, responsable des mesures physiques aux Ecrins, citée sur la page web. Cela peut altérer la capacité des végétaux à faire leur photosynthèse.» Les berges sont, quant à elles, des lieux de refuge, voire de reproduction, pour des espèces presque invisibles, avertit encore le parc national.
  2. Les effets nocifs de l'écran solaire. «On trouve encore des crèmes comportant des filtres solaires ou des conservateurs fortement suspectés de se comporter en perturbateurs endocriniens», déplore Clotilde Sagot.
  3. Il y a danger pour les humains aussi. «On est dans des milieux naturels non surveillés, où on se baigne à ses risques et périls, avertit la chargée de mission. La qualité de l’eau n’est pas contrôlée et [celle-ci] n’est pas toujours aussi propre que l’on peut imaginer. Des animaux morts peuvent par exemple polluer les torrents en amont ou les lacs eux-mêmes.»

Nicolas Wüthrich abonde. «Il faut juger au cas pas cas, mais de manière générale, Pro Natura demande à la population de ne pas s'y baigner parce que ce sont des espaces très fragiles, qu'il faut éviter de piétiner et de brasser. On risque de voir certaines espèces disparaître localement.»

Valais Promotion dans le viseur des écolos

L'occasion pour Christophe Clivaz de monter au filet, après que nous lui avons soumis les textes de Valais Promotion. «Pour toutes les raisons évoquées, il est problématique d'encourager à la baignade dans les lacs d'altitude, dénonce l'élu écologiste. D'autant que les gens sont sous-informés à ce propos.»

Pour le Vert valaisan Christophe Clivaz, les personnes qui se baignent en altitude sont en fait sous-informées.
Photo: KEYSTONE/ALESSANDRO DELLA VALLE

Directeur de Valais Promotion, Damian Constantin, joint par téléphone ce mercredi, balaie cet argument. «Il n'est pas problématique d'inviter les touristes à se rafraîchir dans un lac de montagne parce qu'il n'y a actuellement pas de problème de surfréquentation. Côté baignade, il faut dire qu'il y a aussi une sélection naturelle: la température de l'eau est très basse et très peu osent s'y jeter.»

Outre faire trempette, d'autres activités sont particulièrement nocives, souligne encore le parc national des Ecrins. Comme se laver ou faire la vaisselle directement dans le lac. «Il a été prouvé que les produits tensioactifs que l’on retrouve souvent dans le liquide vaisselle et les savons sont préjudiciables pour les invertébrés», appuie Clotilde Sagot. Sa recommandation: se «doucher» ou nettoyer son plat à gratin «à distance de l’eau à l’aide d’une cuvette souple, et si possible dans une zone de graviers qui constitueront un premier filtre».

Attention à l'effet Instagram

D'autre part, si vous deviez avoir l'idée saugrenue d'emmener votre paddle sur votre dos, évitez aussi. La Française développe: «Avant de naviguer sur un lac de montagne, la planche a déjà été utilisée sur d’autres eaux. Elle est donc potentiellement porteuse de virus, de champignons, ou d’échantillons d’espèces envahissantes qui risquent de contaminer le milieu.»

Dernier conseil, délivré par Pro Natura et le parc national des Ecrins: se restreindre dans le partage de selfies sur Instagram. «Si l’on tient vraiment à partager ses photos, l’idéal est de supprimer sa localisation avant», suggère Clotilde Sargot. Objectif: éviter d'attirer trop de monde autour des mêmes lacs. «Si de tels phénomènes se produisent, à terme, on pourrait faire face à des interdictions ou à des restrictions d'accès, présage Nicolas Wüthrich. Ce que personne ne veut: la montagne doit rester un espace de liberté!»

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